Marie-George Buffet, au nom du Parti

Celle qui rêvait d’une autre candidature doit multiplier les déplacements pour tenter de convaincre, à force de rencontres de proximité, que le vote communiste peut être un vote utile.

Michel Soudais  • 12 avril 2007 abonné·es

Elle est arrivée en retard. Et ne restera pas une heure. Ce jeudi, Marie-George Buffet termine sa journée à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), dans la salle du centre social des Grésillons, un quartier de cette ville communiste. Entre le maire Jacques Bourgoin, silencieux, le député Jacques Brunhes, ancien secrétaire d’État au Tourisme, qui ne se représente pas, et le sénateur Roland Muzeau, qui tentera en juin de conserver cette circonscription acquise au Parti depuis 1936, la candidate de la « gauche populaire et antilibérale » est un peu chez elle. L’ancienne ministre de la Jeunesse et des Sports y est venue avant chaque rendez-vous important.En 2004, c’est ici qu’elle a obtenu son meilleur score aux régionales ; et en 2005, la ville a voté « non » au TCE à 73 %, rappelle son ancien collègue du gouvernement Jospin. Souvenirs…

Illustration - Marie-George Buffet, au nom du Parti


Meeting à Bercy le 1er avril.
PHOTO MICHEL SOUDAIS

Nul, en effet, ne se risque plus à prédire un succès. L’ex-secrétaire nationale du PCF n’a d’ailleurs qu’un message à délivrer : « Ne vous laissez pas voler cette élection » , lance-t-elle aux deux cents militants et sympathisants communistes venus l’écouter. Un avertissement qu’elle martèle à chacune de ses étapes. « Ils ont réussi à nous effacer le premier tour , déclarait-elle, quelques heures plus tôt, devant trois cents étudiants de l’université de Nanterre. Ils vous disent « votez le moins pire pour éviter le pire ». Mais, si on fait ça, des 21 avril, on en aura dix dans les années à venir. Cela nourrira des frustrations et l’extrémisme. »

Alors, pour conjurer ce scénario, la députée du Blanc-Mesnil répète les enjeux d’un scrutin dont elle ne manque pas, avec les législatives, de souligner l’importance : « Soit on a un gouvernement et un président qui installent encore plus de précarité, qui cassent un peu plus le droit du travail, avec des jeunes embauchés à durée très déterminée, des salariés de cinquante ans licenciés sans espoir de retrouver un emploi, des salaires de plus en plus faibles… Soit on va, avec une gauche courageuse et déterminée, vers une république des droits, droit à une sécurité d’emploi et de formation, droit à des logements dignes, une aide à la pierre qui permette de plafonner les loyers à 20 % des revenus, droit à une école de la réussite pour tous, avec une allocation d’autonomie pour les jeunes, droit à la santé… »

En quelques minutes, la candidate évoque la question, essentielle à ses yeux, « des moyens » nécessaires pour financer et développer les services publics, créer des postes d’enseignants, maintenir la retraite à 60 ans… Elle veut que « les revenus financiers cotisent à la protection sociale, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui » , rappelle le montant colossal des profits dégagés l’an dernier par les entreprises du CAC 40, survole la politique industrielle qu’il faudrait relancer avec l’automobile, l’aéronautique, la pharmacie ou la chimie, parle des « nouvelles places » qu’il faut « donner aux représentants des salariés » . Marie-George Buffet, appliquée, est rodée à l’exercice.

Pourtant, ce soir, l’ancienne ministre, les traits tirés, accuse la fatigue. Elle a commencé sa journée sur le plateau de la matinale d’I-télé, l’a poursuivie au siège du PCF où l’attendait l’association ATD-Quart monde. À l’heure du déjeuner, elle a répondu durant une heure et demie aux questions des étudiants de Nanterre, avant de rejoindre un amphi de Sciences-po pour plancher, comme d’autres candidats, devant le Forum du magazine Elle , puis de revenir dans la préfecture des Hauts-de-Seine où l’attendaient des habitants de la cité des Pâquerettes. Quand elle quitte Gennevilliers, elle est déjà attendue à Paris, à l’Unity Bar , pour une rencontre avec des associations de lesbiennes, gais, bi et trans. Le lendemain matin, elle s’envolera pour la Corse. Deux mois que dure ce marathon [^2]
Et encore deux semaines à tenir ce rythme d’enfer.
En dépit de sondages désespérément scotchés sous le score de Robert Hue (3,37 %), ou peut-être à cause d’eux, Marie-George Buffet continue d’arpenter les marchés, les sorties d’usine, les salles communales et les campus. Sans caméra ou presque. Accrochée au dernier espoir que lui laissent ces maudits sondages qu’elle accuse d’avoir organisé le match : près d’un électeur sur deux n’aurait pas encore fait son choix. Candidate désignée (à 80 %) par les militants communistes ­ poussée devrait-on dire ­, celle qui, selon son entourage, « n’a jamais aimé se mettre en avant » , fera donc le job jusqu’au dernier jour. Pour aller à la rencontre de « notre peuple » , comme elle dit. Pour faire exister « une gauche de combat » . Pour qu’il y ait « demain encore, dans ce pays, des forces politiques qui portent l’idée d’une transformation sociale » . Par devoir. Par fidélité aussi.

Car derrière l’enjeu de cette élection, se joue l’avenir du PCF. Son parti. Lorsqu’elle l’a rejoint en 1969, Jacques Duclos faisait 21,3 % à la présidentielle. La gauche était absente du second tour (déjà), mais le PCF pouvait voir l’avenir en rouge. En 2002, quand elle a vraiment pris les rênes du parti qui l’avait élue secrétaire nationale un an plus tôt, elle s’est jurée de ne jamais être celle qui fermerait la maison communiste.

Mais la politique peut être tragique. Et Marie-George Buffet le mesure chaque jour. À l’automne, elle rêvait encore de conduire une candidature collective qui élargirait l’audience du PCF. Elle avait, dans ce dessein, suggéré de s’entourer de plusieurs personnalités de la gauche antilibérale. En congé de sa fonction de secrétaire nationale, la candidate, qui ne peut compter que sur l’appui de la direction communiste, en est réduite à exorciser son inquiétude : « Quoi qu’il arrive, le PC n’explosera pas en 2007 , assure-t-elle au Parisien . L’avenir des communistes ne dépend pas du score à la présidentielle. » Le fait de rassembler 10 000 à 12 000 personnes à Bercy ­ 15 000, prétend la direction du PCF ­ pour un des plus grands meetings de la campagne devrait en donner la preuve. Mais ce succès de salle, qui ne fait oublier ni les communistes partis soutenir José Bové ni ceux qui renâclent à s’engager dans la campagne, se retrouvera-t-il dans les urnes ? Partisans de Robert Hue et orthodoxes n’y croient guère et préparent leur revanche.

Du coup, la presse communiste dresse le portrait d’une candidate blessée. Elle rappelle « l’esprit d’équipe » dont celle-ci a fait preuve en ouvrant les listes du PCF en 2004 puis en cédant de son temps de parole à la télé pour permettre à toutes les voix progressistes (socialistes du « non », trotskistes, altermondialistes…) qui s’opposaient au projet de constitution européenne de s’exprimer. Et souligne combien elle n’en a pas été « récompensée » puisque beaucoup se sont opposés « à elle lors du choix du candidat antilibéral à la présidentielle » . Les électeurs seront-ils aussi ingrats ?

[^2]: Politis souhaitait réaliser un entretien avec Marie-George Buffet, comme nous l’avons fait avec Dominique Voynet, José Bové et Olivier Besancenot. Nous avons contacté à cette fin, dès le 27 mars, son service de presse et renouvelé notre demande à plusieurs reprises. De la réponse arrachée (plus qu’obtenue), nous déduisons que la candidate de la « gauche populaire et antilibérale » n’avait pas vingt minutes à consacrer, même par téléphone, à nos lecteurs, qui ne doivent être ni populaires ni antilibéraux.

Politique
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