Gaza, vu du Hamas

L’homme qui raconte ici son histoire, celle de sa famille, et qui décrit la vie à Gaza,
est le frère d’un dirigeant
du mouvement islamiste tué par Israël.

Denis Sieffert  • 19 février 2009 abonné·es

Voici deux semaines, nous avions évoqué ici le « Gaza » d’un journaliste palestinien, Hassan Balawi. Celui-ci se définissait lui-même comme « enfant de l’OLP ». Pour autant, son témoignage de laïque n’épargnait pas le « système Fatah » ; un système aux spécificités franchement mafieuses dans l’étroit territoire de Gaza. C’est dans la continuité du précédent que nous avons lu le livre dont nous vous parlons aujourd’hui. Il s’agit moins cette fois d’une histoire de Gaza que d’un récit subjectif, celui d’un médecin de Gaza, chirurgien orthopédiste, qui nous parle de sa propre évolution et de celle de sa famille, originaire de Ramallah.

Mohamed al-Rantissi n’est pas membre du Hamas. Il en est proche. Et sa proximité n’est pas seulement politique ou religieuse. Il est le frère d’Abdelaziz al-Rantissi, l’homme qui avait succédé à Cheikh Yassine à la tête du mouvement islamiste avant d’être lui-même assassiné par Israël en 2004. Quiconque aime comprendre se passionnera pour ce livre écrit avec simplicité. Mohamed y raconte son propre parcours et celui de son frère, notamment à partir de l’occupation de Gaza par Israël, en 1967.

L’auteur décrit une résistance palestinienne « teintée de marxisme » ou de « nationalisme laïque » à la façon du parti Baas syrien ; une résistance à la limite de l’antireligieux. La famille est pieuse, mais sans plus. De retour d’Égypte, en 1971, où il a fait ses études de médecine, Abdelaziz n’a pas été converti par les Frères musulmans, que, visiblement, il n’a pas côtoyés. C’est un militant social. Sa femme ne porte pas le voile. Son évolution est donc typique des changements profonds qui ont travaillé la société palestinienne à partir de cette époque, consécutifs à l’échec du nasserisme, de la gauche palestinienne et de l’OLP : « Il y a bien eu, en 1974, le discours d’Arafat à la tribune de l’ONU à New York […], mais rien, toujours rien de tangible pour les Palestiniens », note, désenchanté, Mohamed. C’est après cela, au cours d’un deuxième séjour au Caire, où il achève une spécialité de pédiatrie, qu’Abdelaziz « croise le chemin de la mosquée » . Et celui des Frères.

Parallèlement, l’histoire se fait. Et toujours aux dépens des Palestiniens : « En novembre 1977, se souvient Mohamed al-Rantissi, le voyage à Jérusalem du président égyptien Anouar el-Sadate vient ajouter un clou au cercueil de notre cause : il n’exige aucune contrepartie en échange d’un traité de paix avec Israël. »
Intransigeance israélienne, trahison arabe, échec du mouvement nationaliste : c’est sur cette toile de fond que la conversion d’Abdelaziz s’opère. On ne saurait mieux dire l’imbrication du politique et du religieux. Certes, le Hamas ne voit le jour qu’en décembre 1987. Mais son éclosion, comme son irrésistible montée en puissance, semble suivre une courbe régulière qui se dessine au verso des rebuffades israéliennes et des échecs de l’OLP. La suite est l’histoire d’un homme traqué qui ne quitte les prisons israéliennes que pour entrer dans celles de l’Autorité palestinienne. Au printemps 2004, Cheikh Yassine, le fondateur du Hamas, est abattu par un missile israélien, quelques jours après avoir fait une offre de trêve à Israël… Abdelaziz al-Rantissi lui succède. Brièvement. Car, le 3 juillet, il est à son tour victime d’un missile israélien. Nous sommes alors presque dans notre actualité. Celle qui va du retrait des colonies juives de Gaza, en août 2005, jusqu’à la récente et sanglante offensive israélienne. La vision qui nous est proposée du conflit interpalestinien, de la prise de contrôle de Gaza par le Hamas, de la vie quotidienne sous le blocus nous éloigne sensiblement du récit imprégné de propagande israélienne qui domine dans les médias français. Mais la relation des faits, à propos de cette dernière période qui va de 2005 à aujourd’hui, ne diffère pas de celle d’Hassan Balawi. Ce qui tendrait à démontrer que la vérité n’est pas maltraitée dans ce livre. On aurait cependant préféré que les attentats à « la ceinture explosive » donnent lieu à une vraie réflexion. Mais il est vrai que dans le flot monstrueux de violence qui s’abat en permanence sur ce ­peuple, tout devient relatif. Et c’est peut-être cela le comble de l’horreur.

Idées
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