Crédits à hauts risques

Robert Guttmann  • 5 avril 2007 abonné·es

Pendant plus d’une décennie, la croissance des pays émergents et de l’Union européenne a été liée aux exportations et aux excédents commerciaux vers les États-Unis. Chaque année, une large partie des créances accumulées par les États-Unis a été automatiquement recyclée sur les marchés américains, ce qui a permis de financer les excès de dépenses du consommateur américain. Ce pays a maintenant une dette extérieure de trois mille milliards de dollars ! Bien entendu, il est un débiteur privilégié, car il peut s’endetter dans sa propre devise du fait du statut privilégié du dollar comme monnaie internationale.

Ainsi, l’économie mondiale est tributaire des déficits américains chroniques, qui contribuent à soutenir une croissance tirée par les exportations dans un grand nombre de pays. Au coeur de ce système économique, se trouvent les consommateurs américains, qui se comportent en « acheteurs en dernier ressort ». Leur volonté et leur capacité à dépenser au-dessus de leurs moyens se répercutent directement à São Paulo, à Paris, à Shanghai et au-delà…

L’excès de consommation est profondément ancré dans une culture fondée sur l’accès facile au crédit. Aux États-Unis, les ménages détiennent en moyenne deux voitures achetées à crédit, un crédit contracté le plus souvent à taux zéro. De nombreuses familles des classes moyennes envoient leurs enfants dans des universités coûteuses grâce aux prêts aidés aux étudiants. Les ménages contractent, en moyenne, une dette de 9 500 dollars grâce à leur carte de crédit. Plus important, les deux tiers des Américains sont propriétaires de leur logement. Et la plupart utilisent leurs actifs immobiliers comme garantie pour obtenir de nouveaux crédits à la consommation et au logement. Un véritable carrousel du crédit s’est mis en place. Tous ces prêts gagés sur des actifs immobiliers ont été dopés par la bulle immobilière : les prix du secteur ont plus que doublé en moins de cinq ans !

Les banques américaines ont transformé ces créances sur les ménages en titres négociables (titrisation) pour les vendre sur le marché financier américain. Cela a attiré des investisseurs étrangers qui ont apporté massivement leurs liquidités aux banques du pays. Ce circuit financier international a largement contribué à soutenir les dépenses des ménages et la croissance économique étasunienne depuis le krach boursier de 2000. Fondée sur le boom immobilier, cette nouvelle logique de la finance a structuré les classes sociales aux États-Unis. Au sommet de la hiérarchie, se trouve une classe de professionnels très bien payés, qui a bénéficié des exonérations fiscales du gouvernement. Ces riches, qui gagnent plus de 250 000 dollars par an, possèdent des maisons de grand luxe symbolisant le « rêve américain » et fixant les standards de la réussite sociale. En dessous, il y a une importante classe moyenne, dont le revenu est compris entre 50 000 et 150 000 dollars. La bulle immobilière a créé ce que les économistes appellent un « effet de richesse », c’est-à-dire que les ménages se sont sentis plus riches.Sans compter que leur capacité d’endettement a augmenté au rythme des prix immobiliers… Du coup, ces ménages ont dégagé une épargne négative : ils ont dépensé plus que leur revenu. Aujourd’hui, cette classe moyenne est fragilisée par la chute des prix immobiliers et par des charges financières (coût de la dette) élevées qui absorbent le niveau record de 18 % de son revenu disponible.

Mais c’est dans la classe des bas revenus que les ménages sont les plus vulnérables : ces familles modestes ont pu accéder à la propriété immobilière grâce à la bulle qui leur a donné une capacité d’endettement inespérée… Les institutions de crédit se sont en effet lancées dans des prêts hypothécaires à hauts risques à ces familles financièrement précaires qui ne s’étaient encore jamais endettées comme cela. Aujourd’hui environ 12 % de ces prêts sont en défaut, ce qui met en difficulté ces prêteurs à haut risque.

La faillite de New Century Financial , seconde institution américaine de crédit immobilier à haut risque, a eu d’importantes répercussions planétaires ces dernières semaines. L’inquiétude des marchés sur les différentes places financières du globe provient du constat que les plus grandes banques ont été piégées par leurs excès et leur aveuglement face à la bulle immobilière. Or, le financement de l’immobilier est un rouage central de l’économie d’endettement américaine et internationale. Aussi sommes-nous désormais face au risque d’une purge de la dette par la déflation. C’est-à-dire par une chute simultanée de la croissance et des prix, qui débuterait aux États-Unis puis se propagerait au reste de l’économie mondiale…

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