Cannes 2008 : « Poudre aux yeux » des Enfants de Don Quichotte ; « The End of Poverty » de P. Diaz ; « Versailles » de P. Schoeller ; « L’Échange » de C. Eastwood

Christophe Kantcheff et Ingrid Merckx sont à Cannes pour le Festival du cinéma. Retrouvez chaque jour sur Politis.fr leurs billets en direct de la Croisette.

Cannes 2008  • 20 mai 2008 abonné·es

Poudre aux yeux des Enfants de Don Quichotte ; The End of Poverty de Philippe Diaz ; Versailles de Pierre Schoeller

Par Ingrid Merckx

Standing ovation pour les Enfants de Don Quichotte sur la Croisette où leur film, Poudre aux yeux , était présenté à la Semaine de la critique dans une nouvelle version, plus musclée, plus rythmée, plus équilibrée. Preuve que Ronan Dénécé, Augustin et Jean-Baptiste Legrand ont tenu compte des critiques qui ont dû leur être faites sur la version diffusée sur Internet, pour donner encore davantage d’importance à la parole de SDF et au contre-champ de leur action sur le canal Saint-Martin.

Preuve aussi que le montage des images prises pendant la lutte a évolué avec la lutte. Et en fonction de la lutte, puisque ce film n’est pas le compte-rendu de l’action démarrée par les Enfants de Don Quichotte en décembre 2006, mais plutôt le journal de cette action jusqu’en décembre 2007, avec, en contrepoint, des témoignages de SDF, et des extraits de journaux télévisés ou de documents diffusés sur Internet. « Je ne sais pas si vous allez voir du cinéma, mais vous allez voir de la politique » , a annoncé Augustin Legrand avant la projection, en clin d’œil au thème « Cinéma et politique » de la « Journée particulière » organisée à la Semaine de la critique ce 19 mai, et parrainée par les cinéastes Hany Abu Assad ( Paradise now ) et Romain Goupil. Drôle d’intitulé pour cette journée : est-ce à dire que la politique est absente les autres jours à Cannes ? Mais il faut saluer cette initiative d’avoir réservé un espace sur la Croisette à des films militants.

Illustration - Cannes 2008 : « Poudre aux yeux » des Enfants de Don Quichotte ; « The End of Poverty » de P. Diaz ; « Versailles » de P. Schoeller ; « L’Échange » de C. Eastwood

« Poudre aux yeux ne cache pas grand-chose, alors que le cinéma militant d’autrefois s’en gardait bien ! » , a commenté Romain Goupil, en faisant référence à ce que le film montre des problèmes rencontrés sur le canal Saint-Martin, ou de certains apartés. Autre intérêt de ce film : il enregistre des déclarations de responsables politiques (Catherine Vautrin, Jean-Louis Borloo, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, Christine Boutin…), pour mieux mettre en évidence leur manque, voire leur absence, d’effet. Exercice de transparence ? Ce film sur un engagement citoyen est un film qui engage : les citoyens à rejoindre le mouvement, et les politiques à assumer leurs propos. Huit mois après la levée du « camp retranché » sur le canal, les promesses n’ont pas été tenues. Et cinq mois après l’action du 15 décembre à Notre-Dame et l’entrée en vigueur de la loi sur le droit au logement opposable, rien n’a changé dans la rue. Poudre aux yeux , Acte I, est comme un bilan d’étape. « On ne sait pas s’il y aura un acte II au cinéma , ont prévenu les Legrand, mais ce qui est sûr, c’est qu’il se joue en ce moment, y compris ce soir dans cette salle. »

« Pourquoi tant de pauvreté en France ? Je ne comprends pas, expliquez-moi! » , demande un sans abri dans Poudre aux yeux . En finir avec la pauvreté était justement le sujet du documentaire de Philippe Diaz présenté en début d’après-midi. The End of poverty est un assemblage d’analyses telles qu’en fournit le mouvement altermondialiste, les acteurs de l’économie sociale et solidaire et les partisans de la décroissance depuis des années : dette des pays du tiers-monde, exportation des richesses des pays du Sud au détriment des populations locales, expropriation des terres, privatisation de biens communs comme l’eau, mainmise des multinationales, omnipotence de la Banque mondiale et du FMI… Le tout défendu par des experts, dont Clifford Cobb, Susan George, Joseph Stiglitz et Eric Toussaint, et entrecoupé de témoignages recueillis auprès de paysans d’Amérique latine et d’Afrique notamment.

Principal intérêt de ce film : en se plaçant d’un point de vue historique, il démontre les liens entre pauvreté, colonialisme, capitalisme et violence depuis 1492. Mais, très scolaire dans le propos et dans la forme, il s’en tient à lister des constats déjà rebattus plutôt que de développer, par exemple, des propositions comme celles de la décroissance, ou l’a-croissance, comme dirait Serge Latouche. « Tous ces constats sont présents dans la presse alternative mais très peu dans la presse généraliste » , a expliqué Philippe Diaz, qui a privilégié la prise de conscience du « grand public » . Un grand public qui part déjà avec du retard.

Pendant ce temps, l’urgence. Illustration en sélection Un certain regard avec une jolie fiction de Pierre Schoeller, Versailles . Ou l’histoire d’une jeune femme de 23 ans (Judith Chemla), à la rue avec son petit garçon, Enzo (Max Baisette de Malglaive). En rupture familiale, trop jeune pour le RMI, elle en vient, pour suivre une formation, à laisser Enzo à un SDF (Guillaume Depardieu) qui vit dans les bois et qui sort de sa marginalité pour s’occuper du gamin. L’occasion aussi de revisiter avec ce film les dispositifs sociaux, fonctionnements et dysfonctionnements. Don Quichotte, Acte II…

I.M.


L’Échange de Clint Eastwood

Par Christophe Kantcheff

Quelle différence entre le Commissaire Maigret et l’Échange , de Clint Eastwood, présenté en compétition officielle ? Aucune, sinon qu’Angelina Jolie n’a jamais tourné dans la série française…

Bon, j’exagère. Mais j’entends déjà les cris d’admiration devant ce « chef-d’œuvre de classicisme » , cette tarte à la crème qu’on ressasse devant les films sans surprise mais proprement mis en scène, « dans les règles », que produit le cinéma américain. Et, assez souvent, le dénommé Eastwood.

L’Échange est un film plan-plan sur une mère, dans les années 1930, dont le jeune fils disparaît, avant d’être retrouvé par les enquêteurs fédéraux. Le problème, c’est que ce n’est pas le même enfant. Et que la police ne veut pas reconnaître publiquement son erreur. D’où la violence d’État qui s’abat sur Christine Collins, alias Angelina Jolie, qui, elle, sait bien qu’il y a erreur, proteste, et n’a de cesse de savoir ce que son fils est devenu.

Quelle est la personnalité de ce film ? Clint Eastwood semble illustrer le scénario qu’il a entre les mains, pas plus. N’étant pas manchot, il travaille honnêtement, mais sans habiter véritablement son film. Et les yeux mouillés de madame Jolie ne changent rien à l’affaire. Ça manque d’âme. À l’opposé du James Gray d’hier soir, Two Lovers , de bout en bout vibrant et inspiré.

Il y a toujours des journées comme celle-ci pendant le festival où on fait chou blanc. Autant de films vus, autant d’indifférence ou de déception. Je préfère un film qui me donne des raisons de ne pas l’aimer mais l’envie d’écrire sur lui, qu’un film qui ne suscite pas grand-chose en moi. Comme cela a été le cas de Delta , du Hongrois Kornel Mundruczo, et plus encore de la Femme sans tête , de l’Argentine Lucrecia Martel, tous deux dans la compétition officielle. Sans vouloir faire un mauvais jeu de mot, la Femme sans tête est un film sans corps, qui veut jouer sur plusieurs registres à la fois – le tableau familial, le polar, le roman psychologique… – sans réussir à en atteindre un seul.

Si les Enfants de Don Quichotte ont investi aujourd’hui les écrans de cinéma, comme l’évoque plus haut Ingrid Merckx, les travailleurs sans-papiers, eux, se sont montrés dans les rues de Cannes. Une manifestation qui, outre les travailleurs sans-papiers, a réuni des représentants de la CGT bien sûr, qui encadre le mouvement, mais aussi de la LDH, de RESF, d’Attac, du PCF, de la LCR… et, peut-être, qui sait ?, quelques citoyens lambda. En tout, une centaine de personnes (est-ce un chiffre satisfaisant pour une ville aussi sympathique que Cannes ?).

C.K.

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