Steak (R)évolution : to beef or not to beef

En salles ce mercredi, le documentaire de Franck Ribière rend compte d’une quête de la meilleure viande. C’est aussi une critique de l’élevage industriel.

Jean-Claude Renard  • 4 novembre 2014
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Steak (R)évolution : to beef or not to beef
© Photo : François Guillot/AFP Photo : Emmanuel Dunand/AFP

Quatre continents, douze pays, deux ans de virée , quarante heures de rushes. Des images du Japon, de Grande-Bretagne, de Toscane, d’Espagne, des Etats-Unis, d’Argentine, de l’Aubrac… Tout ça pour dresser le top 10 des meilleures viandes à travers le monde. Steak (R)évolution se veut ainsi un road movie autour du billot, suivant les traces de l’un de ses meilleurs thuriféraires, Yves-Marie Le Bourdonnec. L’occasion, à ses côtés, de tirer le portrait, de rencontrer une série d’artisans, éleveurs, bouchers, restaurateurs.

On y croise ainsi un éleveur de bœuf à Kobé, Yuuto Kawagashi, diffusant jour et nuit du Mozart pour détendre son bétail, les nourrissant de pailles de riz finement hachées, un autre éleveur japonais massant ses bêtes au saké, un passionné de bidoche extravagant, Dario Cecchini, installé dans une table d’hôtes en Toscane, un éleveur espagnol de rubia gallega (la Blonde de Galice), pesant jusqu’à 2 000 kilos, élevée aux près durant quinze années, quand, aux Etats-Unis, la bête est abattue à ses dix-huit mois, gavée de céréales et de bouillies protéiques. Mais, surtout, si le film déroule une autre idée de la viande, prônant une viande grasse, celle persillant délicatement la chair, il met en avant un retour à l’élevage sur sol, avec un animal calé dans son paysage, nourri à l’herbe, loin de toutes productions industrielles alimentant la grande distribution.

Illustration - Steak (R)évolution : to beef or not to beef

Si le film est formellement très moyen (un montage parfois difficile à suivre, des plans qui manquent de précision), il se veut donc un véritable plaidoyer pour la bonne chair, porté par un artisan peu ordinaire : Yves-Marie Le Bourdonnec , un enfant de la DASS, devenu boucher par passion, fasciné par la gestuelle et la précision de l’exercice. Il est de ceux qui se sont le plus exprimé sur les derniers scandales alimentaires, notamment sur la présence de minerai de cheval dans les barquettes de lasagnes au bœuf, dénonçant le système opaque des circuits, le commerce des traders et militant pour une traçabilité des ingrédients.

En 1987, à dix-neuf ans, il ouvrait sa première affaire à Asnières, Le Couteau d’argent. Aujourd’hui, il est à la tête de trois boucheries. Il possède ses propres élevages et travaille avec d’autres éleveurs en Normandie, en Bretagne, dans le sud de la France, près d’Angoulême, dans le nord de l’Écosse, et jusqu’en Espagne. Ce sont autant de filières qu’il suit personnellement, équitables pour l’éleveur comme pour la boucherie, pour obtenir une viande de qualité.

Entretien avec Yves-Marie Le Bourdonnec

Politis : Steak (R)évolution plaide pour la bonne viande. Or, il apparaît difficile d’en trouver dans l’Hexagone. Pourquoi la France n’est-elle pas à la hauteur de l’Angleterre, en termes d’élevage ?

Yves-Marie Le Bourdonnec : On a cinq cents ans de retard sur l’Angleterre, qui a commencé à faire rôtir sa viande au XVIe siècle, en sélectionnant des animaux adaptés à ce mode de consommation. On ne les appelle pas les « rosbifs » par hasard. Pour nous, en France, le bovin est un compagnon, et non pas un animal qu’on va manger. C’est un animal qui fournit du lait, travaille dans les champs, qui est abattu à la toute fin de sa vie pour être consommé, essentiellement à la campagne, dans un plat bouilli. D’où le nombre de plats traditionnels bouillis en France, comme la garbure, le pot-au-feu, la carbonade ou le bourguignon.

A la fin du XIXe siècle, et à l’arrivée du tracteur, les bouchers français décident que trois races, que sont la charolaise, la limousine et la Maine-Anjou, seront nos races à viande, par leur volume et leur rendement musculaire. Le boucher a alors un raisonnement très commerçant : l’animal donne beaucoup de muscle, peu de gras et peu d’os. C’est aussi à la fin du XIXe siècle que la viande rouge entre dans les villes, s’adresse à la population citadine, aux rythmes très différents de la population rurale. Très logiquement, elle se met à rôtir la viande, mais une viande qui n’est pas adaptée à ce mode de consommation. C’est la raison pour laquelle on a arrêté la production de bœuf, qui produit plus de collagène que la femelle. On s’est ainsi retrouvé avec un surplus de productions de veaux, mâles, dont on ne sait que faire.

Dans les années 1960, la Communauté européenne organise le commerce de ces veaux vers l’Italie, pour pouvoir soutenir notre élevage. Finalement, jusqu’à la première crise de la vache folle, au début des années 1990, ce modèle se maintient tant bien que mal, grâce aux subventions européennes et une alimentation céréalière bon marché. C’est ce marché de la céréale qui change la donne, quand il est spéculé, laissant voir ouvertement que notre modèle n’est pas le bon. Du coup, en moins de vingt ans, on a perdu entre 30 et 40 % de notre production bovine.

Vous dites que la viande rouge est à réinventer… Mais comment ?

Qu’est-ce qu’un bon steak ? On sait qu’il doit être tendre et goûteux. Cela se traduit par une viande pauvre en collagène, avec un bon équilibre de gras. Il faut sortir de la phobie du gras. Cela renvoie à un animal jeune, qui arrive très tôt à l’âge adulte. Si les Anglais réussissent mieux dans ce domaine, c’est parce qu’ils privilégient cet élevage bovin, en sélectionnant la docilité, pour éviter le stress et faciliter la manipulation, en sélectionnant aussi des animaux précoces, favorisant une viande plus tendre, et ceux qui produisent du gras. Enfin, ils ont choisi un animal qui se nourrit de son paysage.

Illustration - Steak (R)évolution : to beef or not to beef

Quel est l’avenir de l’élevage industriel ?

En France, comme dans le monde, l’élevage industriel n’a aucun avenir. A l’échelle mondiale, il ne sera bientôt plus possible de produire comme on le fait, sinon, on risque de bouffer notre planète ! L’avenir est à l’élevage à l’herbe, à un élevage écologique. Ce qui signifie qu’il nous faut maintenant identifier les animaux qui sont capables de se nourrir d’herbe. Il faut donc retrouver, en France, des races comme l’Aubrac, la Salers, la Normande, inscrites dans leur terroir, qui se nourrissent de leur paysage. Il s’agit de réutiliser ces races, de les croiser avec des races précoces qui permettront d’avoir une viande parfaitement adaptée au goût du jour, et surtout indépendante des marchés céréaliers.

Quel regard portez-vous sur les discours radicaux qui entendent éliminer toute viande de l’assiette ?

Il y en aura plus pour les autres ! C’est tant mieux et tant pis pour Franz-Olivier Giesbert et Aymeric Caron ! C’est sans doute un problème de névrose citadine ! Mais l’homme est un carnivore. Il l’a toujours été. L’animal a un instinct naturel. Regardez le panda : seul animal à être passé de l’omnivore au végétal. Résultat, aujourd’hui, il est en voie de disparition !

Que pensez-vous du statut du bien-être de l’animal ?

Chez les éleveurs, on sait de quoi il s’agit. Tous les éleveurs sont inscrits dans la docilité, justement pour éviter le stress de l’animal. C’est une obsession chez eux. Ce n’est sûrement pas le cas du chiwawa de la mère Michu. Son sort est-il plus enviable que le cochon du père Michu qui sera parfaitement nourri et traité avant de donner du bon jambon ? Sûrement pas ! Le chiwawa, enfermé dans un appartement, n’a pas vocation à remédier aux maux de son propriétaire !

Si vous défendez une viande de qualité, celle-ci peut-elle être accessible à tous ?

On n’est pas obligé de manger de la viande tous les jours. De toutes façons, on ne pourra pas le faire. Tout le monde ne peut pas et ne doit pas manger de la viande tous les jours. Si on en mangeait autant que les Américains, il serait urgent de trouver deux autres planètes. Il s’agira de réguler notre consommation. Cette régulation se fera suivant la capacité à produire sainement, dans un modèle vertueux, c’est-à-dire à l’inverse de ce que propose la grande distribution. Dans tous les cas, la viande ne peut pas être bradée. Parce que cela signifierait brader un paysage, et brader un modèle social. Il faut savoir qu’à chaque fois qu’un éleveur cesse d’exercer, c’est un champ de maïs qui pousse après. Veut-on un paysage de champs de maïs ? !

Steak (R)évolution (2 h 10).


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