Soudan : une guerre par procuration
Les massacres du Darfour, liés à l’affrontement sanglant entre les généraux ennemis Bourhane et Daglo, ne sont pas seulement le fait de fanatismes dont les puissances étrangères seraient innocentes.
dans l’hebdo N° 1887 Acheter ce numéro

© AFP
Une fois de plus, le Darfour, province occidentale du Soudan, est le théâtre d’une de ces entreprises génocidaires aux multiples facteurs, ethniques et religieux, sur lesquels la raison semble n’avoir aucune prise. Elle est le fait de la milice, dite Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemitti », qui vient de s’emparer d’El-Fasher, trois cent mille habitants, principale ville du Darfour, au prix de massacres dont on ne mesure pas encore l’ampleur. Loin de moi l’idée de nier la part obscure de ces tueries qui semblent motivées par les plus bas instincts. Mais rien n’interdit de chercher à comprendre cette autre part qui ne ressortit pas à la fatalité ou à la culture de la violence.
Le Soudan n’a connu, après s’être émancipé, en 1956, que dictatures et coups d’État.
Car la situation actuelle a une histoire. Souvenons-nous que le Soudan n’a connu, après s’être émancipé, en 1956, que dictatures et coups d’État. Et il n’est pas besoin de creuser beaucoup pour trouver la main des grands empires occidentaux, et de la Russie et de la Chine derrière cette histoire tourmentée. Ce fut d’abord le règne d’un militaire, Gaafar Nimeiry, inspiré par l’Égyptien Nasser, et qui a multiplié les renversements d’alliance pour terminer dans la main de Ronald Reagan, qui en fit un bon soldat de l’anticommunisme.
À partir de 1989, c’est un dictateur, Omar el-Béchir, qui allait régner sans partage pendant trente ans. C’est à cet instant que l’histoire immédiate nous interpelle. Car, en 2019, c’est une révolution qui chasse el-Béchir. Une vraie révolution, ni ethnique ni religieuse, et qui nous dit la vérité de ce peuple qui n’est pas condamné au fanatisme et à la violence aveugle. Des centaines de milliers de manifestants, des jeunes principalement, prennent la rue, avec des revendications sociales dans une région qui ne manque pas de traditions syndicales.
Désastre humanitaire
Le Soudan vit alors plusieurs mois de « printemps démocratique » que j’avais salué ici même à l’époque avec espoir, sinon illusion. Mais à l’image de ce qui s’est produit en Égypte après la révolution de 2011, ce sont des militaires qui, en 2021, ont profité de la situation pour installer leur pouvoir avec la promesse de le céder aux civils. Ce qu’ils ne feront évidemment jamais. Le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane et son adjoint le général Mohammed Hamdan Daglo, alliés d’un jour, sont devenus ennemis le lendemain, prêts l’un et l’autre à sacrifier des dizaines de milliers de vies pour éliminer son rival.
Aujourd’hui, Bourhane tient Khartoum, la capitale, tandis que Daglo vient donc de s’emparer d’El-Fasher. Nous sommes à présent face à un désastre humanitaire sans nom. Les grandes puissances, hélas, se sont bien gardées d’intervenir quand il aurait fallu protéger un pouvoir civil qu’incarnait un éphémère premier ministre, technocrate issu des Nations unies, Abdallah Hamdok. Au contraire, un plan d’austérité du FMI a affaibli le régime dans l’opinion, et favorisé le coup d’État militaire.
Chez nous, il est désormais de bon ton de s’émouvoir du « silence assourdissant » qui entoure les massacres du Soudan.
Chacun, à Washington, à Moscou, à Pékin, à Ankara et dans les capitales arabes s’est alors empressé de choisir « son » général, espérant une victoire rapide qui ouvrirait la voie à des profits économiques et stratégiques. Car le sous-sol soudanais est riche d’or, d’uranium et de pétrole. L’Égypte et la Turquie s’engageaient du côté d’Al-Bourhane, tandis que les Émirats arabes unis et les milices russes Wagner pariaient sur une rapide victoire de Daglo « Hemitti ». Aujourd’hui, l’équilibre des forces entre les deux belligérants promet encore beaucoup de massacres de populations civiles précipitées dans des migrations sans fin.
Chez nous, il est désormais de bon ton de s’émouvoir du « silence assourdissant » qui entoure les massacres du Soudan. Il est vrai que le Darfour n’est pas Gaza. Il n’y a pas en France ou aux États-Unis de communautés Zaghawas impliquant affectivement nos pays. De plus, il faut le dire, le Soudan a servi de discours cyniques aux complices des fossoyeurs de Palestiniens. Le fameux « whataboutism » (« qu’en est-il de ? ») visant à détourner l’attention de l’opinion française sur ce qui se passe à Gaza. C’est évidemment la pire des motivations pour soutenir les Soudanais.
Au-delà d’un devoir humanitaire qui devrait nous obliger, il existe un fragile espoir tout de même, avec la tentative de médiation portée par les États-Unis, l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Des pays tous impliqués dans le conflit. Quand les pyromanes se font pompiers.
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