Le grand chamboule-tout

Après la défaite, la gauche cherche confusément les voies de la reconquête. Organisation, stratégie, alliances sont au programme des universités d’été. Au PS, le débat a commencé avant le rassemblement de La Rochelle.

Michel Soudais  • 30 août 2007 abonné·es

Dans l’exorcisme de la défaite, certains mots agissent comme des talismans. Sonnée par son échec du printemps, le troisième dans une élection présidentielle et un score électoral global historiquement faible, la gauche en use et parfois en abuse. Trois mots émergent des premiers rassemblements et universités d’été qui se sont tenus : construction, reconstruction, rénovation. Sans que l’on sache toujours ce qu’ils recouvrent.

Illustration - Le grand chamboule-tout


Arnaud Montebourg, à la fin de son discours, lors de la fête de la rose de Frangy-en-Bresse. PACHOUD/AFP

La LCR, satisfaite du (relatif) bon score de son candidat, se sent une âme de bâtisseur. Elle veut « construire » un « parti anticapitaliste » qui, comme l’a précisé Olivier Besancenot, le week-end dernier à Port-Leucate, ne sera « pas un nouveau parti trotskiste » mais une formation « suffisamment vierge politiquement pour agréger d’autres horizons » . En se lançant dans cette construction, présentée aussi curieusement comme une « reconstruction » (de quoi ?), la Ligue entend certes « tourner une page de [son] histoire » et programmer ainsi, à terme, sa disparition. Mais elle manifeste aussi sa volonté de tirer un trait définitif sur toute perspective de rassemblement et de recomposition de la gauche radicale. Il est symptomatique qu’aucun responsable de celle-ci n’ait été invité à son université d’été, à l’inverse des années précédentes. Conçue par la LCR, à ses conditions et autour d’elle seule, cette construction achèverait le dynamitage du front antilibéral, que la formation trotskiste avait initié en refusant, la première, de discuter de candidatures unitaires.

Au sein de l’association Attac, le mot d’ordre est plutôt à la reconstruction (voir p. 11). Reconstruction organisationnelle, après deux ans de crise qui ont vu l’association altermondialiste perdre ses militants avec son crédit et son influence. Mais aussi reconstruction des valeurs de gauche. Cet aspect n’est pas le moins important. Car même si Attac n’intervient pas dans le jeu politique, l’association a un rôle à jouer dans le débat politique. Surtout à l’heure où, sous couvert d’un discours sur les nécessaires « rénovation » et « modernisation » de la gauche, bien des responsables rêvent de jeter les principes de cette dernière avec l’eau du bain. À en juger par les débats qui ont animé les journées d’été des Verts, les écolos n’ont pas encore cédé à cette tentation. La rénovation à laquelle les Verts ont décidé de s’atteler est d’abord organisationnelle. Avant de porter sur leur projet, leur stratégie et leurs alliances. Ces chantiers ont été remis à plus tard. Ce n’est pas le cas au PS, où tous ces sujets sont désormais sur la table. Très officiellement, la rénovation, dont le calendrier s’étire jusqu’au congrès de l’automne 2008, doit commencer à l’université d’été de La Rochelle, vendredi. Sans attendre ce rendez-vous, limité à un « diagnostic » , plusieurs responsables socialistes et une association ont livré, le week-end dernier, leur vision de la « rénovation ».

Première à faire sa rentrée politique, lors d’une fête de la rose organisée pour elle dans son fief de Melle (Deux-Sèvres), Ségolène Royal a fait part de son intention de poursuivre le travail de « rénovation profonde » des méthodes et des idées du PS qu’elle avait engagé lors de sa campagne. Un travail d’autant plus nécessaire, selon elle, que son inachèvement constituerait l’une des principales causes de sa défaite. Nous avons « manqué de temps » pour « actualiser complètement nos réponses » et « nous organiser en un grand parti moderne » , a déclaré l’ex-candidate à la présidentielle en guise d’autocritique. Avant de promettre de « reprendre l’ouvrage » et d’ « achever le travail » .

S’agissant du parti, Ségolène Royal prône une réforme des statuts du PS qui « favorise les vrais débats » plutôt que « la prolifération des motions qui donnent souvent lieu à des règlements de comptes inutilement brutaux, suivis de synthèses parfaitement illisibles » . Partisane d’ « un grand parti moderne, portes et fenêtres largement ouvertes sur la société, efficace, tirant tous dans le même sens » , capable d’attirer, « seul, ceux qui ne se sentent ni de droite ni de gauche » , elle plaide pour des « sanctions automatiques » à l’encontre des élus qui s’affranchiraient de la discipline de parti et ne respecteraient pas ses bonnes manières. Elle se montre moins sévère à l’égard des « socialistes qui sont au gouvernement » (sic), n’excluant pas un retour de ces « brebis égarées » si, déchargées de leurs responsabilités gouvernementales, elles en manifestent un jour l’intention. Enfin, elle juge que « les socialistes ne doivent pas rester entre eux » , mais au contraire parler aux autres forces de gauche et aux Verts, ainsi qu’aux « centristes » .

Ces réformes organisationnelles prennent tout leur sens à l’énoncé de la « mutation idéologique » que Ségolène Royal entend impulser au PS. À ses yeux, celui-ci doit inscrire son action « dans le cadre des économies de marché » et mieux affirmer la « complémentarité » entre le collectif et l’individuel, d’où elle déduit qu’ « il n’y a pas de droits sans devoirs » . Le propre des droits fondamentaux est pourtant de n’avoir pas de contrepartie ! « Efficacité » de l’action publique et État « performant » figurent aussi parmi les thèmes qu’elle souhaite retravailler pour « moderniser la France » , tâche qui constitue, selon elle, « la mission historique de la gauche et des socialistes » . Et la conduit à envisager, entre autres réformes structurelles, l’ouverture des professions fermées, la libéralisation du secteur de la distribution, la mise en place d’une « véritable flexsécurité à la française »

Candidats eux aussi à la conduite de la « rénovation », quelques piaffants quadras animaient, dimanche, la fête de la rose de Frangy-en-Bresse, à l’invitation d’Arnaud Montebourg. Ils y ont marqué leur impatience à « faire péter » un « parti sclérosé » , selon le mot de Manuel Valls. La réhabilitation du travail, du mérite, de l’ordre et de l’autorité figure au menu des idées que ce dernier veut mettre en avant. Tandis qu’il appelait à sortir d’un « discours militant et compassionnel » sur l’immigration, Montebourg s’en prenait, lui, à l’Éducation nationale, « bureaucratique et centralisée » . Quelques jours plus tôt, le député maire d’Évry expliquait, dans un entretien au Figaro , que le PS pouvait « faire un bout de chemin avec la majorité » de Nicolas Sarkozy. Les voies de la rénovation sont parfois curieuses…

Dans ce flou entretenu, les Gracques ont au moins le mérite de la clarté. Ce groupe de hauts fonctionnaires et de dirigeants d’entreprise, anciens des cabinets ministériels de gouvernements de gauche, qui s’était fait connaître en appelant avant le premier tour à une alliance avec François Bayrou, s’est constitué en « groupe de réflexion et de pression » . S’il plaide pour une gauche « post-sociale-démocrate » , les invités de son université d’été parlaient plus volontiers de centre-gauche que de gauche. Son invité vedette, Lord Antony Giddens, le penseur de la Troisième Voie, s’est taillé un franc succès en rappelant les réorientations opérées par le New Labour : captation du centre reconnu comme une force électorale ; priorité donnée à l’économie ; investissement dans les services publics, pas forcément étatique ; accent mis sur l’égalité d’opportunité plus que sur l’égalité de résultat ; refus de céder aucun sujet à la droite. Une voie que les organisateurs aimeraient imposer en France. Mais qui se heurte encore à bien des résistances. D’où sans doute les propos contournés des chantres de la rénovation médiatiquement plus exposés.

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