Climat : L’urgence traitée par le mépris

Non seulement le projet de loi censé encadrer la transition écologique affiche de faibles ambitions au regard des enjeux, mais toute proposition visant à le renforcer est soigneusement écartée.

Vanina Delmas  • 17 mars 2021 abonné·es
Climat : L’urgence traitée par le mépris
Emmanuel Macron face à la Convention citoyenne pour le climat, le 9 janvier 2020.
© Yoan VALAT / POOL / AFP

Depuis le 8 mars, le projet de loi surnommé « climat et résilience » est examiné en commission spéciale à l’Assemblée nationale. Les espérances n’étaient pas grandes mais le sentiment de déception est inévitable pour les député·es de l’opposition. Le texte initial avait déjà donné un coup de canif dans le contrat entre le Président et les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) puisque seulement une douzaine de mesures issues de leurs propositions a été reprise. Loin du « sans filtre ». Nombre des 5 300 amendements déposés tentent laborieusement de rehausser l’ambition climatique du texte mais la majorité ne manque ni d’astuces ni d’audace pour esquiver chaque mesure pouvant solidifier une véritable transition écologique et sociale. Pour le sénateur écologiste Ronan Dantec, _« ce texte est un adieu à l’accord de Paris ». « Si le gouvernement avait mis sur la table un vrai projet pour atteindre une baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) de – 55 % d’ici à 2030 (et non plus de – 40 %), on aurait pu dire que plusieurs projets écologistes se confrontent. Mais ce n’est pas le cas : le gouvernement s’écarte complètement de l’écologie. »

Et de la démocratie, car la possibilité même de débattre est en péril. Laurence Maillart-Méhaignerie, députée LREM d’Ille-et-Vilaine et présidente de la commission spéciale, avait prévenu que « si des amendements devaient reprendre des propositions de la CCC sans présenter de lien, même indirect, avec le dispositif des articles du projet de loi (…), ils seraient considérés comme irrecevables sur le fondement de l’article 45 de la Constitution ».

Lire > Loi climat : Une caricature de débat démocratique

Mathilde Panot, députée La France insoumise du Val-de-Marne, indique qu’un tiers des amendements de son groupe ont été retoqués « avant même d’être discutés, avec des motifs parfois délirants, notamment ceux concernant la malbouffe, les accords de libre-échange, les fermes usines ou la hausse des ambitions sur la diminution des émissions de GES. Je mets au défi quiconque de m’expliquer en quoi ces thèmes n’ont pas de lien avec le climat ! » Avec son camarade Loïc Prud’homme, député de Gironde, ils ont rebaptisé le projet de loi « climat et allégeance aux lobbys ».

L’accusation se justifie au regard de certains débats comme celui sur la généralisation de la consigne en verre, retoquée car celle-ci pénaliserait le secteur des vins et des spiritueux. « Le débat repose sur une question : doit-on mettre des conditions écologiques à l’économie française ? La droite et le gouvernement disent que ce n’est pas une priorité. Je pense que c’est une erreur car cela retarde les transformations économiques de certains secteurs comme l’automobile, et cela risque de marginaliser l’économie française », analyse Ronan Dantec. « Ils esquivent tous les sujets liés à la justice sociale, ceux qui créent des mobilisations populaires, et également les débats sur lesquels on pourrait avoir des votes transpartisans, comme sur les néonicotinoïdes, ou les forêts, au sujet desquelles la députée LREM Anne-Laure Cattelot a rédigé un rapport ! », s’indigne Mathilde Panot. Pour Dominique Potier, député socialiste de Meurthe-et-Moselle, c’est une loi « avec beaucoup d’expérimentations, de décrets et de délais, et qui fait plus semblant qu’elle ne fait vraiment. Elle n’est pas à la hauteur du changement d’échelle attendu et ne permet pas du tout de réconcilier l’écologie et le social ».

Le mépris pour les travaux de la CCC est particulièrement visible dans le volet « Produire et travailler ». L’ordre de mission des 150 citoyens leur demandait de faire des propositions « dans un esprit de justice sociale ». Les enjeux du chapitre « Adapter l’emploi à la transition écologique » étaient donc particulièrement attendus. Pourtant, les avancées semblent très minimes alors que la transition écologique permettrait de créer entre 280 000 et 400 000 emplois d’ici à 2030, selon le Réseau action climat (RAC). Ce réseau d’associations de lutte contre le changement climatique a mis en place un climatomètre pour scruter 15 mesures qu’il juge vitales pour cette loi climat. Sur ce point, il relève que tous les amendements déposés par les élu·es de gauche ont été rejetés ou déclarés irrecevables. En particulier celui d’Hubert Wulfranc, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, qui prévoyait la création d’un fonds financé par les contributions des entreprises à la formation et géré par les partenaires sociaux, dédié à l’accompagnement des salariés dans leur reconversion.

« lls se sont concentrés sur le renforcement du rôle du comité social et économique en matière environnementale. C’est intéressant mais ne rentre pas dans le vif du sujet de la reconversion professionnelle pour les emplois menacés dans les années à venir, analyse Meike Fink, responsable de la transition climatique juste au sein du RAC. Or, il faut obliger les entreprises à anticiper de vrais changements structurels car les salarié·es seront les premier·es à souffrir de ce manque d’anticipation ! Ce sujet risque de revenir très fort lors de la séance plénière car c’est le nœud du problème actuellement. »

À partir du 29 mars, les débats débuteront dans l’hémicycle et les député·es se préparent à repartir à l’attaque à coups de nouveaux amendements retravaillés. En mai, ce sera au tour du Sénat d’essayer d’étoffer le texte. Le groupe écologiste travaille déjà sur un contre-projet quantifié pour tenter de peser. « On ne pourra pas réécrire le texte mais il est possible que le Sénat aille plus loin que l’Assemblée nationale sur certains sujets car je vois se développer une vraie fibre environnementale chez certains, même à droite ! », prédit Ronan Dantec, chef de file du groupe écologiste au Sénat. Le rapport de force se construira aussi grâce aux citoyen·nes et dans la rue : une marche pour une vraie loi climat est organisée le 28 mars. « Les débats sont tellement contraints qu’il est vraiment important d’avoir un espace d’expression pour montrer que les citoyens ne sont pas dupes ! », soutient Meike Fink.

Les multiples vigies gardent toutes à l’esprit le contexte politique global, et l’horizon de l’élection présidentielle. Toutes pressentent que ce texte de loi servira d’outil de communication au président et à la majorité. « Leur rhétorique bien rodée et assumée est déjà répétée par les rapporteurs : “La droite conservatrice ne veut rien changer, les écolos et la gauche sont contre les libertés et prônent une écologie punitive ! Nous sommes le point d’équilibre avec une écologie pragmatique, de compromis”, dénonce Dominique Potier. Une prise de position claire pour l’élection présidentielle, qui permet de donner bonne conscience aux militants En marche se souciant un peu de l’environnement. » Du côté du RAC, le travail minutieux de décryptage et de plaidoyer servira de pare-feu. « Le grand danger est que le gouvernement se serve tout de même de cette loi climat pour affirmer qu’Emmanuel Macron agit pour l’écologie. Nous devons donc répéter que ce projet de loi passe à côté des transformations dont a besoin la société ! »

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