Quelle boussole ?

Christophe Ramaux  • 16 octobre 2008 abonné·es

L’initiative privée a du bon. Faut-il en déduire que le jeu des intérêts particuliers est porteur de bien-être social ? Les libéraux le pensent. La crise signe leur débâcle intellectuelle. La finance est le secteur qui a été le plus déréglementé au cours des dernières décennies. Or, c’est justement lui qui s’effondre. Keynes l’a depuis longtemps souligné : plus un marché financier est libéralisé, plus il fonctionne selon une logique spéculative. Si je pense que la tendance dominante est d’acheter un titre financier (action, obligation, titres de crédits, dérivés de crédits, etc.), il est parfaitement rationnel de l’acheter, et ce quelle que soit la solidité de la contrepartie (la capacité de l’emprunteur à rembourser son crédit, la viabilité de l’entreprise…). Car la prophétie est autoréalisatrice : puisque le pari sur la hausse conduit à acheter, la demande excède l’offre, ce qui pousse le titre à la hausse et conforte le choix d’achat. Mais ce qui vaut à la hausse vaut à la baisse…
En marche normale, un titre financier est quasiment liquide.
Mais qu’est-ce que la liquidité ? La liquidité par excellence est la monnaie : un euro vaudra toujours un euro (c’est inscrit dessus), et personne – sauf crise de défiance sur la monnaie – ne me refusera de payer avec. Avec la monnaie, je peux instantanément – d’où l’expression de liquidité – acheter ce que je veux (des biens, des machines, des titres financiers…) à hauteur de la quantité de monnaie dont je dispose. À l’inverse, est moins liquide tout ce qui n’a pas cette puissance d’achat immédiate : je ne peux guère payer avec une machine, un appartement ou un titre de créance pour un crédit que j’ai accordé. C’est tout l’intérêt des marchés financiers : ils permettent de rendre liquide ce qui ne l’est pas. Grâce à eux, en marche normale, je peux vendre et transformer instantanément en monnaie mon titre financier. Cela est utile. La prise de risque, dans le bon sens du terme, est en effet favorisée : je suis moins réticent à avancer 10 000 euros à un État, une entreprise où un particulier si je sais que je peux revendre à tout instant le titre correspondant en échange de monnaie. C’est d’autant plus utile et précieux que nos économies fonctionnent fondamentalement à crédit.

Le crédit est l’opération par laquelle une banque, par un simple jeu d’écriture, crée de la monnaie. Si X désire emprunter 1 million d’euros et que la banque lui concède le crédit, autant de monnaie a été créée (qui n’était pas dans les coffres de la banque). En échange, la banque reçoit de l’emprunteur une créance du montant du crédit à rembourser (avec en sus les intérêts). Le crédit est le véritable cœur de l’économie. Il est premier, inaugural. Il permet de lancer des activités (privées mais aussi publiques) en espérant bien sûr que celles-ci permettront de rembourser le crédit. Parce qu’il est crucial, sa distribution doit être contrôlée. Les banques doivent ainsi traditionnellement respecter une série de règles, dont celle qui consiste à avoir en dépôt une certaine fraction des crédits qu’elles concèdent. Les banques centrales jouent ici un rôle majeur. Pour faire face à leurs engagements, les banques peuvent en effet se tourner vers elles pour emprunter de la monnaie. D’aucuns (les libéraux, mais ce ne sont pas les seuls) fustigent Alan Greenspan, qui, par sa politique de bas taux d’intérêt, aurait favorisé la bulle spéculative. Trichet aurait donc eu raison ? La racine de la crise est ailleurs : la mise à bas des mécanismes de contrôle de la finance, de sorte qu’elle a pu multiplier, selon une logique purement spéculative, les produits financiers en chaîne (les fameux produits dérivés et structurés), sans se soucier du sérieux des « contreparties ».

Avec le krach, ce qui était a priori liquide ne l’est plus. Chacun cherche à vendre ses titres contre de la monnaie. Mais plus personne ne souhaite acheter. La valeur des titres s’effondre. C’est la soif éperdue de liquidité. Sur le marché interbancaire, les banques se refusent à se prêter de la monnaie entre elles. Les prochains jours diront si les puissances publiques parviendront à surmonter cette crise de liquidité. Le danger est immense : à défaut de liquidité, une entreprise ne peut plus payer ses fournisseurs ou ses salaires. C’est la dépression.
La crise de liquidité et, au-delà, la crise financière et ses retombées sur l’économie réelle exigent l’intervention publique. Mais quelle peut être la boussole pour ne pas retomber dans les errements passés ? Suggérons cette boussole : les économies ne peuvent décidément être de marché, elles doivent être avec du marché et de l’intervention publique. Et cela dans tous les domaines : la finance mais aussi, par exemple, les échanges commerciaux. Le tout n’étant pas réductible au jeu des parties, l’intervention publique a sa vocation propre. Sa fonction, n’en déplaise aux sociaux-libéraux, n’est pas seulement de soutenir les marchés. Bref, il faudra prendre garde à ce que nous préparent les sociaux-libéraux : « Que tout change, pour que rien ne change »… avec la socialisation immédiate des pertes et la privatisation future des bénéfices à la clef.

  • Maître de conférences à Paris-I.
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