Solidaires : La nouvelle génération en luttes

Le sixième congrès de l’Union syndicale Solidaires entérine des changements à sa tête tout en réaffirmant un syndicalisme proche des salariés.

Thierry Brun  • 5 juin 2014 abonné·es
Solidaires : La nouvelle génération en luttes
© Photo : AFP PHOTO / FRED DUFOUR

La génération des quadras a pris la relève du syndicalisme « de luttes et de transformation sociale » lors du 6e congrès de l’Union syndicale Solidaires, qui s’est achevé le 5 juin à Dunkerque. Éric Beynel, de Solidaires Douanes, et Cécile Gondard-Lalanne, de SUD-PTT, sont les nouveaux porte-parole et délégués généraux d’un syndicat qui a grossi ses troupes depuis le congrès de 2010, revendiquant plus de 110 000 adhérents et près d’une soixantaine de syndicats membres. « Le passage de témoin est difficile, puisque ceux qui s’en vont à la retraite sont les créateurs des syndicats SUD », observe Jean-Michel Denis, sociologue qui étudie depuis plus de dix ans l’évolution de l’engagement syndical dans Solidaires [^2]. Les quadras succèdent à Annick Coupé, qui a quitté la CFDT à la fin des années 1980 pour créer SUD-PTT, et à Christian Mahieux, un des fondateurs de SUD-Rail. « Un douzième camarade, Julien Gonthier, adhérent de Solidaires Industrie, renforce le secrétariat national et est, à 30 ans, le benjamin », ajoute Cécile Gondard-Lalanne. Un « gros changement prend forme avec l’arrivée des salariés du privé, explique Jean-Michel Denis. On ne peut plus dire que Solidaires est un syndicalisme “d’ex”, c’est-à-dire de militants qui ont quitté leur organisation syndicale pour rejoindre Solidaires. Ce sont majoritairement des primo-adhérents. Et des jeunes générations qui n’ont pas le même capital militant puisqu’ils sont dans des organisations de travail qui ont énormément évolué par rapport aux fondateurs. »

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a défendu les « résultats » produits par « les accords de 2013 sur la qualité de vie au travail, la sécurisation de l’emploi, la formation professionnelle », en marge du 48e congrès qui s’est tenu à Marseille du 2 au 5 juin. Le dirigeant, confirmé à son poste par un congrès sans états d’âme, soutient fermement la ligne réformiste de la CFDT, laquelle s’accommode d’une réforme du marché du travail très controversée, sur fond de doutes. Dans un entretien au Journal du dimanche (le 1er juin), Berger reconnaît que les négociations avec le patronat sur les contreparties au pacte de responsabilité, comme l’emploi et la formation, « patinent ». Il estime que « le patronat fait de la surenchère » et, si rien ne bouge avant la conférence sociale de juillet, il demandera au gouvernement « de revenir sur sa politique de soutien aux entreprises ». La stratégie réformiste de la CFDT se heurte aussi aux difficultés rencontrées par les militants sur le terrain.

Les militants prennent aussi de plein fouet « la désespérance sociale que [la] politique gouvernementale  [de François Hollande] nourrit », mettant le syndicalisme « face à ses responsabilités », souligne le rapport d’activité présenté au congrès. Les récentes élections européennes ont montré que « le résultat sorti des urnes confirme qu’aucune organisation syndicale, y compris la nôtre, n’est épargnée par la montée de certaines idées du FN, qui a mené une campagne très habile sur le terrain social, avec des réponses sur lesquelles nous sommes totalement en désaccord », constate Annick Coupé, qui rappelle que l’Union syndicale est engagée depuis le début de l’année dans une initiative contre l’extrême droite avec la CGT et la FSU. Surtout, Solidaires, qui a gagné en représentativité, veut « rester un syndicalisme proche des salariés, qui favorise le lien entre les salariés et l’auto-organisation des salariés, même si c’est difficile ces dernières années », reconnaît Annick Coupé. « Les militants sont confrontés à des tensions permanentes entre l’institutionnalisation et leur projet syndical. Les syndicats participent à des négociations collectives et signent des accords collectifs dans un certain nombre de secteurs, tout en gardant ce projet de syndicalisme contestataire », relève Jean-Michel Denis. Le syndicat a déjà prévu de plancher sur cette question en créant une université de printemps en 2015. Le syndicat est certes toujours un « vilain petit canard », lance Jean-Michel Denis, mais, « il y a dix ans, personne n’aurait parié un kopeck sur le fait que Solidaires existe encore aujourd’hui et soit reconnu notamment par les pouvoirs publics ».

[^2]: Jean-Michel Denis et la sociologue Sophie Béroud ont présenté au congrès de Dunkerque les résultats d’une enquête sur l’engagement syndical dans Solidaires.

Travail
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