Quand dire, c’est faire… de la politique

En parlant publiquement de l’agression sexuelle qu’elle a subie, Sandrine Rousseau est devenue un sujet politique.

Pauline Graulle  • 11 octobre 2017 abonné·es
Quand dire, c’est faire… de la politique
© photo : THOMAS SAMSON / AFP

Le livre s’appelle Parler, à l’infinitif, mais il faut aussi l’entendre à l’impératif. Les 240 pages que Sandrine Rousseau vient de publier chez Flammarion [1], sont en effet bien plus que des confessions : une exhortation à rompre le silence. Ce qui est arrivé à l’ancienne élue Europe écologie-Les Verts est connu : elle, ainsi que quatre autres femmes membres ou ex-membres du parti, a porté plainte contre l’ancien député vert, Denis Baupin, pour agression sexuelle.

Pour elle, cela s’est passé le 5 novembre 2011. Et ce qui l’a traumatisée est peut-être moins l’agression en elle-même que la violence de l’omerta qui a suivi, jusqu’à ce 9 mai 2016, jour où « l’affaire Baupin » a été révélée par Mediapart et France Inter.

« Parler, voici exactement le cœur du sujet », explique Sandrine Rousseau. D’abord, parce que les affaires d’agression sexuelle se résument souvent à un « parole contre parole », et qu’en l’occurrence Baupin a attaqué Rousseau pour diffamation – et inversement. Ensuite parce que dans ce genre d’affaires, « dire » n’est pas rien, c’est même tout : une parole libératoire, qui dénonce le bourreau autant qu’elle soulage la victime. Mais le livre de Sandrine Rousseau va au-delà : cette parole dont parle l’auteure est celle qui fait entrer toute histoire personnelle dans l’histoire collective, et par là même dans le champ du politique. « À chaque nouveau témoignage [de femme harcelée par Baupin, NDLR]_, nous_ [les parleuses]_, nous sentions moins seules, plus fortes. »_

Au fond, ce que raconte ce livre est une métamorphose : comment une professionnelle de la politique – qui plus est porte-parole ! – devient, elle-même, un sujet politique, par le truchement de la parole… Parler, nous dit Sandrine Rousseau, c’est forcément entrer en politique. Et cela a un coût : risquer de perdre son emploi, ses amis, son conjoint, s’exposer à être accusée de mensonge, à la « peur tripale » de ne pas être crue… « Parler, écrit-elle avec justesse, c’est ne plus totalement maîtriser son destin. » Se taire, n’est-ce pas entraver celui de tant d’autres ? Sandrine Rousseau, dont la propre mère dut jadis taire des agressions sexuelles dont elle fut victime dans sa jeunesse, en sait quelque chose.

La parole, arme politique. Voilà ce qui a révulsé, sur le plateau d’« On n’est pas couché », l’écrivain-chroniqueuse Christine Angot, elle-même victime d’inceste durant toute sa jeunesse, qui s’est lancée dans un violent réquisitoire contre la démarche de Sandrine Rousseau. Sur France 2, on assistait, troublé, atterré, à l’affrontement entre deux paroles : une parole littéraire sondant l’irréductibilité d’une expérience singulière, et une parole politique, collectivisée, indispensable à l’action.

[1] 19 euros.

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À quoi sert la parole politique ?
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