La gauche fait sa rentrée

Le week-end du 27 août, pas moins de cinq mouvements ont tenu leurs meetings ou universités d’été, avec pour premier objectif les primaires.

Patrick Piro  et  Michel Soudais  et  Pauline Graulle  • 31 août 2016 abonné·es
La gauche fait sa rentrée
© Photo : LIONEL BONAVENTURE/AFP

Comme une bouffée d’air frais. Après un été pollué par les surenchères sécuritaires et la polémique sur le burkini, les formations de la gauche contestataire et les écologistes d’EELV, qui tenaient en fin de semaine et le week-end dernier leurs universités d’été, ont eu à cœur de mettre en débat d’autres questions. Pas moins de cinq de ces rassemblements se tenaient en des lieux distincts. De quoi couvrir un peu les assauts démagogiques des principaux prétendants à la primaire de la droite, qui faisaient également leur rentrée chacun de leur côté, le PS ayant pour sa part renoncé à son traditionnel rendez-vous de La Rochelle.

Hamon ou la « concorde »

Malgré l’embouteillage sur la route médiatico-politique ce week-end, pour Benoît Hamon, dimanche 28 août, à Saint-Denis (93), la presse était (quand même) là. Et « L’Usine », où se tenait le rassemblement des hamonistes, était pleine à craquer. Plus de 800 personnes venues ovationner leur champion avant son entrée en piste pour la primaire socialiste.

À la tribune, Benoît Hamon manque un rien de souffle. « Je vais en finir, parce que, de toute façon, je dégouline [de sueur] », plaisante-t-il. C’est que son discours de politique générale est touffu. Une heure et demie pour mêler (et démêler) ses réflexions et propositions sur la rénovation de la politique européenne, la lutte contre l’islamophobie, l’orientation scolaire, l’écologie, la culture, et l’économie, bien sûr, que l’ancien ministre de l’Économie sociale et solidaire veut « rénover en profondeur ».

Entre deux piques contre François ­Hollande et Manuel Valls, celui qui veut abroger la loi El Khomri et réduire le temps de travail prône une « économie altruiste ». Loin des oukases d’une Union européenne obsédée par les sacro-saints 3 % de déficit. « Si on veut sauver l’Europe, il faut la politiser ! », lance-t-il, citant en exemple l’alliance des gauches au Portugal et appelant à des « alliances nouvelles ». Avec Corbyn, ­Tsipras, Iglesias… ­Histoire au passage de se ­démarquer du « retour illusoire aux souverainetés nationales » porté par Arnaud Monte­bourg, chantre du « Made in France », ou par un Jean-Luc Mélenchon pour qui quitter l’Union n’est plus inenvisageable.

La concurrence à gauche, ça ne le dérange pas plus que ça, Benoît Hamon. Contre les clivants personnages (Valls, Mélenchon, ou Montebourg), il vante la « concorde » et la « tempérance ». En pensant aux mêmes, il moque la « passion narcissique des hommes providentiels ». Se dit sûr de son positionnement. Et clair. Sur le burkini, Jean-Luc Mélenchon se montre ­laïcard et Arnaud Montebourg d’une discrétion de violette ? Lui fait valoir une tolérance sans ambiguïté. Et quand son ancien collègue du Redressement productif défend le gaz de schiste, il promet une candidature 100 % écolo-compatible.

« Aujourd’hui, il donne un cap, le programme, il le construira collectivement par la suite », assure son entourage. Côté story­telling, en revanche, tout est ficelé. Un petit clip bien senti raconte le parcours mental de ce hollandais pénitent. « Comme vous, j’y ai cru » apparaît en lettres blanches sur des images d’un Benoît Hamon hurlant de joie le soir de la victoire en 2012. Suivent la désillusion (« Comme vous, j’ai été trompé ») puis la rédemption (« On reprend la main »). Un électeur de Hollande comme un autre, on vous dit !

Les photos de Cécile Duflot et de Pierre Laurent qui apparaissent sur l’écran laissent présager de la suite. « Moi, je me mets au service de l’unité et du rassemblement », relance Benoît Hamon. Bientôt, promet-il, des grands noms de la politique vont se rallier à lui. Martine Aubry, pour qui il a voté à la précédente primaire ? « Je l’ai informée que je me présentais. » Christiane Taubira, qui avait soutenu Monte­bourg en 2011 ? Un sourire sibyllin. Celui qui ne veut pas entendre parler de « gauches irréconciliables » peine pourtant à expliquer l’éparpillement actuel. Et si François Hollande remporte la primaire, comment pourra-t-il jouer le jeu de se rallier à lui ? « Sincèrement, je crois que ce n’est pas possible. »

Oui, il y croit. Du moins, veut-il le faire croire. Qu’importe si un sondage du Point (réalisé début juillet) le donne derrière Arnaud Montebourg. « Au PS, on est très nombreux à soutenir Benoît. Ça fait tellement de bien, ce qu’il dit », sourit Sandrine Charnoz, conseillère de Paris. Le candidat peut certes compter sur l’important réseau de son courant (Un monde d’avance), qui rassemble la plupart des députés frondeurs (Barbara Romagnan, Pascal Cherki, Fanélie Carrey-Conte, Mathieu Hanotin…). Mais aussi sur le mouvement des Jeunes Socialistes, qu’il présida longtemps et dont il reste l’éternel président de cœur.

Dans la foule, Thomas, militant socialiste, a lui aussi vécu la grande désillusion hollandiste. Alors, cette fois, c’est un peu la dernière chance. Benoît Hamon, ça passe ou… « On est de plus en plus nombreux à se dire que tout est ouvert. Hamon, c’est le dernier espoir avant la sortie. Du PS. Ou même de la politique. »

Ensemble !, des débats de fond

Le mouvement Ensemble ! a tenu sa 3e université d’été du 27 au 30 août à Guidel, près de Lorient. Quelques frayeurs mi-août devant le faible nombre d’inscrits. Finalement, un honnête contingent de 350 militants est venu au rendez-vous. Dans une rencontre peu affectée par les stratégies préélectorales, et qui s’assume d’abord comme une université populaire, les débats de fond suscités par l’actualité traversent le programme – crise sociale, écologique et démocratique, transition écologique, changer le travail, propositions pour l’Union européenne… La salle Gavrinis est pleine pour le débat sur la laïcité « en dispute ». Des échanges de haute tenue sur les contours réels (et non fantasmés) de la loi de 1905 sur la laïcité et sur le rôle politique d’un mouvement de gauche et écologiste « qui n’a surtout pas à se prononcer sur les croyances individuelles ».

EELV, de bonne humeur quand même

Soleil, chaleur et vent frais, Lorient a bénéficié du beau temps national sans trop souffrir de la canicule. Une météo à l’unisson de l’humeur des écologistes, lors de leurs Journées d’été (25-27 août) au Palais des congrès, avec des salles souvent bondées : 1 500 participants, alors que 1 000 programmes seulement avaient été tirés. Les organisateurs, par prudence, avaient intériorisé une probable désaffection après la cascade de revers subis l’an dernier par EELV. Mais, à Lorient, on semble avoir archivé l’hémorragie de parlementaires, la disparition du groupe écologiste à l’Assemblée, le mauvais résultat aux régionales, le débauchage surprise de la secrétaire nationale par le gouvernement, l’affaire Baupin ou encore le forfait de Nicolas Hulot pour la compétition présidentielle. « Car tout n’est pas négatif, explique une militante. En interne, on va dans le sens d’une clarification des orientations. »

Les petites affaires de la primaire, qui devra désigner fin octobre le porte-étendard des écolos pour la présidentielle, ne plombent pas l’ambiance : les candidats – Cécile Duflot, Yannick Jadot et Karima Delli – respectent un pacte de non-agression. Tout juste s’émeut-on (un peu) des difficultés de Michèle Rivasi à réunir les 36 parrainages qui lui permettraient de rejoindre le trio.

Mais la bonne humeur militante n’a pas le pouvoir de dissoudre les défis posés au mouvement. S’il n’est pas à son crépuscule (comme on a pu le lire), il ne compte plus que 6 000 adhérents (après avoir dépassé 17 000 à la suite du succès européen de 2009), il est en panne de stratégie électorale après sa « rupture » avec le PS, ses propositions peinent toujours autant à séduire les électeurs, et il pourrait ne conserver qu’une poignée de députés en juin prochain.

Ces Journées d’été avaient inscrit à leur programme toutes les questions chaudes du moment : quelle stratégie face à l’extrême droite, comment se rassembler à gauche, sortir de l’immobilisme nucléaire, une autre loi « travail », le futur de l’Union après le Brexit, s’outiller face aux lobbys qui minent la démocratie… Avec pour suggestion d’alimenter de manière participative une plateforme programmatique. Pourtant, parmi les 70 ateliers, nombre en sont restés au stade de l’échange. Des voix s’élèvent de ci, de là : « Les constats ça suffit, nous les connaissons tous ! Je croyais que nous devions produire des propositions ! » L’heure du rebond n’a pas encore sonné…

Décryptages et débats au PG

Au Parti de gauche, le Remue-méninges est traditionnellement un moment de formation, théorique et pratique tout autant qu’un lieu de débat. Ouverte aux sympathisants, l’édition 2016, qui précédait à Toulouse le pique-nique de « La France insoumise », a vu passer 900 personnes dans les locaux neufs de l’université Jean-Jaurès (ex-Mirail), selon Éric Coquerel, co-coordinateur du parti. Elles ont pu assister à des « décryptages » sur l’écosocialisme et les grands projets inutiles et imposés, les politiques migratoires en Europe, la politique monétaire et la financiarisation de l’économie, la violence dans les mouvements sociaux…

Signe de l’importance qu’attache le PG à la reconquête de l’électorat populaire, Mathilde Panot, initiatrice de la « Caravane insoumise », qui est allée à la rencontre des habitants d’une cinquantaine de quartiers populaires pour leur faire connaître leurs droits et les inciter à s’inscrire sur les listes électorales, a transmis son expérience avec l’objectif de multiplier ce type d’action d’ici à la fin de l’année. Tandis qu’une table ronde au titre explicite, « La révolution citoyenne ne se fera pas sans les quartiers populaires ! », réunissait deux élus de Saint-Denis et de Limoges, et l’animateur de l’association Les Oranges.

Plusieurs débats reflètent les interrogations du PG. Ainsi en est-il du revenu universel – défendu par Corinne Morel Darleux mais contesté par Éric Coquerel –, mis en concurrence avec le partage du temps de travail. Ou encore du « protectionnisme solidaire », qu’un atelier proposait comme alternative au Tafta. Mais aussi de la politique à suivre en matière d’éducation « après un quinquennat de renoncement ».

L’appel au dialogue du PCF

Des dizaines d’ateliers sur les sujets les plus variés figuraient au menu des 800 communistes annoncés à l’université d’été d’Angers. À charge pour Pierre Laurent d’en faire la recension dans son discours, prononcé samedi. Le numéro un du PCF a esquissé les propositions de son parti pour « construire un nouveau pacte républicain » qui retrouve « la République partout et la République pour tous ». Assurant avoir « du commun » avec Arnaud Montebourg et Jean-Luc Mélenchon, mais aussi avec les écologistes, il a renouvelé son appel au dialogue de « toutes les forces de gauche » pour « faire émerger les lignes possibles d’un pacte commun » pour la présidentielle ou les législatives. Inquiet à la perspective d’une « campagne uniquement dictée par Nicolas Sarkozy et le FN », il a enjoint à la gauche d’« élever le niveau de ce débat par son projet ».

Politique
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