Ubérisation : « Une OPA sur le marché du précariat »

Un amendement de la loi « Avenir professionnel » prétend protéger davantage les travailleurs des plateformes. Pour Jérôme Pimot, du Collectif des livreurs autonomes de Paris, cette évolution n’améliorerait rien. Entretien.

Malika Butzbach  • 19 juin 2018
Partager :
Ubérisation : « Une OPA sur le marché du précariat »
© photo : JULIEN MATTIA / NURPHOTO

Adoptée en première lecture à l’Assemblée ce mardi 19 juin, la réforme de la formation professionnelle et de l’assurance chômage conforte un peu plus le modèle d’ubérisation. Un amendement, déposé par Aurélien Taché, le rapporteur du projet, prétend inciter les plateformes à s’engager pour la protection sociale… mais seulement sur le papier : il propose, sans imposer, à la plateforme de conclure une charte établissant « ses droits et obligations ainsi que celles des travailleurs avec lesquels elle est en relation ».

Parmi les mesures de la charte : « le caractère non-exclusif de la relation entre le travailleur et la plateforme », « une rémunération décente », des « mesures de prévention des risques professionnels » et des « garanties applicables en cas de rupture de relations contractuelles entre la plateforme et le travailleur ». Pour Jérôme Pimot, du Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP), il s’agit surtout d’un cadeau aux plateformes qui éloigne un peu plus les travailleurs du salariat.

L’amendement Taché prévoit la création d’une charte de responsabilité sociale pour les plateformes. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Jérôme Pimot : Dans cet amendement, on parle de chartes au pluriel. Chaque plateforme pourra, et il s’agit d’une option, définir ses propres modalités sociales. C’est surtout un cadeau aux plateformes pour leur permettre de faire du pseudo-social. Et cela continuera d’empêcher l’accès au salariat de tous ces livreurs.

À lire aussi >> Les Deliveroo refusent de pédaler plus pour gagner moins

Le texte a été élaboré entre les députés LREM et les plateformes. Les travailleurs n’ont jamais été entendus. Une charte doit être définie par la plateforme et les travailleurs. D’ailleurs, les patrons clament haut et fort que les plateformes ne seraient rien sans les chauffeurs et livreurs. Ils sont les premiers concernés et ont plein d’idées, pourquoi ne pas en faire des acteurs à part entière ? À Bologne, une charte a été définie entre la mairie et les livreurs. Mais, lors de sa présentation, les plateformes internationales étaient aux abonnés absents. Ça montre bien que, ce qu’ils cherchent, c’est à servir leurs propres intérêts. Et cela passe par la sécurisation de leur modèle économique. C’est une OPA sur le marché du précariat.

Le gouvernement met en avant une mesure sur le compte personnel de formation (CPF). Celui-ci serait alimenté comme celui des salariés.

Qu’est-ce qu’ils en ont à faire, les livreurs, du CPF ? C’est un truc politique qui ne leur parle pas. Si les jeunes travaillent pour les plateformes, c’est pour manger, pas pour se construire une vie. Si on voulait qu’ils se construisent une vie, on les amènerait vers le salariat, qui donne droit à toutes les protections sociales. Les députés de la majorité et le gouvernement, par la voix du ministère du Travail, mettent cela en avant, mais qu’en est-il des assurances en cas de maladie ou d’accident ? Là, c’est beaucoup plus concret pour les travailleurs. La condition pour exercer un métier à risque, comme celui de livreurs, c’est avant tout par une vraie protection. Pour l’instant, on a seulement des casques et des phares offerts par Deliveroo…

À lire aussi >> L’alternative à l’uberisation c’est nous !

Les chartes permettent de protéger les plateformes d’éventuelles requalifications de travailleurs en salariés. Justement, cet amendement intervient au moment où le parquet de Paris a ouvert une enquête sur Deliveroo pour salariat déguisé.

L’Inspection du travail, à travers une longue enquête, a constaté que c’est du travail dissimulé. Ils ont donc interpellé le parquet de Paris, qui a ouvert cette enquête judiciaire. Le but du gouvernement c’est de protéger les plateformes, qui sont un peu leur cheval de Troie. Avec le détricotage du Code du travail, l’augmentation des licenciements et de la précarité, ces plateformes permettent de justifier cette politique : on dirige les chômeurs vers ce modèle. Si l’ubérisation est mise en défaut par justice, leur idéologie se casse la figure. Ces chartes fonctionnent comme un pansement sur une jambe de bois.

Travail
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

À Marseille, de très sales conditions de travail 
Reportage 17 avril 2024 abonné·es

À Marseille, de très sales conditions de travail 

Des agents de blanchisserie hospitalière, salariés de Pamar, sont en grève. Victimes de situations indignes et même de menaces de mort, ils portent plainte contre l’agence régionale de santé pour inaction.
Par Timothée Vinchon
Réforme de l’assurance-chômage : « Ça va détruire nos vies »
Témoignages 10 avril 2024 abonné·es

Réforme de l’assurance-chômage : « Ça va détruire nos vies »

Emplois précaires, discrimination par l’âge, baisse des droits et future suppression de l’allocation de solidarité spécifique : des chômeurs racontent à Politis l’angoisse et la galère de la recherche d’emploi, que les réformes des quinquennats Macron n’ont fait qu’empirer.  
Par Léna Coulon
Pour la CFDT, une nouvelle réforme de l’assurance-chômage relève de « la politique fiction » 
Syndicats 4 avril 2024 abonné·es

Pour la CFDT, une nouvelle réforme de l’assurance-chômage relève de « la politique fiction » 

Après l’annonce gouvernementale d’une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, les syndicats sont dans l’attente. Si certains préparent déjà une éventuelle mobilisation, d’autres espèrent encore voir le gouvernement faire marche arrière.
Par Pierre Jequier-Zalc
Charbon français, l’enfer sous terre
Reportage 3 avril 2024 abonné·es

Charbon français, l’enfer sous terre

Depuis 1984, le Centre historique minier de Lewarde retrace la longue histoire d’un bassin industriel – celui du nord de la France – et d’une part majeure de la classe ouvrière, à l’heure où l’aventure minière semble devoir reprendre, avec les recherches de métaux nécessaires aux batteries électriques. 
Par Olivier Doubre