Il pleut du bonheur

« Comicopera » est le nouvel album de Robert Wyatt. Une pièce de plus dans l’œuvre unique
d’un artiste magnifique.

Jacques Vincent  • 6 décembre 2007 abonné·es

Robert Wyatt ressemble de plus en plus à un magicien sorti d’un livre de J. R. R. Tolkien. Il vit dans la campagne anglaise et passe le plus clair de son temps à faire de la musique, jouer, enregistrer, jusqu’à accumuler un matériau dans lequel il puise pour en extraire l’ébauche de futures chansons. Un travail en solitaire qu’il compare à celui d’un peintre ou d’un poète. Un travail d’artiste. Ce qui, sans doute, explique aussi sa longévité et sa perméabilité aux modes. Parfois, il sort de sa retraite pour aller enregistrer dans le studio de son ami Phil Manzanera, l’ancien guitariste de Roxy Music et l’un de ses fidèles compagnons de route avec Eno, David Sinclair, Paul Weller et d’autres, plus récents, comme la trombonniste Annie Whitehead, le bassiste Yaron Stavi ou le saxophoniste Gilad Atzmon.

Depuis plus de trente ans, les disques de Robert Wyatt ne ressemblent qu’aux siens. Ils sont le fruit d’une démarche qui tient moins de l’expérimentation que d’une exploration perpétuelle, joyeuse et ludique, de la musique. Comicopera en est un exemple de plus. Il est divisé en trois parties : « Perdu dans le bruit », « L’ici et le maintenant » et « Loin des fées ». Chacune dure vingt minutes, le temps moyen d’une face de disque vinyle, qui reste l’unité de base dans l’esprit de son auteur. La première est composée de chansons intimistes, la seconde de considérations plus politiques sur l’Angleterre actuelle. On trouve dans les deux nombres de pop songs, ce que Wyatt a toujours revendiqué de faire, à sa façon unique. Ce sont des chansons brumeuses comme des peintures impressionnistes. On en retiendra deux : « Just as You Are », merveille interprétée en duo avec la chanteuse brésilienne Monica Vasconcelos, et « A Beautiful War », digne d’un Brian Wilson qui aurait toute sa tête.

La troisième partie regroupe une série de chansons en italien et en espagnol, déjà sorties sur diverses compilations. C’est le Robert Wyatt citoyen du monde qui reprend un chant du Parti communiste italien, un autre en hommage à Che Guevara, et met en musique un poème de Federico Garcia Lorca selon un cheminement lourd, obsessionnel et grinçant. Ce sont des pièces musicales plus longues, qui alternent rythmes latinos, abstraction contemporaine et un jazz libertaire pour grande formation évoquant l’esprit du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden, dont on se souviendra qu’il jouait un morceau intitulé « Song For Chè ». Peu importe le genre, aime-t-il à dire, il s’agit toujours de notes et d’intervalles entre les notes. On peut le dire autrement. En l’occurrence, il s’agit toujours de Robert Wyatt, et c’est toujours magnifique.

Dès les premières notes de Comicopera , on est plongé dans un ruissellement de musique générant un sentiment de félicité que prolonge tout le reste du disque. C’est comme une pluie régénérante, ce qu’est toujours la beauté dans sa simplicité.

Culture
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