Pendant ce temps-là, Bush continue…

Denis Sieffert  • 10 janvier 2008 abonné·es

Contraint à l’exil par le nazisme, Thomas Mann, disait orgueilleusement : « La culture allemande est là où je suis. » On peut se demander ces jours-ci où est la politique américaine. Au Proche-Orient, où George W. Bush entame une tournée ridiculement anachronique ? Ou dans le New Hampshire, où le candidat démocrate Barak Obama trace (si l’on en croit les sondages) le chemin qui le conduira peut-être à la Maison Blanche dans tout juste un an ? Est-elle avec un président certes légitime mais de plus en plus fantomatique, et qui promet de faire aujourd’hui tout le contraire de ce qu’il a fait pendant sept ans ? Ou est-elle déjà tournée vers l’avenir ? La réponse est suggérée par ces jeunes électeurs qui semblent plébisciter le sénateur noir de l’Illinois. Pourtant, comme souvent aux États-Unis, lapolitique se distille à doses homéopathiques. Mais si on ne sait pas trop qui est « de gauche », on sait très bien qui est de droite. Le mormon Mitt Romney, l’intégriste chrétien Mike Huckabee et l’ancien maire de New York Rudy Giuliani appartiennent incontestablement à cette espèce. Réactionnaires en tout, ils ne dépareraient pas l’héritage idéologique de George W. Bush. Pour la paix du monde, et pour l’image des États-Unis, il faut de toute façon souhaiter leur défaite. Côté démocrate, on loue des talents oratoires, un sens de la répartie, mais on ne sait pas très bien ce que les candidats feraient d’un système de santé de plus en plus réservé aux riches, ni ce qu’ils diraient de la situation au Proche-Orient. On sait tout juste que Mme Clinton est capable, aussi bien sur l’Irak que sur la Palestine, de dire tout et son contraire, et que son principal rival dans le camp démocrate a déjà, lui aussi, opéré quelques fameux pas de clerc sur ces sujets.

Tout est donc affaire de « feeling ». Quelques mots, un comportement, une double culture (son père est kenyan) nous laissent penser que Barak Obama aurait sur certains grands sujets de bons réflexes. Il lui arrive de parler de « ceux qui travaillent ». Il invoque les mânes de Martin Luther King, invite son pays à « négocier » avec ses ennemis, puise plutôt ses arguments dans le registre du droit que dans celui de la force. Quoi qu’il en soit, l’envie partagée par beaucoup d’Américains de s’éloigner le plus possible de l’ère Bush plaide en sa faveur. Malgré elle, Hillary Clinton est liée à cette époque. L’idée d’une alternance quasi népotique entre les Bush et les Clinton n’est pas du meilleur effet. C’est ce que l’électorat américain exprime dans un profond désir de changement. Pour le reste, cette imparfaite démocratie nous montre une fois de plus ce qu’elle a de plus désolant : la Maison Blanche se conquiert à coups de millions de dollars. Non pas toujours la fortune personnelle des candidats ­ encore que le milliardaire Romney peut se permettre de dépenser sans compter ­, mais les sommes recueillies à force de concessions et de promesses aux lobbies. C’est sans doute la raison pour laquelle les candidats restent discrets sur leurs intentions. Il ne faut insulter aucun financier potentiel. La remontée de Barak Obama ne se mesure pas seulement dans les sondages. Elle se concrétise aussi par les sommes amassées.

Ces sommes qui permettent aux candidats d’acheter du temps de publicité sur les chaînes de télévision, et d’abrutir l’électeur comme un vulgaire consommateur de boisson gazeuse, ou de dénigrer sans retenue leurs concurrents. Si Barak Obama n’est pas le plus à gauche des candidats, il offre au moins le visage d’une gauche acceptable pour ses bailleurs de fonds. Dans un tel système, on ne peut guère en demander plus. Cela dit, le suspense restera entier au moins jusqu’au « super Tuesday », le 5 février, quand une vingtaine d’États délivreront leur verdict. Et au-delà. Car, à supposer qu’il obtienne l’investiture de son parti, c’est face au candidat républicain qu’Obama aurait à se coltiner l’Amérique profonde. Celle qui a élu deux fois George W. Bush. Lequel, pendant ce temps-là, continue… Il a entamé mercredi une visite au Proche-Orient dont l’objectif, claironne-t-on un peu partout, serait la paix fondée sur la création d’un État palestinien avant la fin de 2008. La supercherie consiste à ne jamais dire de quel État il s’agirait. Comme les dirigeants israéliens, George Bush joue sur la confusion entre « colonies sauvages » et colonies tout court. Il se paie le luxe de demander le démantèlement des premières pour mieux légitimer les secondes, celles que les autorités israéliennes envisagent de continuer d’étendre. Or, ce sont ces colonies tout ce qu’il y a de plus officielles, et tout ce qu’il y a de plus contraires cependant au droit international, qui balafrent la Cisjordanie, isolent Jérusalem et encerclent les agglomérations palestiniennes. Un président des États-Unis cessera-t-il un jour de tricher avec cette région du monde ? Assurément ça ne sera pas George W. Bush.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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