Total assigné en justice pour « inaction climatique »

Des élus et des associations assignent la multinationale pétrolière en justice pour l’obliger à revoir ses ambitions climatiques.

Vanina Delmas  • 28 janvier 2020
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Total assigné en justice pour « inaction climatique »
© Photo : Action des militants d'ATTAC France en octobre 2019 au siège de Total, à La Défense. (Lucas Barioulet / AFP)

C’est une première : Total est assigné en justice pour inaction climatique. Quatorze collectivités (Arcueil, Bayonne, Bègles, Bize-Minervois, Champneuville, Centre Val de Loire, Correns, Est-Ensemble Grand Paris, Grenoble, La Possession, Mouans-Sartoux, Nanterre, Sevran et Vitry-le-François) et cinq associations (Notre affaire à tous, Sherpa, ZEA, les Eco Maires et France nature environnement) ont saisi le tribunal judiciaire de Nanterre afin d’obliger le géant pétrolier à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, et à présenter un nouveau plan de vigilance prenant en compte les impacts de ses activités en France et à l’étranger sur le climat.

« Nous saisissons le tribunal au fond afin que les juges évaluent la conformité du plan de vigilance de Total dans sa globalité. Nous ne demandons pas des dommages et intérêts mais des actions concrètes, et surtout leur mise en œuvre car le climat est la mère des batailles et nous ne pouvons pas attendre 2050 ! », affirme Me François de Cambiaire, du cabinet Seattle avocats. Cette action en justice s’appuie sur la Charte de l’environnement, la loi sur la biodiversité adoptée en 2016 et surtout sur celle sur le devoir de vigilance. Entrée en vigueur en 2017, elle oblige les entreprises de plus de 5.000 employés à s’assurer que leurs activités, celles de leurs sous-traitants et fournisseurs, respectent les droits humains et les règles sociales et environnementales.

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Ce collectif d’associations et d’élus a lancé cette fronde depuis un an et demi. D’abord par une interpellation en octobre 2018 suite à la publication du premier plan de vigilance de Total dans lequel les enjeux climatiques étaient complètement absents. Puis, en 2019 après le second plan de vigilance, une rencontre avec le PDG de Total, Patrick Pouyanné a lieu. Mais les engagements de la multinationale sont toujours jugés insuffisants par les parties prenantes. Après la mise en demeure formelle en juin dernier, la justice est désormais saisie.

Total avoue s’appuyer sur un scénario pas compatible avec les objectifs des Accords de Paris, à savoir une limitation du réchauffement climatique à 1,5°C. D’ailleurs ces éléments sont inscrits dans le plan financier mais pas dans le plan de vigilance, décrypte Paul Mougeolle, juriste de Notre affaire à tous. Le nœud du problème est qu’ils n’acceptent pas de faire évoluer leur business model dans ce sens donc nous avons besoin de la justice pour les obliger à faire leur transition énergétique.

La réputation de cancre de Total en matière d’engagements climatiques n’est plus à faire. Selon les études de Carbon majors, le pétrolier fait partie des vingt entreprises contribuant le plus au réchauffement climatique dans le monde. Le groupe Total est chaque année à l’origine d’environ 1 % des émissions mondiales, soit plus que les émissions territoriales françaises.

« Les élus locaux sont de plus en plus nombreux à vouloir désormais mener une politique de prévention, et ne plus seulement être obligés de réparer les effets du dérèglement climatique qui touchent leur territoire. En Outre-mer par exemple, certaines communes doivent déplacer des habitants et la population », souligne Maud Lelièvre, déléguée générale des Eco Maires.

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Parmi ces élus, Daniel Lefort, maire de Champneuville, commune de 120 habitants dans la vallée de la Meuse. Les coulées de boue, la crue du fleuve la Meuse, la sécheresse… Son territoire souffre. « Lorsque nous avons rencontré le PDG de Total, je me suis permis de reprendre leur slogan : « Vous en faites déjà beaucoup, à nous d’en faire plus » et je lui ai demandé ce qu’il attend pour en faire plus ! », s’indigne-t-il. En décembre dernier, la sous-préfecture de Verdun l’a enjoint de se retirer de l’action collective, qualifiant la délibération de son conseil municipal d’action militante et relativisant les effets du dérèglement climatique.

Christian Métairie, maire d’Arcueil (Val-de-Marne), pose frontalement la question : « Comment se fait-il que toutes les collectivités ne soient pas engagées dans cette action ? » L’élu rappelle que l’été dernier, les températures ont atteint un nouveau record dans sa commune avec 42,5°C. «Les écoles ne pouvaient plus fonctionner car elles ne sont pas adaptées à une telle chaleur. La résilience locale ne suffira pas ces prochaines années ! »

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