Budget de la Sécu adopté : grâce aux socialistes, Lecornu évite le crash politique
Après des semaines de négociations, le premier ministre franchit, de peu, le mur parlementaire. Le « moine soldat » de la Macronie doit désormais gravir la montagne du budget de l’État.

© Alain JOCARD / AFP
Tenir. Tenir coûte que coûte. Sébastien Lecornu doit être pris d’un grand vertige en regardant le Palais Bourbon ce 9 décembre. Après des semaines de négociations de couloirs, de tambouilles parlementaires, de débats exténuants, le premier ministre sait que l’Assemblée nationale peut décider de son destin. Encore une fois. Nommé il y a trois mois, il n’avait qu’une seule mission : faire adopter le budget.
Entretemps, il a démissionné avant d’être renommé, de promettre qu’il n’utiliserait pas le 49.3 et de rendre tout le pouvoir au Parlement. « Ce que je vous propose, c’est de trouver un chemin commun malgré les divergences, disait-il dans l’hémicycle le 14 octobre, jour de son discours de politique générale express. Le gouvernement vous proposera, nous débattrons, vous voterez. » Ce soir, c’est le grand soir : les députés votent solennellement sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS).
Moment de vérité. Car si le budget de la Sécu n’est pas adopté, le premier ministre pourrait-il vraiment rester à Matignon ? Il y a péril en la demeure. Personne ne sait de quel côté la pièce va tomber. Les voix se comptent. Une par une. Depuis son arrivée à Matignon, l’ex-ministre des Armées a su gagner du temps, grâce à des socialistes qui ont accepté de discuter avec ce gouvernement pourtant agrippé aux grands dogmes du macronisme. « Il est efficace, pragmatique, il évite les grandes déclarations, estime un négociateur socialiste. Il aura mouillé la chemise, il se sera donné. »
Il y a deux mois, Olivier Faure et ses troupes demandaient l’abandon du 49.3, l’intégration de la taxe Zucman et la suspension de la réforme des retraites. Aujourd’hui, la copie leur paraît loin d’être idéale mais ils estiment avoir arraché quelques victoires : le décalage de la réforme des retraites, le renoncement du doublement des franchises médicales, une petite hausse de la CSG sur le patrimoine…
Suffisant pour voter en faveur de ce PLFSS. « Oui, un groupe d’opposition vote contre. Mais nous avons obtenu la suspension de la réforme des retraites, la suppression de l’année blanche, l’augmentation de l’Ondam… Objectivement, ce n’est pas la copie de Lecornu », se défend Romain Eskenazi, porte-parole du groupe socialiste.
Le pari des roses est hautement risqué. « Oui, on est dans une situation difficile, dans une crise politique. J’entends que l’on fait ce qu’on peut, pas ce qu’on veut. Mais je n’arrive pas à voir la stratégie globale. Cette décision donne l’impression qu’on est dans la majorité, qu’on donne notre confiance à des gens qui n’en ont pas pour la gauche », regrette Charlotte Picard, membre du bureau national du PS et représentante de l’aile gauche du parti.
« C’est très inédit à l’Assemblée nationale : se parler, faire des suspensions de séance, discuter… Il y en a qui ne supportent pas ce nouveau mode de fonctionnement. C’est ainsi. Nous, dès le début, nous avons fait le choix de la responsabilité », expliquait le socialiste Jérôme Guedj, dans la nuit du 4 au 5 décembre.
Je n’arrive pas à voir la stratégie globale. Cette décision donne l’impression qu’on est dans la majorité.
C. Picard
Convaincus que précipiter une dissolution permettrait quasi mécaniquement à Jordan Bardella d’accéder à Matignon, les socialistes ne veulent surtout pas être perçus comme les artisans du chaos. Depuis des mois, Olivier Faure théorise la ligne du compromis.
Dans son livre Je reviens te chercher (Robert Laffont, 2025), le premier des socialistes se réfère à Hoederer, l’apparatchik de la pièce sartrienne des Mains sales, accusé par l’idéaliste Hugo de trahir la cause en voulant s’allier avec des ennemis idéologiques pour instaurer un régime communiste : « Moi, je suis dans l’action. J’ai les mains sales. Jusqu’aux coudes. Je les plonge dans la merde et dans le sang, mais je les retire propres parce que je le fais pour une cause juste. » « Quand on a réussi une négociation, il faut en assumer aussi le prix », a assuré, bravache, Olivier Faure sur RMC le 8 décembre.
Espace ou vide politique ?
Stratégiquement, le patron du parti au poing et à la rose, qui rêve de défendre sa candidature à la prochaine présidentielle, voit peut-être dans ce moment la possibilité de se créer un espace et de réanimer la social-démocratie. Au risque de s’isoler du reste de la gauche et de se discréditer. « La dernière décision d’Olivier Faure, tout le monde la voyait venir, dit un cadre du PS. À chaque fois, il en rajoute un peu plus. Et tout le monde répète qu’on est toujours dans l’opposition, ce qui veut bien dire que notre position n’est pas vraiment claire. »
Les mélenchonistes voient rouge. « Olivier Faure réalise enfin son fantasme de 2017 : participer à la majorité d’Emmanuel Macron, grince le député insoumis Aurélien Le Coq. C’est surtout un couteau dans le dos planté à tous les électeurs du Nouveau Front populaire. » Pour les insoumis, quiconque accepte de voter pour la limitation de la durée des arrêts maladie ou l’augmentation du prix des complémentaires santé s’exclut, de fait, de l’alliance de gauche. « Aucun député qui se dit de gauche ne peut accepter cela », lâche Mathilde Panot, la patronne du groupe mélenchoniste.
En équilibriste, Sébastien Lecornu tente de manœuvrer au milieu de ce chaudron parlementaire. Ce « moine soldat », dixit, de la Macronie doit se muer en tacticien. Mais l’arithmétique est une science dure. Sébastien Lecornu a beau retourner le problème dans tous les sens, les voix socialistes ne suffisent pas.
L’ex-ministre des Armées doit obtenir l’abstention des écolos. Une mission qui semblait impossible avant que le gouvernement sorte, dans l’emballage finale, deux petites surprises : un premier amendement réhaussant à 3 %, au lieu de 2 %, l’objectif des dépenses de l’Ondam (objectif national des dépenses d’assurance maladie) ainsi qu’un autre annonçant une enveloppe de 8 milliards pour l’hôpital public entre 2025 et 2026.
Petits arrangements entre amis
Des demandes écologistes également poussées par la CGT. Au sein de la centrale montreuilloise, plusieurs leaders confédéraux, dont la numéro 1 Sophie Binet, auraient convaincu les Verts de pousser le sujet de l’hôpital pour obtenir de nouvelles avancées de la part du gouvernement.
« Le PS a dealé pour pas cher avec Sébastien Lecornu. Le simple décalage de la réforme des retraites, ce n’est vraiment pas grand-chose. Donc on a voulu pousser auprès des écologistes, des insoumis et des communistes pour obtenir plus, notamment sur l’hôpital », confie un membre de la confédération cégétiste qui réfute toutefois avoir donné de consigne de vote, jugeant que ce budget reste « très insuffisant en l’état ». Au terme d’ultimes tractations en fin de journée, les Verts acceptent un deal. « On a évité le pire », admet Cyrielle Chatelain, la cheffe de file des députés écolos.
Mais ce que Sébastien Lecornu gagne à gauche, il peut le perdre à droite. Et ses opposants les plus féroces viennent peut-être de son propre camp. Devant un « socle commun » où les ambitions présidentielles sont ouvertement assumées, le premier ministre n’a plus les armes.
Laurent Wauquiez, patron des députés de la Droite républicaine, tout comme l’ex-premier ministre Édouard Philippe se sont lancés, depuis des jours, dans un bras de fer sur le PLFSS. Selon eux, Lecornu aurait tout cédé à la gauche. « Est-ce que ce budget améliore le déficit de la nation ? Non. Est-ce qu’il porte des mesures structurelles pour réduire la dépense ? Non. Est-ce qu’il fait peser à nouveau des recettes sur la fiscalité des citoyens ? Oui », liste Paul Christophe, président du groupe Horizons.
« J’ai l’impression qu’on est le seul groupe parlementaire qui a compris ce qu’était la responsabilité. Les Républicains et Horizons sont au gouvernement et ne votent même pas leur budget, s’agace le socialiste Romain Eskenazi. La posture politicienne compte moins que les conséquences qu’aurait un budget de la Sécurité sociale qui ne soit pas voté. »
Le PS a dealé pour pas cher avec Sébastien Lecornu. Le simple décalage de la réforme des retraites, ce n’est vraiment pas grand-chose.
Membre CGT
Peu avant 20 heures, le verdict tombe. 247 députés votent pour le budget de la Sécu, 234 se prononcent contre. Sébastien Lecornu aura donc réussi à convaincre une petite majorité de parlementaires. Assez pour survivre. La mission était grande. Presque impossible. Mais le bail du premier ministre continue grâce aux votes des socialistes et à l’abstention des écologistes.
« Cette majorité de responsabilité montre que le compromis n’est pas un slogan : il permet d’avancer dans le sens de l’intérêt général », se vante l’ancien locataire de l’hôtel de Brienne sur X. « Cela vient couronner une méthode, celle de faire confiance au Parlement », estime Marc Fesneau, le patron du groupe des Démocrates.
« Cette victoire est d’abord celle du Parlement lui-même qui a su trouver les voies du compromis et de la négociation. C’est exigeant, c’est difficile, admet Olivier Faure. Ce budget n’est le budget de personne. » Sébastien Lecornu étouffait. Il vient de gagner un peu de temps. Au « moine soldat » de passer à la suite : le budget de l’État. Un autre périple.
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