Courrier des lecteurs Politis 1041

Politis  • 26 février 2009 abonné·es

Cuba

Défense de toucher au mythe Parler « politique », par définition, c’est bien le rôle d’une politologue telle que se présente Janette Habel. Un reporter, lui, rapporte des faits, des impressions, des images : la vérité d’un moment et d’une situation. Pas la Vérité toute nue, définitive. Pas davantage les « analyses » que Mme Habel a pu « chercher en vain » . Le journaliste n’est est pas moins subjectif, engagé et même « orienté ». Qui ne le serait pas, y compris dans le champ des « analyses » ? Le problème surgit, en fait, lorsque l’autre n’est pas orienté dans la bonne direction – la sienne. Il en va de même avec l’esprit critique : un lecteur, repris par Mme Habel dans sa tribune, accuse Politis d’avoir perdu son sens critique en publiant mon reportage. Ne serait-ce pas plutôt le contraire ?

Je m’attendais à ces prévisibles réactions – et je n’étais pas le seul. Prévisibles dès lors qu’un mythe se trouvait écorné. Cuba fait partie de cette mythologie dont se nourrit une partie de la gauche française, des trotskistes aux socialistes. Les histoires, la geste des héros de l’épopée cubaine se trouvent colportés depuis un demi-siècle, forgeant dans le même sens – très « orienté » – l’imaginaire « révolutionnaire ». Il en fut ainsi du « soviétisme » et du maoïsme, jusqu’à leurs mises à bas, ces moments où l’histoire reprend ses droits. Le castrisme, lui, continue à faire illusion. Pourquoi ? En partie par la nécessité, assez humaine en somme, de se protéger des vérités fatales à la sauvegarde de ses propres illusions. Plutôt casser le thermomètre que d’admettre la fièvre. J’ai bien vu le désarroi, la douleur même, de certains de mes amis lorsqu’ils m’ont lu, comme tombant des nues devant le tableau que je leur rapportais, déchirure dans leur imaginaire. C’était d’autant plus douloureux qu’ils n’auraient pensé, eux, à mettre en doute mon honnêteté de journaliste en me rejetant comme « agent de la CIA appointé par Dassault » *… [voir les commentaires sur

Pour en revenir aux objections de Mme Habel, je persiste :
Oui, le castrisme m’est bien apparu comme un lieu théâtral, un « opéra grandiloquent » ai-je d’ailleurs écrit. C’est même, à mon sens, sa caractéristique principale, et aussi ce qui explique son succès dans l’ordre du spectacle et de la séduction politiques.
Oui, son premier rôle est mû par un orgueil démesuré, caractéristique humaine assez répandue, hélas, dans l’histoire de l’humanité et abondamment explorée depuis les dramaturges de l’antiquité. Il ne faudrait être que marxiste étroit pour exclure cette donnée psychologique des ressorts de l’Histoire, s’agissant en particulier de ses dictateurs. Sans parler d’un certain omni-président…

Oui, l’embargo états-unien rejoint la panoplie illusionniste du castrisme. Sans nier sa finalité initiale ni dédouaner l’empire voisin de ses intentions néfastes. Mais il aura surtout permis aux Castro de masquer leur échec politique autant qu’économique. En particulier le fait qu’après 50 ans de « révolution », Cuba doive importer 80 % de ses denrées alimentaires ! Et bien sûr, devoir payer « cash » tant de produits importés… coûte beaucoup, surtout en sacrifices pour le peuple cubain. Je ne vois pas de « preuve » plus flagrante de dissimulation, permettant de mener une propagande incessante consistant à rejeter sur l’Ennemi [celui du Désert des Tartares] ses propres incapacités. Une propagande si efficace qu’elle se trouve, notamment, reprise par Mme Habel lorsque, ayant concédé les « responsabilités propres d’un pouvoir autoritaire à la tête d’un système politique bureaucratisé », elle justifie, sinon excuse, les manquements déplorés par des « ressources extrêmement limitées » !

Dès 1970, dans son livre clairvoyant et des plus actuels, Cuba est-il socialiste ? , René Dumont avait pointé d’un doigt critique, informé et bienveillant (pour ne pas dire sympathisant), les failles d’un régime et de son « lider maximo », dont il témoigne en direct, en quelque sorte, à l’occasion de multiples séjours et rencontres en tant qu’agronome et conseiller technique du régime : bureaucratie favorisant l’incompétence, militarisation totale de l’économie et des relations « sociales », démotivation des travailleurs, camarillas de privilégiés, prébendes et marchés noir, gaspillages éhontés, bouclage de l’information, flicage institué. À quoi Dumont n’a pas manqué d’ajouter le fameux « orgueil » de qui l’on sait, dont il raconte les « caprices » infantiles lors de tournées de seigneur sur ses terres, son île, sa propriété. En somme, un livre très « orienté » – qui, d’ailleurs, valut aussitôt à son auteur d’être interdit de séjour, comme… agent de la CIA !

Dans le hors-série de l’Humanité sur Cuba (intitulé « Il était une fois la révolution », on est prévenu, c’est une fiction…), Eduardo Manet, dramaturge français d’origine cubaine, qualifie le castrisme de « dictature de gauche ». Bel oxymore… Janette Habel, elle, dans le même entretien, préfère se référer à un… jésuite (Fidel va adorer, lui qui a fréquenté un collège de la même obédience…) évoquant « un système unique sur lequel il ne faut plaquer aucune analyse toute faite ». « Je partage cette idée », commente Mme Habel. Et moi donc !

Gérard Ponthieu

  • Citation exacte de ce commentaire posté sur notre site Internet : « Ce Gérard Ponthieu pourrait-il avoir la liberté de nous dire combien il palpe pour cracher sur Cuba de la part de son PDG, ou de la CIA, ou de Dassault, combien touchent ces gens-là par mois, et combien gagne la femme de ménage qui vide sa poubelle ? »

Créatifs et solidaires

J’ai beaucoup de respect pour Jean Ziegler et pour le combat qu’il mène depuis plusieurs décennies au côté des opprimés. Comme beaucoup d’entre nous, il déplore les dégâts causés par le libéralisme […], mais en même temps il se réjouit, car le masque tombe et laisse apparaître les véritables causes de la souffrance.
Or, selon lui, ces souffrances peuvent être « rédemptrices » car, « quand on souffre, on commence à réfléchir, donc à agir ».
Cette affirmation d’un homme de conviction doit interpeller tout-un-chacun ; car bien souvent, malheureusement, la souffrance engendre la résignation et la passivité et annihile toute révolte.

Selon Jean Ziegler donc, au cœur de la souffrance se cache une énergie extraordinaire capable de mettre l’Homme debout […]. Je le crois aussi.
Cependant, cette « heuristique de la souffrance » ne peut pleinement fonctionner que si certaines conditions préalables existent, sinon elle risque de devenir une douteuse « apologie de la souffrance ».
Parmi celles-ci, je citerais en premier lieu l’existence d’un lien social qui permette la reconnaissance de la souffrance par l’Autre, et la compassion qui engendre la solidarité.

La démolition lente, mais bien réelle, organisée par l’idéologie néolibérale, de toutes les solidarités laisse chacun seul face à des souffrances qui ne lui permettent plus de « penser » et donc d’agir.
Ainsi, recréer du lien social et cultiver ce lien sont aujourd’hui des actes de résistance politique.
De plus, il me semble que la personne en souffrance, si elle peut s’appuyer sur un système de référence (croyance, idéologie, système de valeurs, éthique), peut élaborer une pensée et conférer un « sens » à sa souffrance.
La destruction d’un tel système de référence, bien souvent encouragée par le libéralisme, pousse vers le non-sens, car l’agir n’a pas d’avenir. Cette situation aboutit au fatalisme.

Si la souffrance débouche malgré tout sur un « agir », il se résume bien souvent à une action sacrificielle qui vise à décharger la tension provoquée par la souffrance et dont la pensée est absente. Cette explosion est fréquemment sans lendemain et justifie le renforcement de la répression du côté de l’oppresseur.
Ainsi, nous allons devoir être créatifs et solidaires si nous voulons réinventer un espoir et un destin communs.

André Joly

Politis et la construction du NPA

Bravo Politis , journal « rassembleur » de la gauche, de consacrer un petit dossier au NPA en construction (1 tiers de LCR, 2 tiers rouges, Verts, Attac, syndicalistes, PS, PCF, associatifs militants). Toutefois, ce dossier transpire l’hostilité chez ses trois signataires, Denis Sieffert, Michel Soudais et Jean-Baptiste Quiot. Que se passe-t-il ? Au Figaro ?
Merci à Denis Sieffert pour le survol historique de la LCR, avec quelques surprenantes piques tauromachiques sur la nuque du NPA en construction (souligné par moi). Je cite : « Au moment où la LCR va renoncer à son étiquette trotskiste pour se transformer en NPA, nous [Politis] avons voulu revenir sur l’histoire de ce mouvement et nous interroger sur son avenir s’il en a un. » (Souligné par moi.) Quel accueil fédérateur ! Sur fond d’hostilité apeurée, réitérée dans la conclusion du papier : « Être trotskiste a-t-il encore un sens ? La création du NPA aussi pose la question. »
Ainsi se demande-t-on à Politis si les 2 tiers, soit 6 000 adhérents (à ce jour), sont sensés ? Des guignols, vous dit-on à Politis !
Selon Michel Soudais, ce nouveau parti est « ouvert à ceux qui ne se reconnaissent pas dans le marxisme révolutionnaire […], se définissent plus comme une gauche radicale, anticapitaliste, écologiste et féministe que par référence aux idées de Trotski. » Ah ! Mais pourquoi lâcher la pique « le jeune postier n’est pas moins brutal » ? Faut-il avoir peur ? […]

Jacques Borie, Montpellier (Hérault)

Notre lecteur fait un contresens complet. Nous nous interrogeons sur l’avenir du trotskisme, pas du NPA. En renonçant à l’étiquette « trotskiste », les fondateurs du NPA ont visiblement la même interrogation que nous. Le titre du dossier n’était-il pas assez clair ?

D. S.

Courrier des lecteurs
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