Les oubliés de la réforme

Le gouvernement a prévu un nouvel allongement de la durée de cotisation dans sa réforme des retraites, et pousse les seniors à conserver leur emploi. Mais il n’a pris aucune décision concernant la pénibilité au travail.

Pauline Graulle  • 22 mai 2008 abonné·es

L’obsession sarkozyste du « travailler plus pour gagner plus » n’a pas fini de laisser sur le bord du chemin des pans entiers de la population. Avec l’allongement de la durée de cotisation à 41 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein, les plus de 55 ans, dont les deux tiers sont éjectés du marché de l’emploi, ont été désignés comme les premières cibles de la réforme des retraites, présentée fin avril par le gouvernement. Le document d’orientation, qui contient un catalogue de mesures pour « amplifier la mobilisation pour l’emploi des seniors » , a provoqué une relative union syndicale et le mouvement de grèves et de manifestations de ce jeudi 22 mai.
Les orientations du gouvernement occultent la situation des seniors. Pourquoi un grand nombre sortent-ils du marché de l’emploi sans avoir effectué la totalité de leurs annuités ? Tout simplement parce qu’ils « n’en peuvent plus » [^2] ou parce que leur état de santé ne permet pas la prolongation de leur activité (voir page suivante). Ce sont précisément ceux-là, les seniors les plus sujets à la pénibilité au travail, qui se retrouvent de fait « oubliés » du plan gouvernemental. Ceux pour qui la proposition gouvernementale d’encourager le cumul de la pension de retraite avec une reprise d’un emploi est impossible : « Que pourra faire une personne usée par son travail, qui n’a pas de formation, et qui ne peut physiquement plus faire la seule chose pour laquelle elle était compétente ? » , s’interroge Tiphaine Garat, ingénieur d’étude à l’Institut du travail de Strasbourg, spécialisée dans le travail des seniors.

Illustration - Les oubliés de la réforme


Claude, âgé de 77 ans, travaille dans un garage d’Hérouville-Saint-Clair. DANIAU/AFP

Les orientations déjà prévues dans la réforme des retraites de 2003 étaient pourtant soumises à deux conditions, imposées notamment par la CFDT : la prise en compte du taux d’activité des seniors, et l’ouverture de négociations pour définir le travail dit pénible, qui pourrait dès lors ouvrir le droit à un départ anticipé. « C’est un principe de justice sociale quand on sait que la différence d’espérance de vie entre un cadre et un ouvrier atteint sept ans. Certains profiteront d’autant moins longtemps de leur retraite » , explique Danièle Karniewicz, secrétaire nationale chargée de la protection sociale à la CFE-CGC.
L’ouverture de ces négociations était aussi avancée comme un préalable à la réforme des régimes spéciaux, Nicolas Sarkozy voulant les remettre à plat au prétexte *« qu’il existe des régimes spéciaux de retraite qui ne correspondent pas à des métiers forcément pénibles, et qu’il existe des métiers pénibles qui ne correspondent pas à un régime spécial de retraite ».

Mais voilà. Les partenaires sociaux ont eu beau se mettre dix-sept fois autour de la table des négociations en trois ans, pas moyen de trouver un accord. Si quatre types de pénibilité ont été identifiés (exposition à un environnement de travail délétère, horaires décalés, contraintes physiques intenses et stress), le Medef a botté en touche sur le volet « réparation » de la pénibilité. D’un côté, les organisations syndicales plaident pour une reconnaissance collective de cette pénibilité par secteur d’activité, qui entraînerait automatiquement une cessation anticipée d’activité financée par l’employeur. De l’autre, les organisations patronales restent arc-boutées sur une « approche personnalisée » de la pénibilité, qui pourrait donner droit à un « allégement » de la charge de travail, financé par la solidarité nationale. Leur dernière proposition consiste ainsi à mettre en place une commission qui regrouperait les représentants syndicaux et patronaux ainsi qu’un médecin du travail, afin de déterminer au cas par cas si le salarié présente bien des « traces durables identifiables et irréversibles » sur sa santé, résultant des travaux pénibles qu’il a exercés. Une condition qui s’ajouterait aux autres critères : avoir accompli 40 ans d’activité salariée, dont 30 ans d’exposition à l’un des facteurs de pénibilité et 10 ans exposé à au moins trois facteurs en même temps. « Ce texte est un morceau d’anthologie !, ironise Danièle Karniewicz. Comment voulez-vous que les salariés répondent à tous ces critères ? »

Au vu de l’échec des négociations, il revient au gouvernement de trancher entre les desideratas patronaux et les exigences syndicales. Hasard – ou non – du calendrier, le député UMP Jean-Frédéric Poisson rendra fin mai un rapport sur la pénibilité au travail. « Ce rapport permettra peut-être de rouvrir les discussions, aujourd’hui au point mort », espère Mijo Isabey, responsable du dossier retraite à la CGT. Mais rien n’est moins sûr. Car, selon un membre de la mission d’information de Jean-Frédéric Poisson, le texte n’est que la pâle copie des propositions patronales : « En sa forme actuelle, le rapport évacue tout départ anticipé à la retraite pour cause de travail pénible, et propose seulement un éventuel aménagement du temps de travail en fin de carrière. M. Poisson a expliqué qu’il n’était pas question de réinventer les régimes spéciaux ! Pour l’instant, il reste juste à espérer que ce rapport parlementaire restera dans un tiroir. » Et à redouter qu’il ne devienne la feuille de route du gouvernement.

[^2]: « Les salariés âgés face au travail “sous pression” », Céline Mardon et Serge Volkoff, Connaissance de l’emploi n° 52.

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