L’enfant

Bernard Langlois  • 15 novembre 2007 abonné·es

La France est ce royaume dont le prince est un enfant.

Un sale gosse. Un capricieux, gâté pourri. Et vicieux, avec ça. Manipulateur, menteur, dissimulateur, hâbleur, une vraie tête à claques (au cas où ça vous aurait échappé, c’est bien le portrait qui ressort, en creux, du petit livre à sa gloire pondu par Yasmina Reza : juste quelques lignes par-ci par-là, noyées dans un grand bol de sirop, mais bien présentes quand même, et ça n’a pas dû lui plaire, au président bling-bling…), qui ne supporte pas qu’on lui tienne tête et trépigne à la moindre contrariété. Faut pas croire : il y a sûrement des compensations ­ ne serait-ce que ces petits séjours surprises (et secrets) au Maroc, en charmante compagnie, entre deux voyages officiels ­, mais ça ne doit pas être marrant tous les jours d’être admis dans le cercle des intimes, demandez à Martinon, le pauvret ! Au moindre écart, la baffe, imbécile !

Dur, dur, la vie de courtisan.

L’enfant que la France s’est donné comme président a toujours rêvé d’être une star.

C’était ça, sa vraie vocation : comédien célèbre, comme son pote Clavier, tour à tour Astérix et Napoléon, ah, le pied ! Ou mieux encore, rocker, comme Johnny, retiens la nuit, ah que c’est bon ! À la rigueur, Jacques Martin, sous vos applaudissements… Mais, bon, pas vraiment de talent, ni pour la chansonnette ni pour la comédie. Restait nain de jardin ou politicien : il a choisi la politique, où il a taillé sa route avec, faut reconnaître, une habileté diabolique, un culot d’acier et un art consommé du léchage (quand c’est utile) et de la trahison (quand c’est nécessaire) ­ ces deux ressorts de la réussite.

Il a réussi, il est au sommet et peut chanter, dans les troisièmes mi-temps avec ses copains : « C’est ma fête, je fais ce qui me plaît, ouais, ce qui me plaît, hé. » Yé-yé attitude.

Ruptures

Six mois de règne, déjà, sans partage. Sans opposition. Six mois d’une occupation permanente de tous les écrans, d’une agitation frénétique de tous les instants. Six mois qui autorisent un premier bilan.

Notons d’abord que le rêve a passé d’imposer l’image glamour d’une famille « à la Kennedy » , fracassé sur la révolte d’une épouse qui visiblement n’en pouvait plus. Sarkozy promettait la rupture, il l’a eue ­ même si ce n’est pas sur celle-là qu’il misait. Il faut lui en reconnaître une autre, de rupture, celle du style de gouvernement : après « le président en charentaises » des règnes précédents, il nous fait « l’homme aux semelles de vent ». Ça en jette. La Cour applaudit chaque sortie, chaque saillie, chaque rodomontade de cour de récré : la dernière en date ( « Descends, viens, viens le dire ici ! » ) lancée en direction d’un pêcheur breton en pétard est saluée avec ravissement ; voilà-t-y-pas un président courageux, qui n’a pas peur d’aller au contact (courage relatif, si l’on considère l’équipe de gros bras protecteurs qui l’entoure…) ? Mais ce style direct, déjà en vigueur au cours de la campagne, plaît encore à une majorité de Français qui n’en saisissent pas le côté factice. Comme ils ne réalisent pas non plus ce que peut avoir de coûteux, en termes diplomatiques, l’implication sans retenue du chef de l’État dans des affaires comme celle du Tchad, (comme, avant, dans celle des infirmières bulgares) et le crédit qu’elle donne à des dirigeants aussi peu recommandables que Kadhafi ou Idriss Deby. Plaisent aussi, apparemment ­ et toujours sans qu’on en mesure les possibles développements ­, les déclarations d’amour au Congrès américain (dignes d’un collégien acnéique) et les standing ovations qu’elles valent à leur auteur : à l’heure où même le fidèle allié britannique prend franchement ses distances d’avec un Bush discrédité jusqu’à l’os, l’homme qui dirige la France et se veut l’héritier de de Gaulle postule au rôle de caniche laissé vacant par la retraite de Tony Blair.

Il y a bien rupture, en effet, dans tous les compartiments du jeu. Et pas pour le meilleur.

Épreuve de force

Mais voici qu’on aborde novembre dans un climat plutôt lourd d’incertitude.

De nombreux sujets de mécontentement s’accumulent, touchant des catégories diverses : comme ce monde judiciaire (mais aussi nombre d’élus locaux) pris à rebrousse-poil par la réforme de la carte initiée par dame Dati, la chouchoute du chef ; comme ce ras-le-képi qu’on sent monter au sein des forces de l’ordre, harcelées, sommées de « faire du crâne » (en priorité dans la chasse à l’immigré) ; comme sur les campus, où le projet de réforme universitaire provoque une prévisible agitation ; ou dans les services publics, confrontés à l’attaque frontale annoncée et attendue sur les régimes de retraite, qui ne pouvait avoir (malgré des syndicats plutôt mous du genou) d’autre réponse que la grève : nous y sommes, en plein, et vous savez déjà ce que j’ignore encore, à quel degré sur l’échelle de la mobilisation se situe l’épreuve de force et si elle s’installe ou non dans la durée.

Tout se passe en tout cas comme si l’affrontement avait été voulu en haut lieu, dans une posture à la Thatcher et dans l’assurance d’un soutien de l’opinion que garantiraient les sondages.

Perplexité

Et c’est là qu’on bascule dans une lourde perplexité : est-il possible, malgré le zèle des médias domestiques à discréditer les mouvements de grève, que le président bling-bling continue d’être soutenu par une majorité de nos concitoyens ?

Car s’il est un terrain où l’échec est patent, c’est sur l’amélioration du pouvoir d’achat et les conditions de vie de la majorité des Français : si beaucoup ont adhéré au slogan-vedette de la campagne, force est de constater que seule la première partie ( « travailler plus… » ) est au programme, au détriment de la seconde ( « … pour gagner plus » ). Il est une catégorie qui a beaucoup reçu depuis l’avènement de Neuilly-Bocsa : les riches, qui ont pompé sous forme de cadeaux fiscaux l’essentiel des ressources disponibles. Sauf à mettre la France « en faillite » , comme dit Fillon, il ne reste plus rien à distribuer alors même que le prix de la vie explose et que, selon les sondages, la question du pouvoir d’achat est devenue la toute première priorité dans les préoccupations des Français. Passe que le pouvoir puisse encore faire illusion sur des tas de choses (de la fumisterie du « Grenelle de l’écologie » à la prétendue « ouverture », qui n’est que débauchage minable d’individus aux convictions avariées, en passant par l’activisme débridé du Prince et son prétendu courage) ; passe que l’on ne mesure pas encore avec assez de force ­ la mobilisation commence à peine, il convient d’en pousser les feux
[^2] ­ l’ampleur de la forfaiture qui consiste à faire adopter par le Parlement, sous une forme à peine différente, un projet de traité précédemment repoussé par le peuple au scrutin direct (référendum), avec du reste l’indigne complicité d’un Parti socialiste décidément perdu d’honneur ; passe qu’on puisse faire croire aux braves gens que la réforme des retraites est une urgence, la franchise médicale une nécessité, la fermeture des tribunaux de proximité un progrès, la traque de l’immigré une mesure de salut public, le matraquage des mal-logés une triste obligation (sur tous ces points, un seul cri, celui de Josiane Balasko, rue de la Banque : « Mais que foutent les mecs du PS ? » ) : mais que le pouvoir d’achat stagne ou régresse quand les prix augmentent, que de plus en plus de gens aient du mal à boucler les fins de mois, alors même que prospèrent les revenus du capital, que truandent les patrons et que le Président lui-même s’octroie un triplement de ses émoluments ­ quand déjà il vit aux frais de la princesse ! ­, ça devrait suffire à lier la sauce qui fait les beaux embrasements sociaux, non ?

Non, même pas ? Dans huit jours tout est fini, on replie les banderoles, on roule les calicots et on se prépare à la trêve des confiseurs ? Alors là, oui, vraiment, ce pays est cuit ­ dans ce qui fit sa force d’attraction, son originalité, sa vitalité. Les ralliés à Sarko ont raison : à la soupe !

Ce royaume où le prince est un sale gosse ne mérite même plus qu’on s’intéresse à son sort.

[^2]: Pétition à signer pour exiger un référendum : .

Edito Bernard Langlois
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