Le roman d’un gangster

Simon Sebag Montefiore relate la jeunesse du futur Staline, Caucasien peu recommandable, aventurier avant d’être révolutionnaire.

Claude-Marie Vadrot  • 11 décembre 2008 abonné·es

Comme s’il avait quelque chose à se faire pardonner, Simon Sebag Montefiore parsème son récit sur la jeunesse de Staline d’appréciations peu flatteuses : « gangster », « terroriste », « jeune homme sans scrupule », « insensible ». Faut-il se justifier de construire un livre passionnant sur un personnage sulfureux ? Car il est vrai que ce fils de cordonnier est un sujet de roman : tour à tour enfant de chœur, séminariste, chasseur et météorologue, écrivant et publiant des poèmes avant d’être connu comme révolutionnaire et organisateur de sanglantes attaques de diligences et de banques pour procurer de l’argent à Lénine, qu’il rencontre pour la première fois en novembre 1905, en Finlande.

Lui, son royaume, c’est la Géorgie, où il est né, et le Caucase, où il rassemble les ouvriers, organise les grèves en chantant « la Marseillaise » après avoir quitté le séminaire. Les cinq ans qu’il y a passés l’ont guéri de la religion, mais en ont fait un intellectuel aussi bien nourri de Victor Hugo que de Zola ou Marx, lus en cachette la nuit dans les dortoirs de l’école, où sa voix fait merveille à la chorale. Une voix avec laquelle, dans un registre plus sentimental, il charmera souvent les femmes, qu’elles viennent du peuple ou de l’aristocratie. Laquelle ne lui ménagea pas, contrainte ou volontaire, son soutien logistique et financier. Dans la longue liste de ses « complices » politiques, on trouve un prince, grand-père du président actuel de la Géorgie, Mikheil Saakachvili.
Des mille et une histoires retrouvées par l’auteur dans des archives oubliées, le lecteur pourra aussi déduire que la brutalité et le charme du personnage trouvent en partie leur origine dans son affection-détestation envers un père qui se détruira en buvant et le maltraitera jusqu’à ce qu’il quitte Gori, sa ville natale, pour Tbilissi (alors Tiflis), en compagnie de sa mère. Pèseront aussi sur son comportement les maladies et les accidents auxquels il survivra de justesse, le doute qui ne sera jamais levé sur ses origines – son véritable père fut peut-être un pope ami de la famille –, et la mort de sa femme, Kato, en 1907.
Ce livre, qui souffre parfois de l’imprécision des sources et des citations, rappelle à ceux qui l’auraient oublié que Iossif Vissarionovitch Djougachvili, l’homme aux quarante pseudos de guérilla qui n’adopta le surnom de Staline qu’en 1913, était d’abord un Caucasien, avec tout ce que cela implique de folie, d’excès, de grandeur et d’amour des armes. Cette jeunesse fascinante ne peut faire oublier la suite de l’histoire de l’URSS, mais, au moment où le jeune Staline se battait et s’échappait de prison ou de ses exils sibériens, les prisons du tsar Nicolas II comptaient près de 200 000 prisonniers politiques. Quant à la « morale » de l’histoire, s’il en existe une, elle fut tirée plus tard par Staline : « La politique est un sale boulot, et nous avons tous fait du sale boulot pour la Révolution. »

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens »
Entretien 9 juin 2025 abonné·es

François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens »

L’océanographe et plongeur professionnel ne se lasse pas de raconter les écosystèmes marins qu’il a côtoyés dans les années 1980 et qu’il a vu se dégrader au fil des années. Il plaide pour une reconnaissance des droits des espèces invisibles qui façonnent l’équilibre du monde, alors que s’ouvre ce 9 juin à Nice la Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc).
Par Vanina Delmas
L’insurrection douce, vivre sans l’État
Idées 4 juin 2025 abonné·es

L’insurrection douce, vivre sans l’État

Collectifs de vie, coopératives agricoles, expériences solidaires… Les initiatives se multiplient pour mener sa vie de façon autonome, à l’écart du système capitaliste. Juliette Duquesne est partie à leur rencontre.
Par François Rulier
Isabelle Cambourakis : « On ne pourra plus revenir à une édition sans publications féministes »
Entretien 4 juin 2025 abonné·es

Isabelle Cambourakis : « On ne pourra plus revenir à une édition sans publications féministes »

Il y a dix ans, les éditions Cambourakis créaient la collection « Sorcières » pour donner une place aux textes féministes, écologistes, anticapitalistes écrits dans les années 1970 et 1980. Retour sur cette décennie d’effervescence intellectuelle et militante avec la directrice de cette collection.
Par Vanina Delmas
« Si ArcelorMittal tombe, c’est l’ensemble de l’industrie française qui tombe »
Entretien 27 mai 2025 abonné·es

« Si ArcelorMittal tombe, c’est l’ensemble de l’industrie française qui tombe »

Alors qu’ArcelorMittal a annoncé un vaste plan de suppressions de postes, la CGT a décidé d’entamer une « guerre » pour préserver les emplois et éviter le départ du producteur d’acier de l’Hexagone. Reynald Quaegebeur et Gaëtan Lecocq, deux élus du premier syndicat de l’entreprise, appellent les politiques à envisager sérieusement une nationalisation.
Par Pierre Jequier-Zalc