Le « système » Leconte

Guillaume Weill-Raynal analyse comment, dans « Ces musulmans qui disent non à l’islamisme », diffusé le 28 août par Arte, le producteur Daniel Leconte a érigé en héraut de l’anti-islamisme un personnage douteux.
Guillaume Weill-Raynal  • 6 septembre 2007
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Voilà plusieurs années que Doc en stock, la société de production de Daniel Leconte, produit et fournit à Arte des soirées complètes, diffusées un mardi par mois. De curieuses soirées, au thème toujours très orienté, qui fonctionnent en tandem avec la collection du même nom ­ « Doc en stock » ­ que dirige le même Daniel Leconte aux éditions La Martinière. Les livres qui y sont publiés sont souvent de simples doublons des reportages précédemment diffusés sur Arte. On s’interdirait de prononcer les mots « agent d’influence » si un tel système n’y faisait inévitablement penser. Une mécanique bien huilée, alliant avec un art consommé de l’amalgame journalisme indigent et malhonnêteté intellectuelle.

Partant d’une évidence à laquelle il est difficile de ne pas adhérer, la soirée du 28 août n’a pas dérogé à la règle. Personne, aujourd’hui, sauf les islamistes eux-mêmes, ne dit « oui » à l’islamisme. Pourtant, les reportages de cette « Thema » nous ont présenté « ces musulmans qui disent non » comme des héros isolés, de véritables « exceptions » . Bienveillant en apparence, l’intitulé de la soirée ouvrait la porte, à lui seul, aux pires confusions. C’est dans cette ouverture biaisée que s’est engouffré le premier reportage, « Un homme en colère », consacré au très douteux et controversé Mohamed Sifaoui.

Antoine Vitkine, qui signe ce reportage (fidèle collaborateur de Daniel Leconte, il réalise des films pour Doc en stock et écrit des livres pour la collection du même nom. Il collabore aussi à la revue néoconservatrice le Meilleur des mondes ), s’est bien gardé de procéder à une véritable enquête. On aurait aimé savoir, par exemple, quel regard portent sur l’islamisme les dizaines de milliers de Français musulmans issus des classes dites moyennes et supérieures. Au lieu de cela, donc, un portrait hagiographique de Mohamed Sifaoui. Ce journaliste algérien qui vit en « exil » à Paris (malgré ses liens avérés avec les plus hautes autorités militaires de son pays) s’est fait connaître du grand public au début de l’année 2003 par un reportage diffusé sur France 2, suivi d’un livre, dans lesquels il prétendait avoir « infiltré » , au péril de sa vie, une cellule d’Al-Qaïda. Les incohérences, pourtant flagrantes, de son « enquête » n’ont pas été suffisantes pour déboulonner de son piédestal le héros qui, encore aujourd’hui, bénéficie de l’indéfectible soutien des journalistes Philippe Val et Caroline Fourest, entre autres.

Vitkine et Leconte n’ont pas souhaité sortir de ce sensationnalisme facile. Devant la caméra, le maître espion donne un échantillon de son savoir-faire. Planqué dans un appartement, il observe en contrebas une courette où vont et viennent quelques hommes barbus pénétrant dans le local d’une association « qui se présente comme simplement culturelle » , nous dit Vitkine. Grâce à un système d’écoute et à sa connaissance de la langue arabe, Sifaoui nous livre la traduction du prêche qui se tient à l’intérieur : « Les ennemis de l’islam iront en enfer. » Commentaire de Vitkine : « Pas de doute : il s’agit d’une mosquée clandestine salafiste. » On se croirait chez Hergé. Retour au bureau de Sifaoui, qui découvre sur sa messagerie des mails d’insulte « et même une menace de mort » .

Un peu plus tard, Sifaoui répond à l’invitation de la Licra de participer à un colloque sur la montée de l’islamisme en Europe. Tandis qu’il parle à la tribune, « le public ne s’aperçoit de rien, mais ses gardes du corps sont de plus en plus tendus » . Car, au balcon, « deux hommes » sont en train de filmer… Les gardes du corps voient partir les deux individus sans les avoir identifiés. « Ils ne sauront jamais s’ils étaient vraiment dangereux. Pour Mohamed Sifaoui, la tension est permanente. »

Cette entrée en matière pourrait faire sourire si elle n’était, en réalité, le premier volet d’un amalgame bien construit que nous révèle la suite du film : Sifaoui témoigne à présent en faveur de Philippe Val, directeur de Charlie Hebdo , au procès des « caricatures de Mahomet ». Au sortir de la salle d’audience, il rend compte à chaud de sa déposition devant une forêt de micros et de caméras : « Mes tripes ont parlé. J’ai vu mes confrères qui ont été happés par le terrorisme islamique. » Présente à l’audience, Caroline Fourest donne aussi son sentiment : « Ceux qui acceptent la critique, j’en connais pas beaucoup. Y’en a pas beaucoup, comme Mohamed. » Un mois après, Mohamed est dans l’avion. Il se rend au Danemark. « Il a rendez-vous avec Ibrahim le Syrien et Fathi le Palestinien. Ils organisent un rassemblement de démocrates musulmans. Un événement inédit » , explique Vitkine. On s’est comme légèrement éloigné de l’islamisme. Les Turcs, les Palestiniens et les centaines de milliers d’électeurs français musulmans apprécieront sûrement. Mais il n’est pas certain que la suite de cette soirée (un reportage érudit sur Mahomet et les femmes permettant de se dédouaner à bon compte du soupçon d’islamophobie et un débat de trente minutes préformaté et animé par Leconte, faisant office de cerise sur le gâteau) aura permis aux spectateurs d’Arte d’y voir plus clair.

* Guillaume Weill-Raynal est avocat. Il est l'auteur d'Une haine imaginaire (2005) et des Nouveaux Désinformateurs (2007), parus aux éditions Armand Colin.
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