Courrier des lecteurs Politis 983

Politis  • 4 janvier 2008 abonné·es

Violences policières à Lyon-II

Nous avons reçu, par l’intermédiaire de lecteurs abonnés, le témoignage d’une professeure sur la grève des étudiants à Lyon-II. Nous avons préféré, pour des raisons évidentes, ne pas dévoiler son identité.
Tout a commencé avec la loi Pécresse de réforme des universités, signée dans la précipitation cet été par le président de la fac, M. Journès. Certains étudiants et enseignants se sont opposés à cette loi.

Les étudiants ont choisi le blocage de l’université comme mode d’action. […]
En décembre, le président de l’université a fait appel aux « forces de l’ordre » : des vigiles privés, très jeunes, non assermentés, arrogants et dépassés par les événements, patrouillaient dans la fac avec un brassard orange marqué « sécurité ». Ils apostrophaient tout le monde, tutoyaient tout le monde, et nous demandaient de justifier notre présence dans l’université en montrant notre carte « cumul » (une carte magnétique d’étudiant ou d’enseignant qui sert aussi de carte de bibliothèque et de carte… de paiement dans l’enceinte de la fac…). Il semble bon de rappeler qu’une université est un « établissement public à vocation scientifique et culturelle ». […]
À l’entrée principale du campus de Bron, et rue Chevreul sur le campus des quais du Rhône, dès 7 h 30 le matin, tous les jours, les CRS arrivaient pour déloger les étudiants qui protestaient. […] Ils étaient régulièrement soutenus par la gendarmerie mobile.

Deux de mes étudiantes m’avaient dit avoir été « molestées » par les CRS, et voulaient que j’en sois témoin. J’ai vu les CRS plaquer les étudiants au sol, les jeter plus loin, les matraquer dans le ventre et sur la tête.
Un jour, sur les quais, deux leaders syndicaux étudiants ont été désignés du doigt par des policiers en civil avant d’être poursuivis dans une rue adjacente par les CRS. Ce qui signifie qu’un travail préalable « d’information » a été effectué et que ces arrestations sont ciblées pour détruire les mouvements syndicaux. […] Dans un communiqué odieux et mensonger, la présidence de la fac a dit qu’ils étaient « extérieurs à l’université » et que ces arrestations étaient survenues après des troubles. Il n’y avait pas eu de troubles autres qu’une manifestation pacifique, nous sommes plusieurs enseignants à en avoir été témoins. Un étudiant a été blessé, d’autres ont été mis en joue au flashball.

Des policiers en civils […] ont longuement filmé les manifestants. S’ils avaient effectivement été convoqués par le président de l’université dans le seul but de permettre aux étudiants qui voulaient suivre les cours d’entrer dans la fac, pourquoi filmaient-ils ? Doit-on ajouter la DGSE à la liste des membres du personnel de l’université ?
De notre côté, enseignants ou étudiants, on nous a beaucoup empêchés de filmer. Ce qui signifie que les images disponibles sur Youtube et sur Dailymotion ne sont pas à la hauteur de la réalité. Face à cette situation, plusieurs enseignants, dont je suis, ont refusé de faire cours. Je refuse d’entrer dans une fac investie par les forces de police, de gendarmerie et de vigiles privés non assermentés.

Je refuse de montrer des papiers d’identité pour me rendre sur mon lieu de travail. Je refuse de me faire bousculer par des CRS. Je refuse de me faire tutoyer avec mépris par des individus que je ne connais pas. Je refuse d’entendre un vigile insulter un de mes collègues […] en lui disant : « J’vais t’fumer toi, j’vais t’fumer. » Nous ne sommes pas, que je sache, dans un état policier. Ou alors il faut nous le dire clairement, parce que cela signifie que les règles du jeu ont changé. Je croyais que l’on avait le droit de grève dans notre pays. […]

Français et immigrés

J’ai beaucoup apprécié l’article de Claire Rodier dans Politis n° 973, mais il m’a semblé qu’il était, en partie, en décalage avec la réalité actuelle de la société française. Tout comme nombre de réactions de lecteurs sur ce sujet de l’immigration. Car, la gauche, et surtout « la gauche de la gauche », place cette question sur le terrain de l’humanisme, des droits de l’homme, du civisme, alors que les Français ont perdu ces notions. Aujourd’hui, ils se fichent de connaître la vie et le sort réservé aux immigrés, clandestins ou non. Ils ne voient en eux que le coût : CMU, allocations, logement, etc. Est-ce étonnant ? De quoi s’inquiètent les Français ? Aides sociales, emploi, retraites, pouvoir d’achat, salaires, logement…

Dans un monde individualisé, individualiste, concurrentiel, précaire, croyez-vous qu’agiter des idéaux démocratiques et humanistes puisse considérablement influer sur la majorité de la population, qui vit dans la peur, dans un monde incertain ? Malheureusement, en appeler aux droits de l’homme et en l’humanité de chacun pour défendre un individu qui est potentiellement un concurrent à la survie (car c’est cet état d’esprit qui prédomine de plus en plus) n’a aucun effet. Que faire ? Continuer bien sûr à rappeler ce qui a fondé notre société, comme la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais aussi démontrer que ce ne sont pas les étrangers qui nous volent notre pain. Ce que de plus en plus de Français croient.

L’étranger serait le voleur numéro 1 de nos ressources, tandis que les patrons, et leurs complices politiques et médiatiques, convoitent, détournent, transfèrent et amassent, toujours plus, des milliards d’euros qui sont autant de richesses dues au peuple. Ceux-là sont les véritables voleurs. Et nous devons rétablir la vérité. L’argent reste le nerf de la guerre, et c’est sur ce terrain que les Français attendent des réponses. Tant que l’étranger sera perçu comme un pilleur de ressources, nulle déclaration sur le respect des droits de l’homme n’aura de sens pour une grande part de la population, qui considère déjà que les droits de l’homme et la démocratie ont des limites, celles de la rentabilité financière et de la réussite économique, et que ces limites sont justes et nécessaires.
Gaétan Alibert, Montpellier (Hérault)

Abus et contradictions
Le discours du président de la République à Saint-Jean-de-Latran est effarant. On ne peut pas se contenter d’ironiser sur le nouveau chanoine – tradition pour le moins obsolète, y compris dans l’Église catholique. Nicolas Sarkozy ne parle pas, dans ce discours, au nom de tous les Français, ni des seuls chrétiens, ni même au nom des catholiques de France, mais au nom d’une sensibilité catholique traditionaliste qu’il assume comme la sienne… et celle de toute la France. Par exemple, sous le nom de « fait historique », il remet à l’honneur l’idéologie intégriste de la France fille aînée de l’Église. Il continue d’invoquer les racines chrétiennes de la France, alors même que cette formulation n’a pas été retenue dans les textes européens. Aussi, il ne tient pas compte des apports spirituels, humanistes, culturels des religions non catholiques, des agnostiques et athées dans notre pays, estimant même que l’aspiration spirituelle qui est en tout homme ne trouve sa réalisation que dans la religion.

Lui, président de la République, élu par des Français de toutes convictions, il exprime des positions personnelles d’ordre spirituel, voire religieux, en mettant gravement en cause l’exercice laïque de sa fonction, allant jusqu’à identifier son ambition politique et la vocation sacerdotale !
Son affirmation de l’actualité des lois de séparation de 1905 est contredite par la tonalité générale de son discours. L’allusion au livre la République, les religions et l’espérance, que Nicolas Sarkozy a remis au pape, nous laisse craindre en réalité une remise en cause juridique inquiétante de cette loi, dont certaines propositions du rapport Machelon sont sans doute une esquisse.

L’Observatoire chrétien de la laïcité, avec tous les laïques français, continuera de défendre la laïcité telle qu’elle est définie dans les deux premiers articles de la loi de 1905 comme dimension essentielle de la démocratie.
Jean Riedinger, secrétaire de l’Observatoire chrétien de la laïcité

Pouvoir d’achat

J’ai trouvé de l’argent pour votre pouvoir d’achat : le vôtre !
Comme d’habitude, Denis Sieffert nous dessine parfaitement le paysage politique dans le domaine économique et social (cf. Politis n° 979) : l’idéologie sarkozienne et ses soubassements de régression sociale, et l’insondable vide de ce qui n’est plus socialiste et guère davantage une opposition.
La droite semble en effet avoir découvert la pierre philosophale permettant de répondre aux attentes des salariés (tout du moins l’espère-t-elle) tout en mettant en œuvre son programme ultralibéral. Il s’agit d’offrir aux travailleurs… ce qu’ils ont déjà gagné ! Denis Sieffert évoque les fonds de participation que leurs bénéficiaires sont incités à vider sans tarder, mais il aurait également pu illustrer son édito avec la monétisation des jours de RTT ou la défiscalisation-désocialisation des heures supplémentaires, qui conduisent tout simplement à financer une partie des salaires par des droits à congés ou à prestations sociales.

Cela laisse évidemment intacts les profits, qui peuvent continuer à prospérer. L’intérêt, par ailleurs, est également de vider des caisses de solidarité qui font toujours davantage de place aux assurances privées. Lorsque leur part et donc leur coût deviendront trop élevés pour les catégories populaires, il sera toujours temps d’inciter celles-ci à vendre ou à hypothéquer leurs biens pour pouvoir se soigner ou vivre une retraite décente. C’est d’ailleurs ainsi que l’État procède depuis de longues années, bradant le patrimoine de la nation pour couvrir ses dépenses et continuer ainsi à distribuer les cadeaux fiscaux aux plus fortunés.
Bertrand Eberhard, Paris

Une forfaiture

Ce que le peuple souverain a décidé directement le 29 mai 2005 ne peut être défait que par lui-même, et non par un arrangement intergouvernemental ratifié par les seuls parlementaires. S’asseoir ainsi sur la volonté populaire est par ailleurs le meilleur moyen de creuser l’écart entre les aspirations citoyennes et la construction européenne.

Ce viol de la démocratie montre la méfiance des élites envers la souveraineté populaire. C’est aussi un déni, quand près de la moitié des électeurs ont choisi Mme Royal, qui avait choisi de soumettre au référendum cette question…
Quid de la démocratie participative quand une question majeure échappe au suffrage du peuple ?

Où est le respect des engagements pris devant le peuple quand la direction du PS préfère renier un engagement de la campagne électorale de la présidentielle, devenant le parti supplétif au président Sarkozy, lui donnant le soutien sans lequel cette forfaiture ne serait pas possible ? Où est le parti qui « protège » (slogan des élections législatives) ? Qu’est ce parti d’opposition où les désertions renforcent le gouvernement, les compromissions affichées (Allègre par une porte dérobée, Rocard dans une commission officielle dont le but est de démolir les statuts de la Fonction publique…) et les renoncements devenus une ligne de conduite ?
Raymond Martin, Pézenas (Hérault)

Les dons détournés du Téléthon

Notre fille aînée est morte en 1988, âgée de 17 ans, des suites d’une maladie rare, l’ostéogenèse imparfaite (maladie des os de verre). Si nous avons toujours admiré la compétence et le dévouement du personnel médical, nous avons été en butte à l’incompétence, à la lourdeur et au formalisme des administrations, en particulier de l’Éducation nationale et de la Sécurité sociale. Un seul exemple d’absurdité : il n’y avait aucun modèle de fauteuil roulant homologué qui convienne à la taille d’un enfant, parce que l’homologation dépendait du ministère des Anciens Combattants.

Depuis, grâce au seul Téléthon, les choses se sont améliorées, tant du point de vue pratique pour le quotidien des malades que dans l’espérance de thérapies. À l’issue du Téléthon 2007, qui s’est soldé par une diminution importante des promesses de dons (en ce domaine aussi la perte de pouvoir d’achat a sévi), j’ai voulu vérifier le statut fiscal des personnels rémunérés par l’Association française contre les myopathies (AFM). Ils sont normalement assujettis à l’impôt sur le revenu. Dans les faits, par le truchement de cet impôt, l’État ponctionne, après coup, une partie des dons destinés à la recherche médicale. La générosité des citoyens est détournée à leur insu.

Pourtant, les relations entre les donateurs et ces personnels ne sont en aucune façon marchandes, elles ne sont pas commerciales. À l’heure où le gouvernement, sous la houlette de Nicolas Sarkozy, défiscalise à tour de bras dans le but incertain de stimuler l’activité, la justice pour les malades et le souci d’efficacité dans l’aide à la recherche seraient de mettre fin à ce détournement. Que l’État, incapable de financer la recherche pour les maladies rares, renonce au moins à prendre dans la caisse. Avec l’accord des intéressés, leurs salaires pourraient être minorés de ce qu’ils devraient au fisc, tout en s’acquittant des différentes cotisations sociales, pour ne rien perdre de leurs droits. Leurs salaires pourraient être considérés comme des indemnités, par exemple. Pour cette année, une telle mesure suffirait à compenser les dix millions d’euros manquants.
Daniel Kilmétis, Saint-Martin-des-Champs (Seine-et-Marne)

Lettre ouverte au PS

Vous avez annoncé votre intention de vous abstenir lors de la consultation du congrès pour une modification de la constitution, demandée par l’actuel gouvernement pour pouvoir procéder à l’adoption du traité de Lisbonne par vote au Parlement et au Sénat. Vous allez priver ainsi le peuple français d’un référendum, après que celui-ci a voté non au TCE en mai 2005, par 54,8 % des voix. Vous savez pourtant que les dispositions de ce texte sont les mêmes que celles du TCE. Vous savez que le texte en a été rendu illisible pour les citoyens.

Votre candidate avait pris l’engagement, lors de la campagne présidentielle, de procéder par référendum. Vous reniez ainsi vos engagements et violez la démocratie. Vous cautionnez Nicolas Sarkozy lorsqu’il avoue les raisons de cette procédure : « Des référendums sur le nouveau traité européen seraient dangereux et perdants en France, en Angleterre et dans d’autres pays. Il y a un gouffre entre les peuples et les gouvernements. » (Lors d’une réunion avec les parlementaires européens le 14 novembre à Strasbourg.)
Si vous persistez dans cette voie, nous comprendrons que vous ne défendez ni la démocratie ni le peuple souverain, et que vous méprisez l’expression populaire.

Claudine Girod

Courrier des lecteurs
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