« J’arrêterai ma grève de la faim le jour où j’aurai un titre de séjour »
Nader Ayache, réalisateur tunisien, a entamé depuis 12 jours une grève de la faim pour réclamer un titre de séjour. À Politis, il témoigne de la nécessité de « mettre en lumière » son cas, « qui est un cas parmi les 140 000 OQTF délivrées chaque année » par la France.

© Crédit photo : Pauline Migevant
Cela fait 12 jours, ce mercredi 19 novembre, que Nader Ayache et ses soutiens ont planté une tente, boulevard Raspail, en face du Centre national du cinéma (CNC). Des passants sont interpellés par la banderole, tendue à côté d’un échafaudage en travaux : « Réalisateur en grève de la faim pour son droit au séjour ».
Nader Ayache est arrivé en France en 2015 avec un titre de séjour étudiant qui n’a pas été renouvelé. Pour financer ses études, il est coursier à vélo. L’État lui reproche d’avoir dépassé le nombre d’heures de travail autorisées par ce titre de séjour en tant qu’autoentrepreneur. Il s’est retrouvé en situation irrégulière malgré ses démarches à la préfecture et devant les tribunaux. En 2019, il reçoit une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et une interdiction de retour sur le territoire (IRTF). Très prochainement, il va déposer une nouvelle demande de titre de séjour.
À ses côtés, Lucile, avec qui il s’est marié l’année dernière. Avec d’autres soutiens rassemblés au sein du collectif « Solidarité avec Nader », elle affirme : « Par sa grève de la faim, Nader nous montre la souffrance des personnes sans papiers. On n’a peut-être pas envie de voir ça, mais c’est la réalité. On ne peut pas détourner les yeux. » À Politis, Nader Ayache raconte ce qui l’a conduit à entamer cette grève de la faim.
Comment allez-vous après 12 jours de grève de la faim ?
Nader Ayache : Moralement, très bien. Mais je dois récupérer du sommeil parce qu’on a dormi là. Les premiers jours, on était sur les tapis de yoga. La deuxième nuit, vers 2 heures du matin, il faisait -2° C degrés dehors. Même dans la tente, on l’a ressenti. Hier, j’ai vu le médecin qui me suit. On a fait un électrocardiogramme, la tension, pour vérifier que ça va. Je n’ai perdu qu’un kilo pour l’instant. Le médecin m’a dit que j’allais bien. Il m’a prévenu que dans 10 jours, ce ne serait pas la même chose. Le réveil aujourd’hui était difficile mais on se réveille quand même, c’est l’essentiel.
J’invite les personnes étrangères à venir s’exprimer, et dire sans honte que c’est nous qui faisons tourner le pays.
À quel moment avez-vous décidé de commencer cette grève ?
J’ai décidé de faire une grève de la faim deux semaines avant la décision du tribunal administratif de Versailles, le 6 novembre, qui a confirmé le refus de la préfecture. J’ai voulu m’inspirer de la lutte des prisonniers politiques. Je considère aujourd’hui que je suis dans une prison à ciel ouvert. Je veux dénoncer les injustices que je vis depuis que j’essaie de me régulariser et depuis que j’ai reçu une OQTF. Tous les éléments prouvaient mon engagement dans ma recherche universitaire, mes avancées en tant que réalisateur, mes attaches familiales et sociales, le bénévolat, mon ancienneté sur le territoire… Mais ce refus [de titre de séjour] me maintient dans une position très précaire. Je veux mettre en lumière mon cas, qui est un cas parmi les 140 000 OQTF délivrées chaque année.
Au-delà de la grève de la faim, vous avez installé votre tente sur le boulevard et vos banderoles interpellent les passants. Pourquoi avoir voulu investir l’espace public ?
Il y a une peur des sans-papiers de se montrer. J’ai mis deux ans à sortir du silence et à dire : je suis visé par une mesure qui est une OQTF. Parce que tout simplement, il y a un matraquage médiatique autour des OQTF. On est criminalisés, on est diabolisés. Le profil de l’OQTF, ça va être celui de l’agresseur, du violeur. Je sors de ce silence pour dire qu’énormément d’OQTF sont délivrées à tout-va et que les préfectures sont des fabriques de sans papiers.
Si j’ai mis ma tente devant le CNC, c’est pour mettre en lumière mon histoire. C’est dans l’espace public que cette histoire doit se résoudre. Je le dis sans aucune honte : je ne suis pas un criminel. On me condamne alors que j’ai travaillé en tant qu’autoentrepreneur comme coursier à vélo. Je me suis senti criminalisé alors que j’ai travaillé. Juste à côté de ma tente, il y a des gens qui démontent un échafaudage.
On leur a proposé de décaler la banderole si ça les gênait. Ils ont dit qu’il n’y avait pas de soucis et ils m’ont souhaité bon courage. Ça fait chaud au cœur. Quand je lève ma tête et que je les regarde, je vois qu’il n’y a que des étrangers sur cet échafaudage. Hier, je regardais d’autres travailleurs qui refaisaient le goudron. Pareil, que des étrangers. Toutes ces mesures [d’OQTF] ce sont des insultes.
Il y a eu des grèves de la faim collective de personnes sans papier en France à la fin des années 90 et dans les années 2000 qui ont abouti à des victoires en termes de régularisation. Appelez-vous d’autres personnes à vous rejoindre ?
Je milite au sein de l’université et des collectifs d’étudiant·es étranger·es pour leur régularisation, pour le droit au transport, au logement, à l’éducation. J’invite mes camarades, mes amis et d’autres personnes sans titre de séjour, à sortir dans la rue le 18 décembre. Il y aura une grève internationale pour la journée des migrant·es. Je les invite à venir s’exprimer, et dire sans honte que c’est nous qui faisons tourner le pays. On demande la régularisation de tous les sans papiers.
Le fait que vous meniez une action dangereuse pour votre santé pour demander un titre de séjour est-il un acte qui révèle la violence exercée contre les personnes étrangères en France ?
Je ne suis pas arrivé à cette grève de la faim par plaisir. Il y a un ras-le-bol de ce que je vis. Ce sont des conditions matérielles difficiles. Quand on a reçu le résultat de l’audience, ça m’a également fait très, très mal. Pour moi, la seule manière de contre-attaquer pour moi-même, c’est de placer la barre encore plus haut. La grève de la faim me paraissait la bonne hauteur pour revendiquer mes droits, interpeller les concernés mais aussi les camarades, les travailleurs du cinéma.
À Libération, le CNC s’est dit prêt à donner à la préfecture un document attestant que vous êtes « bien inséré professionnellement ». Qu’attendez-vous du CNC en tant qu’institution et quel contact avez-vous eu avec eux ?
On les a rencontrés aujourd’hui pour leur demander une lettre qui atteste de mon travail. J’ai aussi bossé au CNC en tant que lecteur de projet. J’aimerais qu’ils contactent la préfecture après le nouveau dépôt de mon dossier. On leur a aussi demandé un soutien logistique pour pouvoir rentrer dans les locaux charger nos téléphones, utiliser les toilettes dont j’ai besoin parce que je bois 5 litres d’eau par jour, passer un câble pour qu’on puisse mettre un petit souffleur pour se réchauffer. Je voulais aussi dire que j’ai appris que 50 députés veulent que le CNC disparaisse. Je suis sidéré que cette institution soit menacée. Ce n’est pas mon combat premier certes mais si ma grève de la faim peut mettre en lumière en disant que le CNC risque de disparaître, c’est important.
Je ne suis pas arrivé à cette grève de la faim par plaisir. Il y a un ras-le-bol de ce que je vis.
Votre film La Renaissance a été sélectionné aux Césars cette année dans la catégorie court-métrage documentaire. On se souvient aussi d’Abou Sangaré, qui interprétait le rôle principal dans le film L’histoire de Souleymane, récompensé à Cannes par le prix du jury et celui d’interprétation masculine. Il avait ensuite reçu une OQTF. Percevez-vous un décalage entre l’accueil que fait le milieu du cinéma aux films qui parlent des personnes exilées en France et le soutien effectif du milieu culturel aux personnes qui subissent les politiques migratoires ?
C’est aussi pour ça qu’on est là. Rappelons-nous des jeunes de Belleville qui ont été expulsés d’un théâtre public [la Gaîté Lyrique, en mars 2025, N.D.L.R.]. À aucun moment, le milieu de la culture ne s’est positionné clairement de leur côté ou mobilisé contre leur expulsion. Il faut dire stop à cette hypocrisie. On aime bien voir ça à l’image, ça nous émeut. On aime produire ces films, ça touche, ça fait de l’audience. Mais ça doit s’accompagner par du soutien concret. Par exemple, quand un réalisateur sans titre de séjour est en grève de la faim. Ou quand des jeunes mineurs occupent un théâtre public. Il y a beaucoup de moyens de soutenir réellement la cause des personnes sans papiers. Un rassemblement est prévu ce vendredi à 18 heures devant le CNC et on a une cagnotte.
Quand arrêterez-vous votre grève de la faim ?
Le jour où j’aurai un titre de séjour. La grève de la faim peut faire accélérer les procédures. J’ai une tournée qui se prépare pour mon film La Renaissance qui parle de l’exil. Ce n’est pas la première que je vais rater, faute de titre de séjour. Mon film va être programmé au Maroc, en Tunisie, à Londres. Une galerie à New York nous a contactés pour le projeter. J’ai aussi été accepté dans une résidence en Italie qui m’attend depuis 2 ans. Tous ces éléments-là seront aussi dans le dossier. C’est urgent que j’aie un titre de séjour pour continuer à exercer mon métier. Sachant que pour les sélections pour les prix internationaux, je représente la France car c’est un film français.
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