Budget : Lecornu rêve de ne pas se prendre le mur
Ses propres soutiens sont aux abonnés absents, la macronie ne veut rien céder, les socialistes jouent leur propre partition… Le premier ministre se retrouve dans l’impasse. Et pourrait renoncer à son engagement originel sur le 49.3. Dégringolade politique.

© Thomas SAMSON / AFP
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Budget : une mobilisation pour éviter l’austérité annoncée Budget : le (très) décevant rapport sur l’imposition du patrimoineComment tout ça pourrait-il ne pas mal se terminer ? Sébastien Lecornu le sait certainement : il n’a pas trouvé de majorité parlementaire. Depuis des semaines, le Parlement décortique les moindres recoins des projets de loi de finances (PLF) et de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Mais le premier ministre fait face à un Himalaya insurmontable. Ses soutiens parlementaires, déjà peu nombreux, se divisent, les grandes figures de la macronie sont pétries d’ambitions en vue de la prochaine présidentielle, et l’Assemblée nationale est divisée en trois blocs. Au milieu du chaudron parlementaire, Sébastien Lecornu est un premier ministre sans espace. Il étouffe.
Alors que le projet de financement de la Sécu revient à l’Assemblée ce 2 décembre, après avoir été détricoté dans les grandes largeurs par la droite sénatoriale, le premier ministre est dans l’impasse. Le 29 novembre, la commission des Affaires sociales de la Chambre basse a très massivement rejeté la copie budgétaire du PLFSS.
Certes, le vote comptait pour du beurre puisqu’il n’empêche pas l’examen en hémicycle. Mais ce résultat n’est pas simplement symbolique. Car le bloc macroniste n’a même pas soutenu la copie budgétaire. Le « socle commun», cette entente parlementaire entre la droite et la macronie nouée sous Michel Barnier, existe-t-il encore ? Après des semaines de discussions, Sébastien Lecornu n’a même pas su mobiliser son propre camp.
Le chef du gouvernement joue gros. Car si le budget de la Sécu n’est pas adopté, il semble impossible que le PLF le soit également. Dans ce cas de figure, le locataire de Matignon serait entièrement discrédité. Peut-être serait-il même forcé à démissionner ? Pour lui, le temps presse. Car le vote sur le PLFSS est prévu le 9 décembre. Le premier ministre n’a donc qu’une petite semaine pour trouver une majorité. « Cette semaine, ce sera l’heure de vérité », prévient Mathilde Panot, patronne du groupe insoumis. Le message est clair.
Rêve éveillé
Mais Sébastien Lecornu n’est pas un homme qui renonce. Le chef du gouvernement parie toujours sur l’abstention, a minima, des socialistes, des écologistes et des communistes pour faire passer tout son budget. Vit-il dans un rêve éveillé ? Pour tenter d’arracher un compromis, il a donc convié les socialistes et les communistes à Matignon le 1er décembre. « Nous avons fait le tour d’horizon, ligne par ligne, avec le gouvernement. (…) Nous sommes dans une approche qui peut permettre d’aboutir à un compromis. Nous n’en sommes pas encore là, considère Olivier Faure, le premier des roses. Mais les prochaines heures vont nous permettre d’apprécier et nous jugerons en fonction de ce qui nous est présenté in fine. »
Il est temps que les macronistes prennent acte du résultat des législatives.
Benjamin Lucas
Stéphane Peu, le patron des députés communistes, est bien plus ferme : « L’architecture de ces textes budgétaires répond en tout point aux fondamentaux du macronisme. » Ce 2 décembre, il a aussi échangé avec les écologistes. Mais il n’est pas certain que les Verts avalent cette copie de la Sécu. « Il est temps que les macronistes prennent acte du résultat des législatives », affirme Benjamin Lucas, porte-parole du groupe Écologiste et social.
En résumé, Sébastien Lecornu doit donc reconstruire la petite confiance qu’il a tissée avec la gauche socialiste après la déconstruction du budget par le Sénat. « Les négociateurs se sont fait avaler par la macronie », charge le député insoumis Hadrien Clouet, en direction des socialistes. « La droite sénatoriale a réintroduit dans une grande brutalité ce qu’elle porte depuis des années », admet Béatrice Bellay, porte-parole du groupe socialiste.
Sur le fond, le parti au poing et à la rose se retrouve donc à réclamer, encore une fois, l’abandon du doublement des franchises médicales, la suppression de l’année blanche, une hausse de la CSG sur les revenus du capital ou encore la réduction des exonérations de cotisations sociales. Les socialistes espèrent toujours atterrir sur « une version de consensus », selon les mots de Romain Eskenazi, porte-parole des députés roses.
Selon eux, la non-adoption d’un PLFSS pèserait de 30 milliards sur le déficit de la Sécu. « Ce qui serait un mur qui serait dénoncé par le comité d’alerte de l’Ondam. Et le gouvernement serait appelé à prendre des mesures réglementaires dans le dos du Parlement », d’après Olivier Faure.
Socle commun fragmenté
Les roses sont donc bien déterminées à trouver un compromis solide avec le gouvernement. « On est dans une posture constructive, nous n’avons fait que ça, malgré tout ce que ça nous a coûté », estime Béatrice Bellay. Mais est-ce que tout cela compte vraiment ? Car pour le moment, le compte n’y est pas.
Les insoumis, le Rassemblement national (RN) et les ciottistes de l’Union des droites pour la République (UDR) ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne voteraient pas pour ce texte. De ce fait, il faudrait d’abord que Sébastien Lecornu mobilise l’entièreté de son « socle commun» tout en essayant de convaincre une partie de la gauche. Or, la macronie rechigne sérieusement à soutenir ce premier ministre « le plus faible de la 5e République », selon ses propres mots.
Les discussions budgétaires laissent progressivement place à une toute autre question : quel est réellement le prix de l’instabilité ?
La droite est loin de vouloir avaler le décalage de la réforme des retraites tout comme la hausse de la CSG. Les députés Horizons, le parti d’Edouard Philippe, pourraient se diriger vers une abstention puisqu’ils jugent que la trajectoire déficitaire de la Sécu n’est pas soutenable. Et les centristes du Modem disent déjà ne pas accepter un déficit au-dessus de 20 milliards d’euros.
Au regard de la situation, la position des socialistes perd toute son importance. Même s’ils votent en faveur de ce budget – ce qui est loin de faire consensus au sein des députés –, ce ne serait pas suffisant pour que Sébastien Lecornu arrive à faire adopter ses copies budgétaires.
Quelques options se présentent donc devant lui. La première : le passage du budget par ordonnances si le Parlement n’arrive pas à tenir les délais constitutionnels. La deuxième : le dépôt d’une loi spéciale censée assurer la continuité du fonctionnement de l’Etat avant la reprise des débats budgétaires dans le cadre d’un examen d’un projet de loi rectificatif en 2026. La troisième : le recours au 49.3. Sébastien Lecornu renoncerait-il à son engagement originel ?
Retour du 49.3
Des voix se lèvent en ce sens. Sur France inter, l’ex-Première ministre Elisabeth Borne l’a assumé : « Ça fait partie des discussions qu’il faut que le Premier ministre ait avec les différents groupes représentés à l’Assemblée nationale. » D’après L’Opinion, Edouard Philippe y serait aussi favorable. Sur BFTMTV, François Hollande a estimé qu’il ne fallait « jamais se priver d’une disposition constitutionnelle ».
Au sein du groupe socialiste, le débat est également posé. Perrine Goulet, porte-parole du groupe des Démocrates (Modem), l’affirme : « À un moment donné, il faut savoir arrêter, se poser et sortir des négociations. » La porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, a pourtant fermé la porte à cette voie à l’issue du conseil des ministres le 26 novembre : « Il n’y a pas d’alternative au compromis parlementaire. »
L’écolo Benjamin Lucas déplore le retour de cette question : « Le premier ministre a dit : “pas de 49.3.” C’est sur cet engagement que certains de mes collègues se sont abstenus. Je vais donc partir du principe que je dois faire confiance en ce que nous dit le premier ministre. »
Dans l’enceinte parlementaire, les discussions budgétaires laissent progressivement place à une toute autre question : quel est réellement le prix de l’instabilité ? À quatre mois des municipales, quelles seraient les conséquences d’une censure et de la possibilité d’une dissolution ? Le grand vertige.
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