Essai de la semaine : Comment l’argent est devenu asocial

Une sociologie de la richesse comme arme de destruction massive de l’État, par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot.

Pauline Graulle  • 6 septembre 2012 abonné·es

On ne présente plus les Pinçon-Charlot, ce couple de sociologues qui, après vingt-cinq ans d’immersion dans les alcôves feutrées des élites françaises, sont devenus les spécialistes incontestés de la grande bourgeoisie. Après leurs recherches sur les beaux quartiers de l’Est parisien ( les Ghettos du gotha, Seuil, 2007) et leur analyse énervée des liens unissant le « Président des riches » – Sarkozy – et les milieux d’affaires (La Découverte, 2010), les voilà remis en selle. Cette fois dans un mince ouvrage de conversation avec l’anthropologue Régis Meyran, ayant pour thème la mère de tous les maux : l’argent. Pas l’argent en soi, mais ce qui en est fait, autrement dit l’argent comme « résultat d’un ensemble de constructions sociales et de rapports de force entre les différents groupes sociaux ». Les nouvelles technologies et la dérégulation des marchés financiers l’ont rendu virtuel et de plus en plus impalpable, au point qu’il est devenu « véritablement asocial, alors que sa seule fonction devait être sociale ».

Monique et Michel Pinçon-Charlot montrent comment les vieilles familles ayant fait fortune sous l’ère industrielle – les mêmes qui, oscillant entre cynisme et bonne foi, pensent que « le système capitaliste est le seul qui soit naturel et imaginable, à l’image du soleil qui chauffe ou de la lune » – ont su placer leurs pions (et souvent aussi leurs enfants !) pour conserver leur place dans l’ère du tout-financier. Alors que, du fait de l’aggravation des inégalités, la guerre des classes fait rage, l’indéfectible allié des classes dominantes sème la division au sein même des classes populaires, que le système médiatique endort à grands coups de presse people, mettant en scène la richesse comme seul horizon enviable…

Pressions pour baisser le coût du travail, augmentation spectaculaire des revenus du capital dans l’enrichissement personnel, confiscation du pouvoir par les banques… Les sociologues rappellent que l’argent est avant tout une affaire d’hommes, et qu’il est donc éminemment politique. Pointant la « collusion » entre les financiers et des politiques en constants allers-retours entre public et privé, ils constatent que « les intérêts de la haute finance sont présents au cœur des institutions publiques », ne cachant pas leur inquiétude sur l’issue de la crise actuelle. L’argent, arme de destruction massive de l’État et des protections sociales, fossoyeur de la démocratie… « [C’est désormais] la classe des oligarques qui détient le monopole de la violence légitime », estiment les sociologues, reprenant la célèbre formule de Max Weber. La semaine dernière, un grand patron français qualifiait la mesure de François Hollande de taxer les « ultrariches » à 75   % de « viol » (sic)… Attention, non seulement, l’argent est devenu fou, mais ceux qui en ont trop aussi !

Idées
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