La Cour de cassation s’inquiète d’un dernier décret de Manuel Valls

Une réforme judiciaire, signée par Manuel Valls et Jean-Jacques Urvoas, place la plus haute juridiction française « sous le contrôle direct » du gouvernement, « en rupture avec la tradition républicaine ».

Michel Soudais  • 7 décembre 2016
Partager :
La Cour de cassation s’inquiète d’un dernier décret de Manuel Valls
© Photo : Jean-Claude Marin et Bertrand Louvel (LIONEL BONAVENTURE / AFP).

Le premier président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel, et son procureur général, Jean-Claude Marin, ont rendu public mercredi 7 décembre un courrier réclamant des « explications » au Premier ministre Bernard Cazeneuve. « Nous vous serions obligés de bien vouloir nous recevoir », écrivent les deux plus hauts magistrats de France.

La raison de cette demande inhabituelle ? Un décret du 5 décembre 2016, réformant « l’inspection générale des services judiciaires », en d’autres termes le contrôle par l’exécutif des juridictions judiciaires. Pour les magistrats de la Cour de cassation, cette réforme judiciaire revient à placer la plus haute juridiction française « sous le contrôle direct » du gouvernement, « en rupture avec la tradition républicaine ».

Alors qu’auparavant ce contrôle se limitait aux juridictions « du premier et du second degré », en clair les tribunaux de grande instance et les cours d’appel, le décret du 5 décembre supprime cette précision, faisant de facto entrer la Cour de cassation dans le champ. Or, jusqu’ici, la plus haute juridiction française se contrôle elle-même, faisant une fois par an un rapport sur son fonctionnement à l’occasion de sa rentrée solennelle. Elle peut par ailleurs être auditée par la Cour des comptes, qui veille au bon usage des deniers publics.

Ce serait le signe – après des mois de brutalité gouvernementale de son prédécesseur – d’un changement d’état d’esprit dans le rapport du gouvernement à la société et aux institutions.

Pour le député Pouria Amirshahi (ex-PS), qui s’est fait l’écho de l’inquiétude des magistrats, « ce dernier cadeau de Manuel Valls à son successeur est un signe supplémentaire de la fragilisation continue de notre État de droit, dont la séparation des pouvoirs est l’un des piliers ». Dans un communiqué, il annonce avoir demandé au nouveau Premier ministre Bernard Cazeneuve de revenir sur ce décret :

Il est très rare que les chefs de la Cour de cassation interpellent l’exécutif. MM. Louvel et Marin l’avaient toutefois fait en octobre pour reprocher au président François Hollande des propos sur la « lâcheté » des magistrats, cités dans un livre des journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme.

À lire >> « Humiliés », les hauts magistrats répliquent sèchement à François Hollande

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

« On ne pourra pas vaincre l’orpaillage illégal seulement par la répression »
Entretien 26 novembre 2025 abonné·es

« On ne pourra pas vaincre l’orpaillage illégal seulement par la répression »

Joël Sollier, procureur général de la République en Guyane, décrit l’organisation des réseaux d’orpaillage illégal sur le Haut-Maroni et les moyens à déployer pour une lutte efficace.
Par Tristan Dereuddre
Victor Collet : « À Exarchia, l’absence de police a facilité des formes d’expérimentation sociales »
Entretien 26 novembre 2025 abonné·es

Victor Collet : « À Exarchia, l’absence de police a facilité des formes d’expérimentation sociales »

Le sociologue raconte dans son nouvel essai, Vivre sans police. Du long été au crépuscule d’Exarchia (Agone), la façon dont ce quartier d’Athènes, au cœur de la contestation durant la crise financière grecque, a vécu une décennie sans police à partir de 2008. Il y explore l’évolution du mouvement anti-autoritaire, entre expérimentations politiques et déchirements internes.
Par Pauline Migevant et Olivier Doubre
L’affaire Tran, exemple malheureux d’une justice à deux vitesses
Décryptage 25 novembre 2025

L’affaire Tran, exemple malheureux d’une justice à deux vitesses

112 plaignantes, 1 gynécologue… et 11 ans d’instruction. En 2027, le docteur Tran sera jugé pour de multiples viols et agressions sexuelles. Plaintes ignorées, victimes oubliées, délais rallongés… Cette affaire témoigne de toutes les lacunes de la justice en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Par Salomé Dionisi
La République des saints
Humour 23 novembre 2025

La République des saints

Sarkozy, Jésus, Le Pen, Icare…Vous voyez le lien ? Nous non plus… Par chance, Améziane, humoriste, nous l’explique.
Par Ameziane