L’écologie contre le social

Thomas Coutrot  • 1 novembre 2007 abonné·es

Le 4 octobre 2007, la conférence tripartite sur les conditions de travail concluait ses travaux dans l’indifférence générale. Principales décisions mises en avant par le ministre Xavier Bertrand : la création d’un groupe de travail pour réfléchir à des indicateurs du stress au travail et l’appel à la négociation des partenaires sociaux pour renforcer la prévention dans les très petites entreprises. Les cancers professionnels continueront à tuer des milliers d’ouvriers chaque année, et les maladies articulaires (les « troubles musculo-squelettiques ») dues à l’intensité excessive du travail continueront à infliger des souffrances quotidiennes à des millions de salariés (13 % d’entre eux sont touchés, selon une récente étude de l’Institut national de veille sanitaire).

Le 23 octobre, une autre grand-messe sociale, la conférence « Emploi-pouvoir d’achat », se concluait par l’annonce de la création de nouveaux indicateurs (encore !) de consommation et de revenus, et d’un changement du mode de revalorisation du Smic : celui-ci ne sera plus indexé
sur les prix et les salaires, comme depuis la loi de 1970 (suite directe de Mai 68), mais suivra désormais les recommandations d’un groupe « d’experts » néolibéraux. Nicolas Sarkozy avait pourtant déclaré qu’il serait « le Président du pouvoir d’achat » . Pendant ce temps, la contre-réforme des retraites et la flexibilisation du marché du travail ­ réclamée par le Medef et Jacques Attali ­ sont en marche.

Le 25 octobre, le Grenelle de l’environnement débouchait sur des mesures qui, même si la question de leur financement et donc de leur réelle mise en oeuvre reste nébuleuse, représentent des avancées importantes aux yeux des ONG écologistes et de l’opinion.

Comment expliquer un tel contraste entre reculs sociaux et avancées écologiques ? Bien sûr, l’avenir de la planète est fort heureusement devenu un thème majeur du débat public, du fait de l’énormité des enjeux. Mais l’emploi, le pouvoir d’achat et la santé au travail ne sont pas non plus des broutilles. Une des raisons majeures du décalage réside dans les stratégies des acteurs sociaux concernés. D’un côté, des syndicats de salariés, certes saignés à blanc par des décennies de chômage de masse et de précarité, mais en plus, divisés et incapables d’élaborer une stratégie commune face au Medef. De l’autre, des ONG environnementales certes diverses mais coordonnées et dotées de propositions précises.

Pire encore, les syndicats (sauf la CGT) ont fermé la porte de la Conférence sur les conditions de travail au nez de la Fnath et de l’Andeva, des associations de victimes (des accidents du travail et de l’amiante) qui ont pourtant largement prouvé leur capacité à lutter et à gagner contre les entreprises responsables des dégâts du productivisme capitaliste. À vouloir préserver leur monopole de la représentation des salariés, les confédérations syndicales s’enferment dans un tête-à-tête avec le Medef dont ne sortiront que de nouvelles régressions.

Conséquence directe de ces stratégies hasardeuses : le Grenelle débouche sur des mesures pour protéger la santé des populations contre la pollution de l’environnement, mais ne dit rien sur l’environnement au travail. « Les produits phytosanitaires contenant des substances extrêmement préoccupantes (cancérogènes et bio-accumulables) seront interdits à la vente dès 2008 pour un usage domestique ou dans les lieux publics » , mais pas dans les entreprises ni dans l’agriculture. Pire encore, Sarkozy l’a promis au Medef, et les ONG semblent l’avoir accepté : selon le principe dit de « neutralité fiscale », pour ne pas réduire la prétendue « compétitivité » (comprendre : rentabilité) des entreprises, la création de la taxe carbone sera compensée par une baisse des cotisations sociales payées par les entreprises.
Si l’on voulait opposer l’écologie à la protection sociale, on ne s’y prendrait pas autrement. En effet, le but même d’une taxe carbone est de réduire les émissions de CO2 et donc sa base imposable. Comment fonder le financement des dépenses sociales sur une taxe qui vise par nature sa propre extinction ? D’ailleurs, comment l’État va-t-il financer « à fiscalité constante » les programmes annoncés en matière de ferroutage, d’isolation des bâtiments et de développement des énergies renouvelables ? Une seule solution : réduire les dépenses publiques dans les autres domaines… Si ONG et syndicats laissent se développer cette opposition entre revendications sociales et écologiques, les lendemains du Grenelle risquent de déchanter.

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