La Quinzaine tient l’affiche

Née en 68, la Quinzaine des réalisateurs fête ses quarante ans
de Croisette cette année. Un documentaire d’Olivier Jahan, « 40X15 », lui rend hommage.

Ingrid Merckx  • 22 mai 2008 abonné·es

« Poisson pilote des sélections officielles, tête chercheuse du festival, vivier de la compétition, manifestation alternative à Cannes, radar pour les scènes émergentes, versant cinéphile de la Croisette… » La Quinzaine des réalisateurs fête ses 40 ans sur un podium. À tel point qu’on ne sait plus trop qui est off sur la Croisette, cette programmation fondée par des réalisateurs au sortir de 68 et toujours mordante, ou la compétition officielle, avec laquelle elle a toujours été un peu à couteaux tirés. Le nouveau cinéma, en tout cas, passe historiquement d’abord par la Quinzaine, qui le découvre et le fait découvrir, puis il « monte » en compétition officielle pour être adoubé et offert au grand public. L’idée de départ, c’était de créer un espace pour les films de cinématographies négligées et les cinéastes nouveaux venus dans un esprit non compétitif : « Les films naissent libres et égaux. » On reconnaît bien là l’esprit de 68, même si le premier délégué général de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau, un proche d’Henri Langlois, affirme qu’il a toujours été un homme de droite. Il n’empêche : été 68, après les coups d’éclats de cinéastes comme Godard, Truffaut, Chabrol, Malle, Doniol-Valcroze, le festival est finalement annulé.

Dans la foulée s’organisent les États généraux du cinéma, d’où sortira l’idée d’une nouvelle instance, la Société des réalisateurs de films (SRF), qui a bien l’intention de faire de l’entrisme au sein des instances décisionnaires. Une quinzaine de projets émergent, certains osés (le cinéma entièrement gratuit pour tout le monde), d’autres salués, comme celui de créer une section parallèle au festival de Cannes. Ce sera la Quinzaine des réalisateurs, dont la première édition a lieu en 1969, dans un désordre enthousiaste. Mais, rapidement, la Quinzaine s’impose comme la programmation préférée des cinéastes parce que, comme le résume Jacques Nolot dans 40X15, le documentaire réalisé par Olivier Jahan pour l’anniversaire de la manifestation, elle réunit des œuvres « underground, jeunes, fraîches, subversives ».

C’est elle qui a fait connaître la Salamandre d’Alain Tanner, Aguirre de Werner Herzog, Family Life de Ken Loach, Il était une fois un merle chanteur d’Otar Iosseliani, Jeanne Dielman de Chantal Akerman, l e Droit du plus fort de Werner Fassbinder, l’Empire des sens de Nagisa Oshima, Stranger than Paradise de Jim Jarmusch, la Promesse des frères Dardenne, Moe No Suzaku de Naomi Kawase ou Be with me d’Eric Khoo… Autant de cinéastes qui témoignent chaleureusement dans 40X15, les uns relatant le soir de leur reconnaissance, d’autres des anecdotes piquantes, entre les deux témoins phares que sont Pierre-Henri Deleau et Olivier Père, l’actuel délégué général. Collant à l’esprit de la manifestation, ce documentaire aurait pu être plus subversif. Qu’est devenu le cinéma d’auteur ? Pourquoi les frontières sont-elles brouillées ? Comment s’en débrouiller avec les films « du milieu » ? Quels sont les critères de sélection ? Si 40X15 dit un mot de la bataille avec « l’officielle » et de la grogne des films français évincés au profit des étrangers, elle reste discrète sur ses relations avec la Semaine de la critique et le marché des festivals internationaux. Ce film est un bel hommage, mais qui peine à faire passer de l’autre côté de l’écran.

Culture
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