Siné tire sa révérence

Ce sera donc le dernier bras d’honneur du caricaturiste. Siné est mort ce matin, à 87 ans, des suites d’une opération, à l’hôpital Bichat, à Paris.

Jean-Claude Renard  • 5 mai 2016
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Siné tire sa révérence
© Photo : MARTIN BUREAU / AFP / Extrait du film de Stéphane Mercurio MOURIR ? PLUTÔT CREVER ! (2010)

Ça m’énerve grave. Depuis quelque temps, vous avez dû remarquer que je ne nageais pas dans une joie de vivre dionysiaque ni dans un optimisme à tous crins, ce qui est pourtant mon penchant habituel. Je ne pense, depuis quelque temps, qu’à ma disparition prochaine, sinon imminente, et sens la mort qui rôde et fouine sans arrêt autour de moi comme un cochon truffier. Mon moral, d’habitude d’acier, ressemble le plus souvent maintenant à du mou de veau !

C’est horriblement chiant de ne penser obsessionnellement qu’à sa mort qui approche, à ses futures obsèques et au chagrin de ses proches ! Je pense aussi à tous les enculés qui vont se frotter les mains et ça m’énerve grave de crever avant eux !

Heureusement que vous êtes là, admirateurs inconditionnels, adulateurs forcenés… vous ne pouvez pas savoir comme vos messages me font du bien, un vrai baume miraculeux ! Et banzaï malgré tout !

PS : Puisqu’une fois évacuée, la flotte continue d’envahir mon poumon, après maints revirements et changements de cap, l’opération est finalement programmée pour aujourd’hui, mercredi. Alea jacta est, comme dirait ce connard de César ! Je n’en mène pas trop large, je vous l’avoue et je serre les fesses comme un pressoir à olives pour évacuer le stress !

Il jaugeait son cancer depuis quelques lurettes. On sait déjà où il sera inhumé : au cimetière Montmartre, trentième division. Siné avait tout prévu, de longue date. Dans Mourir ? Plutôt crever !, remarquable film documentaire de Stéphane Mercurio, sa belle-fille, on le voit hilare avec Benoît Delépine s’enquérir de sa tombe, choisir un bronze symbolique ornant le caveau : une espèce de cactus virant résolument au doigt d’honneur. L’épitaphe est déjà inscrite, copie conforme au titre du film. Mourir ? Plutôt crever ! Morale ad vitam aeternam, et parti-pris. C’est donc fait. Siné a même prévu le beaujolais pour la cérémonie et son cheptel de titres jazz.

De son vrai nom, Maurice Sinet, le caricaturiste laisse une œuvre (et une vie) considérable. L’impression d’un réfractaire à tout, surtout à l’autorité, à l’ordre établi. En anticlérical et antimilitaire tôt assumé, anticolonialiste aussi. A la guerre d’Algérie d’abord qu’il refuse, dénonce, exprime dans L’Express, avant de quitter le journal pour créer Siné massacre, de concert avec l’éditeur Jean-Jacques Pauvert. Marque de fabrique : un humour noir, cinglant, politisé.

Mais Siné va rester surtout pour avoir été une figure essentielle de Charlie Hebdo, dès 1981. Jusqu’à être évincé du journal en 2008 par Philippe Val, lui reprochant un article jugé antisémite autour de Jean Sarkozy, fils de, se mariant avec la fille du fondateur de la chaîne Darty. La justice lui donnera raison. Mais, ne lâchant rien, Siné rebondira en créant son propre journal, Siné Hebdo, devenant Siné Mensuel, faute de moyens. Où se bousculent les plumes de Guy Bedos, Christophe Alévêque ou encore Didier Porte. Hospitalisé (mais increvable ! ! ha ha ! dirait-il), sur son lit d’hôpital, avant de mourir, le caricaturiste songeait encore à la prochaine une de son journal. Des heures avant encore, il confiait sa méfiance à l’égard de la grande faux, pas dupe de l’entourloupe :

Bon vent du côté de la trentième division de Montmartre. Tandis que Siné Mensuel entend bien continuer.

Temps de lecture : 3 minutes
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