Faut-il sortir de l’euro ?

Henri Sterdyniak estime qu’il est essentiel
de sauver l’euro, tandis que Jacques Sapir
pense que la défense à tout prix
de la monnaie européenne est vaine.

Politis  • 13 octobre 2011 abonné·es
Faut-il sortir de l’euro ?

Illustration - Faut-il sortir de l’euro ?

Certes, l’euro est une chimère, c’est-à-dire un monstre qui ne peut pas exister : il ne peut y avoir une monnaie unique entre des pays qui ont des structures, des conjonctures, des stratégies économiques différentes, qui ont des politiques budgétaires différentes et non-coordonnées.

Certes, depuis 1999, les institutions européennes ont été incapables de gérer la zone euro, en voulant imposer des réformes libérales et le respect des normes absurdes du Pacte de stabilité. Elles ont été incapables d’impulser une stratégie de croissance en Europe. La zone s’est disloquée entre des pays du Nord en recherche effrénée de compétitivité et des pays du Sud où la forte croissance était financée à crédit.

Les marchés financiers se sont aperçus du vice fondamental dans l’organisation de la zone : les dettes publiques des pays membres ne sont plus garanties. Aussi spéculent-ils sur la faillite des pays du Sud, soumettant la politique économique des pays de la zone euro à leur dictature hystérique. Certes, les institutions européennes ont été incapables de réagir à la crise de façon forte. Elles veulent imposer des politiques d’austérité qui replongeraient la zone dans la crise, et renforcer un Pacte de stabilité qui paralyse les politiques budgétaires nationales. Elles sont incapables de ramener à la raison les marchés financiers en garantissant les dettes publiques par le financement de la BCE et une solidarité totale entre États membres. Elles laissent la crise des dettes publiques devenir une crise des banques européennes.

On comprend dans ces conditions que monte la tentation de quitter la zone euro, tant dans les pays du Sud, qui n’ont d’autres perspectives que de longues années d’austérité et de stagnation économique, que dans les pays intermédiaires (France, Italie, Belgique), qui veulent éviter la dictature des marchés.

Mais la dislocation de la zone euro serait un grave échec pour l’Europe, qui perdrait alors toute capacité à influencer l’évolution économique mondiale. Or, l’Europe a des messages à faire passer au monde : elle doit promouvoir son modèle social européen, se battre pour la gouvernance mondiale, pour une stratégie mondiale contre le réchauffement climatique, pour la mise au pas des marchés financiers… Des combats indispensables pour lesquels il faut une Europe forte.

La dislocation de la zone euro serait aussi du pain bénit pour les spéculateurs, qui empocheraient leurs bénéfices et pourraient de nouveau jouer sur les taux de change intra-européens. Elle obligerait les travailleurs européens à combattre les uns contre les autres, à coup de baisses de salaires et des protections sociales, de dévaluation des taux de change.
Il n’y a pas d’autre solution que le combat difficile pour un tournant de la zone euro vers une Europe sociale, écologique et solidaire. Il faut réaffirmer que les dettes publiques de la zone euro sont sans risques, et donc assurer que tous les pays puissent se financer au taux sans risque, 2 % à 10 ans actuellement.

Une grande réforme de la banque et de la finance doit purger celles-ci de leurs activités spéculatives. Une relance écologique doit être financée par l’épargne des Européens, collectée par des banques publiques de développement durable. Un plan coordonné doit réduire les déséquilibres en Europe. Un plan qui doit comporter des politiques expansionnistes (hausse des salaires et des dépenses sociales) dans les pays du Nord afin de résorber les déséquilibres commerciaux.

Il faut également une contre-révolution fiscale pour augmenter l’impôt sur les revenus exorbitants, les patrimoines des plus riches, les firmes multinationales. Enfin, il faut lutter contre l’évasion fiscale et la corruption, et pour la réindustrialisation dans les pays du Sud.

La zone euro doit choisir entre sortir des difficultés par le haut ou se dissoudre.

Illustration - Faut-il sortir de l’euro ?

Selon moi, la question est plutôt : « Est-ce que l’euro peut survivre dans la situation actuelle ? » À partir de là, devons-nous mettre toutes nos forces dans la défense de l’euro, au détriment de la croissance ? En fait, on doit se poser la question : faut-il laisser la zone euro éclater ?
Il faut en effet bien comprendre ce que signifie une défense à tout prix de l’euro. Aujourd’hui, on voit que les gouvernements, en particulier le gouvernement ­allemand (mais ce n’est peut-être pas le pire, de ce point de vue), tentent de sauver coûte que coûte la zone euro dans une surenchère de politiques d’austérité qui vont nous conduire directement à une dépression comme on en a connu au début des années 1930.

Or, ces politiques de dépression, qui sont d’ailleurs déjà à l’œuvre en Grèce et au Portugal, loin d’apporter des solutions, ne font qu’aggraver les problèmes ; je pense que, là-dessus, tous les économistes sont d’accord. Dans ces conditions, est-il encore possible de trouver des solutions qui permettraient de sauver la zone euro ?

On voit bien aujourd’hui que la seule solution, mais qui demeure théorique, résiderait pour l’essentiel dans une monétisation directe des dettes, ce que l’on appelait autrefois des avances faites aux trésors publics par la Banque centrale européenne. Mais on sait bien que l’on a sur ce point un blocage du côté allemand, bien qu’il ne faille pas mésestimer les raisons qui font que l’Allemagne n’est pas prête à accepter ce type de solutions.

Toutefois, si celles-ci ne sont pas possibles, la zone euro va éclater. Or, si elle éclatait, pour un pays comme la France, les inconvénients seraient largement compensés par les avantages, dans le sens où l’économie française souffre beaucoup du maintien de l’euro, qui est largement surévalué par rapport au dollar. C’est cette surévaluation que l’on pourrait corriger s’il y avait un mécanisme d’avances aux différents trésors publics octroyées par la Banque centrale européenne.

On sait ainsi, à partir des phénomènes d’élasticité croisée des importations et des exportations, que la France fait partie des pays qui auraient intérêt à dévaluer, et donc à sortir de la zone euro. Il se pose ensuite le problème de la spéculation sur les taux de change, mais il pourrait être résolu de manière très simple, je dirais même élégante, par des contrôles de capitaux et des interdictions d’un certain nombre d’opérations faites aujourd’hui sur les marchés. Dans la situation actuelle, nous n’avons pas à nous obstiner dans une défense à tout prix de la zone euro.

J’avais écrit en 2005 un article où j’expliquais que le problème n’était pas tant de sortir de l’euro que de faire évoluer cette zone euro vers quelque chose de plus gérable, avec une banque centrale qui intervient, et surtout avec une meilleure coordination des politiques budgétaires des différents pays. Nous sommes confrontés à un problème insoluble, qui est de faire fonctionner l’euro avec des économies beaucoup trop hétérogènes. Dans le cas de la France, si l’on sort de l’euro, on revient au franc : ce peut être relativement faisable, comme dans les pays de l’ex-Union soviétique, où l’on a créé des monnaies facilement !

Ce n’est pas la question d’un retour au franc qui doit nous servir de marqueur, mais de savoir si une sortie de l’euro est avantageuse pour la croissance. Compte tenu des politiques économiques mises en œuvre pour sauver l’euro, une sortie va probablement s’imposer comme une politique du moindre mal. Ce n’est pas la solution qui aurait eu mon assentiment en 2005, mais nous sommes aujourd’hui allés trop loin. Je pense donc qu’on va y être contraints. Et ce sera beaucoup moins douloureux qu’une dépression de l’ampleur à laquelle on peut s’attendre.

Clivages
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