Le mariage forcé entre l’Argentine et le FMI tourne au fiasco

Retour sur une semaine historique pour l’Argentine au cœur de la tourmente.

Jérôme Duval  • 2 octobre 2018
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Le mariage forcé entre l’Argentine et le FMI tourne au fiasco
photo : EITAN ABRAMOVICH / AFP

Alors que le mécontentement du peuple argentin grossit de jour en jour, le président Mauricio Macri s’envole pour les États-Unis. À New York, il poursuit les négociations avec le FMI pour réviser l’accord déjà caduc signé en juin, intervient à l’Assemblée de l’ONU et se voit remettre un prix récompensant son leadership. Pendant ce temps, la quatrième grande grève générale de son mandat, après celle du 25 juin dernier contre l’accord du FMI, paralyse le pays. Retour sur une semaine historique pour l’Argentine au cœur de la tourmente.

Macri menteur et « pauvreté zéro »

Le 20 septembre, lors de son discours à la 71e assemblée générale des Nations unies, Macri réitère l’objectif d’avancer vers la « pauvreté zéro », objectif pourtant en totale contradiction avec sa propre politique et les injonctions du FMI dans un pays exportateur d’aliments marqué à nouveau par la famine, un pays où 11 millions de personnes sont considérées pauvres selon l’Institut national de statistique INDEC. Il y a des choix politiques qui marquent, tel le fait d’acheter en août dernier, en pleine crise financière argentine, cinq avions de chasse Super-Étendard à Dassault Aviation pour 12 millions d’euros. N’ayant pas peur des contradictions, plus loin dans son discours, Macri affirme que « l’Argentine fait de l’autonomisation des femmes une politique d’État ». On en oublierait presque le vote du Sénat début août contre la légalisation de l’avortement qui laisse les femmes encourir entre une et quatre années de prison si leur avortement est considéré illégal, c’est à dire pour tout avortement en dehors des cas de viol ou de risques pour la vie ou la santé de la femme. Pour rappel, en Amérique latine seuls deux pays, Cuba et l’Uruguay, autorisent l’interruption volontaire de grossesse sans condition, auxquels il faut ajouter l’État de Mexico.

Le prix de la honte

Après l’actuel Premier ministre du Canada Justin Trudeau l’année passée, Matteo Renzi en 2016, le président ukrainien milliardaire Petro Porochenko ou le président colombien Juan Manuel Santos, c’était au tour du président argentin Mauricio Macri de recevoir le « Global Citizen Award ». Quelques mois plus tôt, décerné par le même laboratoire d’idées étasunien, The Atlantic Council, George W. Bush avait été honoré de recevoir le Distinguished International Leadership Award en même temps que le PDG de Starbucks, Howard Schultz.

Un article du New York Times paru en septembre 2014, nous apprenait que l’organisation du Conseil de l’Atlantique (The Atlantic Council) avait reçu des dons de plus de vingt-cinq gouvernements, en plus des États-Unis, depuis 2008. D’après son dernier rapport annuel, ce think tank reçoit de multiples donations, dont les plus importantes sont celle du Département d’État des États-Unis, des Ministères de la défense de la Lituanie ou de la Norvège, diverses entreprises dont la banque HSBC, les entreprises d’armement Lockheed Martin et Thales, les compagnies pétrolières Chevron, BP, Abu Dhabi National Oil Company, Tüpras et ExxonMobil, le célèbre cabinet d’avocats Baker McKenzie, le fonds d’investissement Blackstone, Airbus, Ford ou Google.

Ce 24 septembre 2018, au célèbre restaurant Cipriani au 55 Wall Street, devant un auditoire de plus de 400 dirigeants du monde triés sur le volet pour assister à la neuvième édition très sélective du Conseil de l’Atlantique à New York, Macri reçoit le prix Global Citizen Awards.

L’ex-banquière, philanthrope et vice-présidente du Conseil de l’Atlantique, Adrienne Arsht s’enflamme : « Commençons par une confession : J’ai le béguin pour le président Macri. Ce soir, nous honorons le président Macri pour son leadership… » Le président argentin transformé en star du moment, monte sur la tribune et clame, tout sourire : « Je dois confesser qu’avec Christine, nous avons commencé, depuis quelques mois déjà, une grande relation, qui je l’espère, marchera très bien, et mènera tout le pays à tomber amoureux d’elle. » Les rires de la haute bourgeoisie fusent dans la salle, quelques regards se tournent vers la table où Christine Lagarde, également nominée en 2011, partage le dîner avec le président argentin, sa femme Juliana Awada et le président de la Banque interaméricaine de développement (BID) Luis Alberto Moreno, entre autres personnalités. Euphorique, Macri fera même quelques pas de danse au moment de la photo de famille avec Adrienne Arsht, sous le regard amusé de Klaus Schwab, le fondateur du Forum économique de Davos.

Cette déclaration d’amour au sein de l’aristocratie planétaire pourrait faire rêver bien du monde si elle n’était pas surréaliste, incapable d’effacer une relation conflictuelle entre l’institution de Washington et l’Argentine. Comme pour illustrer cette incompatibilité, au même moment, l’Argentine est de nouveau paralysée par une grève générale, la quatrième sous le mandat de Mauricio Macri. Pratiquement aucun métro, autobus ou taxi ne circule dans la capitale et les grandes villes du pays, tous les vols au départ et à l’arrivée de l’Argentine sont annulés, les administrations, les banques et de nombreux commerces sont fermé en signe de protestation contre le FMI. C’est une mobilisation historique, de nombreuses manifestations ont lieu dans ce pays de 41 millions d’habitants et une grève générale très suivie de deux jours, les 24 et 25 septembre, est décrétée. « Non au FMI », « Non à l’ajustement », peut-on lire sur les banderoles en tête de cortège.

La Banque centrale au service du FMI

Le 25 septembre, après seulement trois mois à son poste, l’ancien tradeur chez JPMorgan et à la Deutsche Bank Luis Caputo, démissionne de son poste de gouverneur de la banque centrale pour être remplacé par le vice-ministre de l’économie, Guido Sandleris. Caputo aurait eu des divergences avec l’institution de Washington. « Macri le sacrifie à New York sur l’autel du FMI car il a commis le péché d’intervenir sur le marché des changes sans autorisation. Désormais, les fonctionnaires sont obéissants à un FMI, qui a un contrôle total de la politique économique », réagit Alejandro Vanoli, gouverneur de la Banque centrale argentine pendant le mandat de l’ex-présidente Cristina Kirchner.

Le prêt du FMI s’alourdit

Deux jours après avoir échangé rires et palabres au gala de l’Atlantic Council et le lendemain du changement de gouverneur de la Banque centrale, le FMI accordait le plus gros prêt de son histoire à l’Argentine. Le 26 septembre, le pays, secoué par une grave crise économique, a obtenu du FMI 7 milliards de dollars supplémentaires et une accélération du calendrier des versements. Le prêt accordé en juin passe ainsi de 50 à 57,1 milliards de dollars sur trois ans. « Les versements prévus pour le restant de l’année 2018 et 2019 augmentent de 19 milliards de dollars », a déclaré depuis New York le ministre argentin de l’Économie Nicolas Dujovne. D’ici à la fin de l’année 2018, l’Argentine recevra 13,4 milliards au lieu des 6 milliards prévus initialement dans le premier accord conclu en juin (en plus des 15 milliards déjà déboursés), pour 2019, Buenos Aires pourra compter sur la mise à disposition de 22,8 milliards, au lieu de 11, et 5,9 milliards de dollars planifiés pour 2020 – 20211. La dette argentine libellée en dollars s’alourdit dangereusement et la dépréciation du peso se poursuit malgré cet accord, mais le président Macri nous rassure : « Il n’y a aucun risque que l’Argentine se retrouve en défaut » de paiement de sa dette, comme ce fut le cas lors de la crise économique de 2001. En attendant, la pauvreté se répand comme une traînée de poudre pour servir la dette des créanciers et le gouvernement demande à l’Église d’intensifier sa répartition de nourriture dans les quartiers pauvres…

[1] « Acuerdo Stand-by revisado del FMI », FMI, 26 septembre 2018.

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