Ralph Nader, toujours d’attaque

Le défenseur des consommateurs, qui se présente pour la quatrième fois à la présidentielle, est persuadé que les citoyens de son pays sont d’accord avec lui mais ne le savent pas.

Xavier Frison  • 30 octobre 2008 abonné·es

Posté à la gauche de l’estrade, où il attend patiemment son tour, Ralph Nader révise un unique pense-bête, les noms de quelques personnes à remercier griffonnés à la hâte. On aura profité de cinq minutes ­d’aparté un peu inattendues lors de sa conférence de presse de Denver, à la fin de l’été, pour lui glisser quelques mots sur Politis. Et esquisser une demande d’entretien qui se perdra dans le calendrier démentiel de sa troisième campagne présidentielle. Au total, avec le raout de ce soir-là dans le Colorado, organisé en pleine Convention démocrate, Nader, 74 ans, grande carcasse sèche à la fois dynamique et légèrement voûtée, visage émacié barré de grandes billes rondes sous d’épais sourcils, ne visitera pas moins de 45 États. Après avoir échangé quelques mots sotto voce avec nous, il interroge discrètement : « Combien de semaines de congés payés avez-vous, déjà, en France ? Quatre ? – Non, cinq, plus des jours attribués grâce au système des 35 heures, aujourd’hui menacé par le président, Nicolas Sarkozy. – Ah, oui, je vois » , termine le candidat dans une moue qui en dit long.
Une fois juchée au pupitre, après quelques minutes de chauffe, la machine Nader se met en route. Tantôt vindicatif, tantôt compatissant, souvent mordant, l’ex-candidat Vert des élections de 1996 et 2000 (et indépendant en 2004) n’a rien perdu de sa verve. Si d’aucuns estiment que cette campagne est la danse de trop pour ­l’avocat de l’Amérique ­pauvre, dont les revendications ne trouveraient plus d’écho avec la présence de Barack Obama, lui y croit dur comme fer. Extraits du programme du candidat indépendant et de ses thèmes de prédilection.

Les deux grands partis : « Nous sommes heureux de voir que la Convention démocrate s’est bien passée. Une grande fête financée par des millions de dollars alloués par le Congrès sur les fonds publics, tout comme pour la Convention républicaine. Le Parti démocrate, cet ancien parti des travailleurs, s’est transformé en parti institutionnel des grandes compagnies, à l’instar du Parti républicain. Des compagnies comme celles de l’industrie pharmaceutique, qui veut maintenir des prix hauts, ou les compagnies pétrolières, qui veulent conserver des prix tout aussi élevés. L’industrie pharmaceutique ne veut pas de couverture santé universelle pour tous, car elle menacerait sa capacité d’influence et son pouvoir. Les banques non plus ne veulent rien changer. Les intérêts des grandes entreprises de ce pays se sont greffés au Parti démocrate. »

Les pauvres et la guerre : « Quand, mis à part John Edwards, avez-vous entendu le Parti démocrate parler des pauvres ? Il parle des classes moyennes, mais les ­pauvres représentent 100 millions ­d’Américains. Ils nettoient derrière nous, nous servent à manger, nous aident à élever nos enfants, prennent soins de nos parents. Ces gens travaillent en étant sous-payés, surtaxés, exclus, non respectés et politiquement marginalisés. Mais les pauvres sont toujours bons pour se battre dans les guerres de ce pays. Si vous regardez les soldats morts en Irak, vous voyez qu’ils sont issus des rangs latinos, afro-américains et blancs pauvres. Pour eux, la guerre est une nécessité économique. Ils n’ont actuellement pas d’autre opportunité pour acquérir des compétences ou trouver un métier après leur service militaire. »

Le débat : « Le dialogue doit s’étendre à un débat politique élargi, qui ne soit pas contrôlé par les intérêts économiques. Bien que nous soyons dans un monde de communication, les candidats indépendants ont un accès de plus en plus réduit aux gens. Pourquoi notre pays est-il le seul à rationner le débat dans une année électorale ? Alors même que les partis républicains-démocrates n’ont pas mené les réformes dont nous avons besoin. On ne rationne pas les bulletins météo ni les émissions de divertissement ou les retransmissions sportives. Pourquoi rationne-t-on les débats politiques ? Parce que c’est le processus de contrôle ultime pour nier le message du 1er amendement : le droit de s’exprimer librement, le droit à une presse libre et le droit de se rassembler, ce qui est le socle même de ceux qui, comme moi, recherchent une audience électorale. »


Les médias : « Cette question essentielle du contrôle doit être soumise aux médias de masse. Les médias indépendants, eux, comprennent le 1er amendement de la Constitution. Leur sens de la hiérarchisation des informations n’est pas déterminé par celui qui a le plus d’argent ou celui qui est le plus célèbre. Il est déterminé par celui qui répond aux questions que se pose le peuple américain. Les travailleurs, consommateurs, patients, fermiers, ouvriers, des gens qui sont jetés à terre et exclus. Dans certains endroits du pays, nos candidats locaux sont soutenus par la majorité des gens. Mais, aujourd’hui, il est plus difficile ­d’avoir de vrais débats, de toucher les gens, de les informer. Sans le soutien d’un seul grand média, j’ai obtenu 7 % d’intentions de vote, selon un sondage Time /CNN de cet été. Avec une couverture minimum par les médias de masse, nous serions sur la route du succès. Car des dizaines de millions d’Américains n’ont même pas été mis au courant que nous étions dans la course à la présidence. »

Les grandes questions : « Nos candidats locaux et nationaux indépendants représentent l’opinion majoritaire du peuple américain sur des questions comme la couverture sociale, les salaires, l’arrêt de la corruption par les grandes entreprises dans l’attribution de contrats publics, les actes illégaux de compagnies comme Halliburton ou Carlyle en Irak. Les gens ­veulent arrêter les baisses de taxes pour les plus riches et les transférer à ceux qui gagnent peu. La majorité des Américains ne veulent pas d’un boulevard pour les intérêts des grandes compagnies, ils ne veulent pas d’une présidence qui soit sous la coupe des grandes entreprises. La majorité des gens veulent sortir d’Irak, trouver une solution avec deux États dans le conflit entre Palestiniens et Israéliens. Ce n’est pas ce que les deux partis proposent. Nous aurions dû régler ces problèmes et beaucoup d’autres il y a des années, voire des dizaines d’années. Mais nous ne sommes pas membres du premier monde, du deuxième ou du troisième. Nous sommes les leaders du quatrième monde : pays riche, citoyens pauvres. »

Barack Obama : « Je dis à Obama : si vous deveniez président, il ne faut pas que ce soit seulement une évolution de carrière. Votre élection doit être vue comme quelque chose qui a du sens, spécialement pour les centaines de milliers de per­sonnes qui font tant pour ce pays et exposent leur santé et leur sécurité pour lui. »

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