Le président des super riches

Les baisses massives d’impôt voulues par Emmanuel Macron bénéficieront aux plus fortunés, au nom d’une « théorie du ruissellement » purement idéologique.

Michel Soudais  • 19 juillet 2017 abonné·es
Le président des super riches
© photo : Martin BUREAU/POOL/AFP

Avec Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy a trouvé son successeur. Et peut-être bien son maître. Si le nouveau locataire de l’Élysée ne modifie pas ses projets fiscaux et les réformes de structures qui, selon lui, sont indissociables, il apparaîtra vite comme le (nouveau) « président des riches ». Caricature ? Non. Les baisses d’impôts massives prévues l’an prochain d’un montant de près de 11 milliards d’euros, leur distribution et la nature des taxes supprimées parlent d’elles-mêmes.

Exposées avant le débat d’orientation budgétaire prévu ce jeudi 20 juillet, ces baisses visent à « créer un effet de souffle fiscal en faveur de l’investissement, de l’emploi et de la croissance », explique Édouard Philippe dans un entretien aux Échos (12 juillet). Après quelques tergiversations, le gouvernement a choisi, sous la pression des milieux d’affaires, d’« accélérer » le rythme « afin de maximiser les effets économiques de cette stratégie », justifie le Premier ministre, qui reconnaît que réduire la pression fiscale de près de 0,6 point de PIB, « c’est un effort considérable ». D’autant que le gouvernement entend « en même temps », suivant la formule macronienne, contenir le déficit sous la barre des 3 % exigée par Bruxelles, ce qui va l’obliger à dégager quelque 20 milliards d’euros d’économies supplémentaires, après les 4,5 milliards rabotés dans tous les ministères pour finir 2017 dans les clous.

À qui profitera cet « effort considérable » qui, en obligeant les structures de l’État, les collectivités locales et la Sécurité sociale à se serrer la ceinture, annonce une austérité accrue ? Aux ménages et aux entreprises, assurent Emmanuel Macron et ses ministres. Voire. Sur les baisses de prélèvements obligatoires annoncées, 6,5 milliards concernent des mesures décidées sous François Hollande : la montée en charge du CICE, le crédit d’impôt pour les associations, l’extension aux retraités non imposables du crédit d’impôt sur les services à la personne et la poursuite de la baisse du taux de l’impôt sur le revenu à 28 %.

Dans les mesures du gouvernement d’Emmanuel Macron, la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages, dont une première étape interviendra en 2018 à hauteur de 3 milliards, a les apparences d’une mesure de justice sociale. Mais le gain de pouvoir d’achat qu’elle devrait procurer a tout d’une arnaque. Comme s’il s’agissait de faire accepter une autre mesure, tout aussi coûteuse, quoique destinée à satisfaire un tout petit public : la réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) qui prévoit de concentrer dès 2018 cet impôt emblématique sur le seul patrimoine immobilier, exonérant les détenteurs d’actifs financiers. Or, le patrimoine des 500 plus grandes fortunes de France, qui s’est accru de 26 % l’an dernier et a été multiplié par 7 en deux décennies – sur la même période le PIB a seulement doublé –, est essentiellement constitué de ces actifs financiers. Les 3 milliards d’euros de cette réforme iront donc essentiellement grossir leur fortune.

Parallèlement, le gouvernement met en place en 2018 un prélèvement forfaitaire unique de 30 % sur les revenus de l’épargne (actions, obligations…) correspondant à la tranche moyenne de l’impôt sur le revenu (IR). Cette « flat tax » qui représente une baisse d’impôt « d’environ 1,5 milliard d’euros », selon Édouard Philippe, ne bénéficiera qu’aux foyers relevant des deux dernières tranches de l’IR, dont le taux d’imposition est de 41 % (revenus supérieurs à 71 898 euros pour un célibataire) ou 45 % (supérieurs à 152 260 euros). Les contribuables déclarant moins de 26 818 euros, imposés au taux maximum de 14 %, y perdront en revanche s’ils tirent des revenus d’une épargne placée sur des produits non défiscalisés, comme le livret A. Le taux de ce dernier, principal collecteur de l’épargne populaire, aurait dû être relevé à 1 % au 1er août, la moyenne de l’inflation (hors tabac) sur les six premiers mois de l’année étant ressortie à 1,05 %. Mais le ministère de l’Économie et des Finances a décidé de suivre la recommandation du gouverneur de la Banque de France, lequel a choisi de ne pas suivre la formule de calcul du taux théorique. Ce qui va faire perdre de l’argent aux épargnants modestes.

« Au niveau purement fiscal, il y a une concentration du choix de l’outil de redistribution vers les ménages les plus riches », estime le président de l’Office français des conjonctures économiques (OFCE), Xavier Ragot (voir la chronique de Dominique Plihon). Des plus riches qui sont, pour Emmanuel Macron, des _« investisseurs » qu’il faut attirer et cajoler en vertu de la croyance néolibérale, appelée « théorie du ruissellement », qui prétend que l’enrichissement des plus riches bénéficie à la croissance et donc à l’emploi.

Le 7 juillet, le Premier ministre a ainsi présenté une série de mesures pour renforcer l’attractivité de la place financière de Paris et bénéficier du Brexit, face à Francfort, Luxembourg ou Dublin. La tranche supérieure de la « taxe sur les salaires », pesant notamment sur les gros salaires du secteur financier, va être supprimée ; les « bonus » parfois considérables du secteur financier seront exclus du calcul des indemnités de licenciement des employés « preneurs de risques » (traders, etc.), ce qui profitera à leurs employeurs. Et, pour couronner le tout, l’extension de la taxe financière française (TFF), qui devait initialement s’étendre en 2018 aux transactions « infrajournalières » (« intraday », dans le langage financier), sera « supprimée ». Estimation du manque à gagner : de 2 à 4 milliards d’euros.

Toutes ces réformes annoncées ont reçu lundi les chaudes félicitations du Fonds monétaire international (FMI), qui les juge « ambitieuses » et « courageuses ». Pour le FMI, la volonté de réduire le déficit public par de profondes réformes à tous les niveaux des administrations, la réforme du marché du travail et les réformes fiscales projetées devraient « fortement contribuer à résoudre les défis économiques » auxquels est confrontée la France « de longue date ».

Ce satisfecit va à l’encontre des conclusions d’économistes du même FMI qui, dans une étude sur les causes et les conséquences des inégalités, présentée en juin 2015, ont contesté la « théorie du ruissellement ». Un mois auparavant, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avait également établi que l’augmentation des inégalités entre 1985 et 2005 avait coûté en moyenne près de 4,7 points de croissance cumulée dans les pays avancés. La conclusion de ces économistes du FMI était que, pour réduire les inégalités et soutenir la croissance, les dirigeants politiques doivent porter leur attention sur les plus pauvres et sur la classe moyenne. Ils observaient par ailleurs que l’assouplissement du marché du travail allait de pair avec une inégalité croissante et l’enrichissement des 10 % les plus aisés. Selon Le Monde (16 juin 2015), qui a rendu compte de leurs travaux, ils plaidaient notamment _« pour une politique fiscale plus redistributive, par le biais des impôts sur la fortune et la propriété, ainsi que sur une fiscalité des revenus plus progressive ». Soit le contraire des politiques que prône l’Union européenne dans ses recommandations et qu’Emmanuel Macron se propose d’appliquer avec un zèle inédit.

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