Mort de Matis : « On pleure tous les jours »

Matis Dugast, intérimaire de 19 ans, est mort en juillet 2025 sur un chantier, en Vendée. Sa mère, Murielle, raconte sa perte et l’attente pour comprendre les raisons de sa mort.

Lucie Inland  • 10 décembre 2025 abonné·es
Mort de Matis : « On pleure tous les jours »
L’un des derniers selfies de Matis, publié sur son compte Instagram.
© DR

Le 15 juillet 2025, au matin. Matis Dugast travaille comme brouetteur depuis janvier 2025, en intérim pour la société Atlanroute. Ce matin, il participe à un chantier sur une portion de la rue de la Louvetière, à Sainte-Flaive-des-Loups (­Vendée). « C’est bête, mais vers 9 h 20 je ne me suis pas sentie bien », confie sa mère, Murielle Dugast. À ce moment-là, la trappe du camion transportant l’enrobé s’ouvre d’un coup, ensevelissant Matis en quelques secondes sous plusieurs tonnes de ce mélange de graviers, de sable et de liant hydrocarboné, utilisé dans la fabrication du bitume des routes.

Ses collègues prennent des pelles, localisent où creuser dans la masse ardente, extirpent sa tête puis tout son corps en une vingtaine de minutes. Un s’y brûle les mains. Matis est héliporté en urgence à Nantes et plongé dans le coma pour arrêter la douleur. Les gendarmes arrivent dans la foulée et font les premières constatations. Le jeune homme décède dans l’après-midi au centre de traitement des brûlés du CHU de Nantes (Loire-Atlantique). « C’est notre ange guerrier, souffle Murielle. On doit continuer à se battre pour lui, même si on est fatigués car on ne dort pas beaucoup. On pleure tous les jours. »

« Ne me dis pas que c’est Matis »

Yannick, son père, est chef d’équipe pour la même entreprise depuis treize ans, Altanroute, sur un chantier à Nantes. C’est lui qui fait entrer Matis via une agence d’intérim et qui le forme. « Le dirigeant de l’entreprise l’a appelé : “Ton fils a eu un accident.” Il a tout de suite compris que c’était grave. » Murielle rentre d’un rendez-vous médical. « Vers midi et demi, j’entends des portes de voiture. Je me dis que c’est bizarre. Mon mari est avec son supérieur, les yeux rougis. » Un de ses gendres l’appelle en larmes après avoir lu les titres de la presse locale pendant sa pause déjeuner. « Ne me dis pas que l’ouvrier de 19 ans enseveli c’est Matis. » L’équipe médicale prévient les parents qu’il faut venir lui dire au revoir maintenant.

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« C’est un grand brûlé à 100 %, à l’extérieur comme à l’intérieur », résume Murielle. Les trois sœurs aînées de Matis rejoignent leurs parents, avec quatre de ses neveux et nièce. Le chirurgien, les infirmières et une psychologue les accueillent. La mère décrit l’effroi devant son fils « en momie » qu’elle peut à peine toucher et « l’odeur qui reste ». « On lui a dit tous ensemble qu’il avait été courageux et qu’il pouvait s’envoler. » Les pompes funèbres donnent aux parents une petite mèche de cheveux, épargnée par la casquette qu’il portait. « C’est tout ce qui reste de lui. » Matis est inhumé au cimetière d’Aizenay le 26 juillet. Sa tombe est régulièrement fleurie par ses proches et des inconnus.

Matis n’y est pour rien du tout. Il savait que les seuls risques étaient que les sécurités ne soient pas mises ou que ça casse.

Murielle

Toutes les personnes présentes au moment de l’accident ont été auditionnées. Très choquées, elles se sont mises en arrêt et ont été suivies par un psychologue dépêché par l’entreprise. Certaines ont repris les chantiers mais craignent un nouvel accident. « Un petit jeune a démissionné, il ne pouvait plus du tout continuer dans ce secteur », explique Murielle. Matis était apprécié de tous ses collègues pour sa bonne humeur et ses compétences. « Ils voulaient même l’embaucher. »

Les jeunes travailleurs, moins bien formés, sont surreprésentés

Yannick ne se voit pas reprendre le travail avec la voiture dans laquelle son fils montait tous les jours. Déjà reconnue handicapée du fait d’une maladie professionnelle, Murielle est aussi en arrêt. Le couple se constitue partie civile afin de comprendre pourquoi leur fils est décédé. « Tout ce qu’on sait, c’est que Matis n’y est pour rien du tout. Il savait que les seuls risques étaient que les sécurités ne soient pas mises ou que ça casse. » Ne restent qu’une multitude de questions sur les failles ayant causé sa mort.

Pour Valérie Labatut, responsable syndicale à la CGT-TEFP (Travail emploi formation professionnelle), « il n’y a jamais une seule et unique cause aux accidents du travail ». Elle constate une surreprésentation des jeunes travailleurs, s’appuyant sur les rapports annuels de l’Assurance-maladie. Ces accidents sont davantage médiatisés, et concernent davantage les personnes en contrats précaires, notamment l’intérim, souvent moins bien formées : « Il faut toujours garder à l’esprit que l’employeur a la charge et l’obligation d’assurer les conditions de sécurité et de santé des travailleurs, fixée par l’article L4121-1 du Code du travail. »

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Les métiers du BTP sont parmi les plus touchés. « Il y a un fort recours à la sous-traitance, qui a pour conséquence d’externaliser le risque d’accident. » D’autant plus qu’ils ne sont pas reconnus comme pénibles et dangereux, ce que pointe Murielle Dugast. Valérie Labatut déplore le manque de contrôle, faisant de la France l’un des pays européens où l’on meurt le plus au travail. « Il y a moins de 2 000 agents de contrôle pour 21 millions de salariés. Les 45 postes recrutés au dernier concours ne compensent même pas les départs à la retraite. »

Matis voulait gagner son propre argent

Alors que l’enquête est en cours, la famille Dugast apprend à vivre sans son petit dernier. Sa chambre est restée intacte. « On n’arrive pas à entrer dedans », soupire Murielle. Tout rappelle son absence dans cette maison, à Rives de l’Yon, qu’ils souhaitent vendre pour se reconstruire. « On culpabilise de rire parfois, alors qu’il adorait nous faire rire. »

Matis aimait jouer avec sa chienne Victoire et ses chats Pixel et Princesse, muscler son mètre 97, passer du temps chez lui ou avec son meilleur ami, Eddy. Faute de maître de stage pour valider sa première année de CAP de peinture, il arrête pour gagner son propre argent et financer ses projets. Matis rêvait de devenir streamer et de grimper l’Everest. « Il me répétait qu’il allait faire le buzz un jour. Je lui parle, je lui dis : tu fais le buzz mon gars. » 

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Travail
Publié dans le dossier
Jeunes morts au travail
Temps de lecture : 6 minutes

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