Liêm Hoang-Ngoc : « Le programme de Syriza est réaliste »

L’économiste et ancien député européen socialiste Liêm Hoang-Ngoc explique comment la volonté de Syriza de renégocier la dette grecque est un enjeu de sortie de crise pour toute la zone euro.

Charles Thiefaine  • 29 janvier 2015 abonné·es
Liêm Hoang-Ngoc : « Le programme de Syriza est réaliste »
Liêm Hoang-Ngoc est coauteur du rapport d’enquête du Parlement européen sur le rôle et les activités de la troïka, adopté en mars 2014.
© Matt Cardy/Getty Images/AFP

Les difficultés commencent pour le gouvernement d’Alexis Tsipras. Le nouveau Premier ministre grec souhaite entamer des discussions avec ses partenaires créanciers pour résoudre le problème de la dette publique grecque. Faut-il l’effacer, la renégocier, la rééchelonner ? Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a déclaré lundi qu’une réduction de la dette grecque ne figurait pas dans son agenda alors que Syriza veut sortir du carcan de la dette.

La question de la dette grecque revient au premier plan en Europe. Va-t-on vers la suppression d’une partie de celle-ci comme l’envisage Syriza ?

Liêm Hoang-Ngoc : La restructuration de la dette grecque est au cœur du programme de Syriza. Alexis Tsipras, le Premier ministre, va s’appuyer sur la légitimité obtenue lors de ces élections pour obtenir le moratoire dont il a besoin. L’objectif est de libérer 12 milliards d’euros pour financer un plan de relance. Cette somme ne me paraît pas inconsidérée. Ce programme est tout à fait réaliste. Il prévoit d’indexer les échéances de remboursement des créanciers sur la reprise de l’économie sans laquelle il n’y aura pas de désendettement. On voit mal comment les créanciers pourraient refuser de négocier sur la base d’un plan de relance qui permettrait à la fois de retrouver la croissance et de désendetter le pays.

Pensez-vous qu’il est indispensable de supprimer une partie de cette dette ?

Le Fonds monétaire international (FMI) a lui même évoqué cette hypothèse en janvier 2014. Il estime qu’une dette devient insoutenable au-dessus de 120 % du PIB. Or, en 2010, avant l’entrée en vigueur des mémorandums de la troïka [^2], la dette grecque était déjà de 129 % du PIB. Dès le début de la crise dans la zone euro, le FMI était favorable à une restructuration afin d’éviter une austérité budgétaire brutale. L’Allemagne, la France et la Grèce, dont les banques détenaient des titres grecs, s’y sont opposées. La première restructuration est intervenue lorsque la situation est devenue intenable en 2012. Elle a été insuffisante.

Le problème est que la restructuration de la dette souveraine ne concerne pas que la Grèce…

Dans les quatre pays concernés par des programmes d’ajustement économique (Chypre, Grèce, Irlande et Portugal), les facteurs d’instabilité économique, qui étaient présents avant la mise en œuvre des mémorandums de la troïka, se sont aggravés. L’Irlande ou le Portugal ont, certes, à nouveau accès au marché pour financer leur dette. Mais la croissance est restée partout atone et les taux d’endettement ont explosé malgré les réformes imposées par la troïka. Par exemple, en Grèce, la dette a atteint 175 % du PIB, soit plus de 320 milliards d’euros. Le bilan économique de la troïka est catastrophique et sa légitimité démocratique est contestée par le Parlement européen. Syriza est en position favorable pour renégocier les mémorandums et la dette.

Supprimer une partie de la dette grecque aura-t-il un impact sur les économies des pays de la zone euro ?

Il ne s’agit pas d’effacer l’intégralité de la dette. Par ailleurs, avant la première restructuration, en 2012, la Banque centrale européenne (BCE) avait racheté de la dette grecque sur le marché secondaire pour alléger les pertes des banques allemandes, françaises et grecques qui détenaient la dette publique grecque. La BCE détient désormais 34 milliards de dette grecque. En cas de nouvelle restructuration, elle pourrait prendre ses pertes pour éviter de mettre excessivement à contribution les autres créanciers, parmi lesquels les États et leurs contribuables. Cela serait cohérent avec la «  quantitative easing  » qu’elle promeut depuis le 22 janvier, c’est-à-dire le rachat massif de dettes souveraines. Ainsi, si la BCE prenait ses pertes à hauteur de quelques dizaines de milliards, cela reviendrait à créer autant de liquidités. Cela n’est pas aberrant, alors que la déflation s’installe en Europe.

Syriza veut interrompre les programmes d’austérité de la troïka. Est-ce possible ?

C’est envisageable, tant « les réformes structurelles » ont été poussées le plus loin possible. Elles ont cassé la consommation et l’investissement. En relevant le salaire minimum au niveau auquel il était avant les mémorandums, en relançant l’investissement dans les services publics, en assurant l’accès des plus démunis aux soins et à l’électricité, en rétablissant la justice fiscale, le programme de Syriza est tout à fait adapté à la situation. Pour le financer, Tsipras entend obtenir un moratoire sur une partie de la dette grecque, tout comme l’Allemagne l’avait obtenu pour sa propre dette lors de la conférence de Londres en 1951. Il dispose de l’onction du suffrage universel. Tous ceux qui pensent que l’austérité en Europe est une erreur doivent le soutenir.

[^2]: La troïka regroupe la Banque centrale européenne, la Commission européenne et le Fonds monétaire international.

Politique
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