À Marseille, la guerre des gauches aura bien lieu aux municipales

Portés par Sébastien Delogu, les insoumis entrent en campagne municipale sur un air de dégagisme, mettant à mal la majorité sortante dirigée par Benoît Payan. Au loin, la vague RN se fait déjà sentir.

Paul Berger  • 3 décembre 2025 abonné·es
À Marseille, la guerre des gauches aura bien lieu aux municipales
Sébastien Delogu a lancé sa campagne pour la mairie de Marseille avec pour objectif de « redonner le pouvoir au peuple ».
© CLEMENT MAHOUDEAU / AFP

Attraction politique. Le long du boulevard National, artère populaire du centre-ville de Marseille, une dizaine de militants déambulent, tracts à la main. Mais dans la deuxième ville de France, c’est surtout la présence de Sébastien Delogu qui retient l’attention des passants. Après des semaines d’attente, le député insoumis de la 7e circonscription des Bouches-du-Rhône a officialisé sa candidature à la mairie le 16 novembre. Depuis, il multiplie les apparitions publiques.

À en croire les encouragements lancés et les selfies demandés, celui qui rassemble quelque 447 000 abonnés sur Instagram jouit ici d’une popularité bien réelle. Il peut même s’appuyer sur un sondage réalisé par l’institut Cluster 17 et commandé par Politico, publié le 9 novembre. L’enquête d’opinion crédite l’élu des quartiers nord, qui a repris la circonscription aux macronistes en 2022, de 16 % d’intentions de vote au premier tour. De quoi nourrir de grandes ambitions.

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Le 6 décembre, les insoumis lanceront officiellement leur campagne et sortiront l’artillerie lourde : le coordinateur national du mouvement, Manuel Bompard, et la militante contre les violences policières Assa Traoré. Ces velléités électorales pourraient embêter très sérieusement la majorité sortante, une alliance entre le Parti socialiste (PS), les Écologistes et le Parti communiste (PCF), dirigée par le maire Benoît Payan.

Cette union recueillerait 29 % des voix. À égalité avec une liste Rassemblement national (RN) menée par Franck Allisio. Ce dernier devancerait l’alliance entre les Républicains (LR) et les macronistes menée par Martine Vassal, la patronne du département des Bouches-du-Rhône, créditée de 23 %. Le scénario d’une prise de contrôle de la ville par l’extrême droite apparaît donc plus que jamais crédible sans un rassemblement de la gauche au second tour. Mais les deux camps portent des intérêts qui semblent aujourd’hui irréconciliables.

On veut rompre avec le système Gaudin-Guérini.

E.H. Bounouar

Car la stratégie nationale insoumise de devenir une force autonome majeure à gauche passe par des conquêtes municipales. Et dans la deuxième ville de France, les critiques contre le système politique local abondent. « On veut rompre avec le système Gaudin-Guérini », tacle El Hadi Bounouar, dit Hedi, directeur de campagne de Sébastien Delogu. Et pour cause, l’ancien maire de droite qui a régné pendant vingt-cinq ans revendiquait de faire de la politique clientéliste.

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L’ancien président socialiste du conseil départemental a, quant à lui, été définitivement condamné dans l’« affaire Guérini », qui portait sur un système de favoritisme et de marchés publics truqués. Le message est clair : nouveaux arrivants sur la scène municipale, les insoumis misent sur le dégagisme. Au Printemps marseillais, cette alliance qui a fait gagner la gauche en 2020, on se dit « déçu par leur attitude ». « Nous n’avons pas pensé nos politiques publiques de façon électoraliste », s’insurge un membre de cette union, prenant en exemple les rénovations d’écoles du plan ­Marseille en grand.

Reconduction de l’alliance autour de Benoît Payan

Mais les insoumis avancent sur une ligne de crête. Ils veulent se créer un espace important à gauche mais ne ferment pas la porte en vue du second tour. « Si nous sommes les premiers à gauche, nous proposerons un accord pour battre l’extrême droite. Si nous sommes seconds, nous ferons des propositions qui permettent à chacune des sensibilités d’être représentées, sans quoi nous nous maintiendrons », assure Hedi Bounouar, qui mise sur ce premier tour qui prend des allures de primaire.

Ce que récuse le Printemps marseillais. « Le second tour ne s’évalue qu’au soir du premier », cingle un interlocuteur. Mais l’alliance de gauche ne peut s’y tromper : il faudra composer avec les insoumis dans le partage des 111 sièges du conseil municipal. Ce vent de campagne, qui souffle du nord au sud, ne semble pas, pour l’heure, s’infiltrer sous les portes de l’hôtel de ville. « Benoît Payan reste maire à 100 %. Le temps de la campagne viendra », assure-t-on dans l’entourage de l’édile. Selon son équipe, le maire serait surtout concentré sur le conseil municipal du 18 décembre. Manière de signifier qu’il ne faut pas attendre une grande annonce avant cette échéance.

Nous avons travaillé en interne pour faire le bilan de cette mandature et voir ce qu’il reste à faire.

C. Juste

Officiellement, la campagne pour sa réélection n’est donc pas lancée, mais tout le monde se prépare. « Nous menons une grande enquête en porte-à-porte », indique-t-on au Printemps marseillais. Les réunions programmatiques doivent débuter dans le courant du mois de décembre. Mais le maire sortant sait déjà qu’il pourra compter sur le Parti communiste et les Écologistes. Les deux partis ont validé dès le mois d’octobre la reconduction de l’alliance. Avant même le début des négociations sur le programme. « Nous tirons un bilan très positif de ce premier mandat », expose Anthony Gonçalves, chef de file des communistes. Même son de cloche chez les verts.

« On aimerait faire plus car nous sommes partis de très loin. Il a d’abord fallu remettre debout une ville dans sa capacité d’agir », fait savoir de son côté Christine Juste, élue Printemps marseillais, qui cible notamment le ­fonctionnement pour le moins peu ­conventionnel des services municipaux durant l’ère ­Gaudin. S’ils feront bien partie de l’alliance de gauche, pas question de dire que les Écologistes donnent un blanc-seing au maire. « Nous avons travaillé en interne pour faire le bilan de cette mandature et voir ce qu’il reste à faire. On a établi ce que l’on appelle des lignes vertes et des lignes rouges », insiste-t-elle.

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Mais les verts devront faire sans l’une de leurs figures locales : Sébastien Barles a officialisé, début novembre, son soutien à la liste insoumise. Celui qui a siégé pendant six ans dans le groupe écologiste juge que la coalition est gouvernée en sous-main par le PS. « On savait dès le départ que le Printemps marseillais était un mythe », fustige celui qui a été exclu de son parti mais qui garde sa délégation d’adjoint au sein du conseil municipal.

Une abstention endémique

Si La France insoumise (LFI) se dit ouverte à des négociations au second tour, elle fixe toutefois plusieurs lignes rouges. Sébastien Jibrayel en est une. L’élu anciennement chargé de la jeunesse et des sports a été condamné au printemps pour des violences à l’encontre de deux militants insoumis qui collaient des affiches dans le 16e arrondissement. S’ajoutent les cas de Roland Cazzola et de Marguerite Pasquini. Condamnés en première instance dans une affaire de fausses procurations lors de la campagne de 2020, ils restent présumés innocents en attente de leur appel.

Tous trois ont perdu leurs délégations municipales à la suite de ces affaires, mais demeurent membres de la coalition municipale en siégeant au sein du mouvement Marseille avant tout, dirigé par la première adjointe, Samia Ghali, figure tutélaire des quartiers nord. À ce sujet, le Printemps marseillais renvoie la balle : « C’est un peu osé de parler de condamnation quand la tête de liste de LFI a été définitivement condamnée pour des violences sur un agent de l’État. » Une référence explicite au jugement rendu en février 2025 à l’encontre de Sébastien Delogu, condamné à une amende de 5 000 euros pour « violences aggravées » contre le proviseur adjoint et la conseillère principale d’éducation d’un lycée marseillais.

Cette guerre des gauches offrira-t-elle la ville au RN ?

Interrogée, l’ancienne sénatrice socialiste Samia Ghali n’a pas encore dévoilé ses intentions. En 2020, cet électron libre de la politique marseillaise, en position de force dans le 8e secteur, regroupant les 15e et 16e arrondissements, s’était maintenu au second tour. Une autonomie qui lui avait permis, avec les voix de huit conseillers municipaux au premier tour de l’élection du maire, de départager Martine Vassal et le Printemps marseillais au second tour. Mais la réforme de la loi PLM, publiquement défendue par le maire de Marseille, l’oblige aujourd’hui à revoir sa stratégie. Pire, elle doit désormais défendre son fief électoral contre Sébastien Delogu.

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Ce duel politique s’annonce âpre. Et la première adjointe au maire ne peut s’y tromper : elle fait partie de ces élus qui ont le plus à perdre lors des prochaines élections. Toutefois, dans son secteur comme dans le reste de la ­deuxième plus grande ville de France, l’abstention est endémique, particulièrement parmi les classes populaires. Plus que de se disputer les votants, l’enjeu sera de les ramener aux urnes, une stratégie clairement investie par les insoumis, qui joueront leur entrée à la mairie, dans une large majorité ou dans l’opposition. Reste à savoir si cette guerre des gauches offrira la ville au RN.

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