Arrêtons de financer la malbouffe

L’Europe commence à prendre des initiatives pour une meilleure
alimentation. Mais on est encore loin du compte, et ce n’est pas que la faute des institutions, estime Hannes Lorenzen*.

Hannes Lorenzen  • 9 avril 2009 abonné·es

En novembre, la Commission européenne lançait un programme, passé presque inaperçu, en faveur de la consommation de fruits et de légumes dans les écoles. À partir de la mi-2009, l’Union européenne souhaite les inciter à en proposer davantage dans les cantines, et ­lutter ainsi contre l’obésité des enfants, de plus en plus répandue. Le surpoids concerne de nos jours bien plus de la moitié de la population adulte et près de 30 millions d’enfants. Chaque année, les maladies cardio­vasculaires et les cancers coûtent environ 200 milliards d’euros au système de santé. Même si les quelque 90 millions d’euros destinés chaque année à l’achat de fruits bon marché sont une goutte d’eau dans la mer, cette initiative va dans la bonne direction.

C’est sur les mécanismes de financement que se concentrent les problèmes : désormais, si le prix des aliments plus sains baisse, celui des moins bons n’augmentera pas. Or, si la « malbouffe » entraîne des maladies, elle devrait être plus chère, car elle impose aux citoyens et à la société des coûts inutiles. Mais, jusqu’à présent, la politique agricole européenne a diminué le prix du sucre et des graisses animales grâce à des subventions. Cela a surtout fait grossir les Européens les plus pauvres. Les personnes qui ne peuvent se permettre que des produits alimentaires transformés industriellement et bon marché absorbent beaucoup de sucres et de graisses. À quoi s’ajoutent des masses d’additifs et de conservateurs. La liste des ingrédients contenus dans ces denrées ressemble souvent à une notice de médicament.

Toutefois, si une certaine nourriture n’est pas bonne pour la santé, ce n’est pas systématiquement dû qu’à l’offre des discounteurs, mais également aux habitudes alimentaires et d’achat. Ceux qui se laissent attirer par les « offres spéciales » achètent des produits au rabais, rapidement et en grande quantité. L’association Les Amis de la terre-Europe a monté que les consommateurs qui réfléchissent à ce qu’ils ­veulent manger avant de faire les courses achètent jusqu’à 20 % de moins.
Même le grignotage, c’est-à-dire le fait de manger entre les repas, dans la rue, devant le réfrigérateur ou encore devant la télévision, phénomène très répandu aux États-Unis et de plus en plus en Europe, donne des ulcères aux nutritionnistes. Acheter et manger ne sont souvent plus des décisions conscientes, mais des habitudes. Cependant, sur le long terme, les régimes et les systèmes sophistiqués d’étiquetage sur les quantités potentielles de graisses et d’agents pathogènes ne sont d’aucun secours. Souvent, les produits de substitution aux graisses et aux sucres sont même plus problématiques pour la santé.

Cependant, une série d’initiatives et de mouvements travaille à de nouveaux systèmes d’alimentation durable. Parmi ceux-ci figure le mouvement Slow Food, qui a recréé des liens entre les pratiques de culture des végétaux et d’élevage des animaux, la manière de transformer et de préparer les aliments, et le rapport entre la conservation de la biodiversité dans les fermes et la variété de nos goûts alimentaires. La découverte de l’importance d’une bonne nourriture ayant du goût naît dans des groupes de bons vivants (convives) et à l’école, et des dégustations publiques font revivre les raffinements de la table.

Les nouvelles coopératives et nouveaux réseaux d’agriculteurs, comme Eurocoop, Cofami ou les Amap, qui transforment leurs produits en commun et les vendent directement aux consommateurs, ont créé des alternatives à la puissance de marché des chaînes de distribution. L’intérêt pour les jardins urbains ou proches des villes, qui fournissent des légumes frais, a fortement augmenté dans de nombreuses régions d’Europe, notamment en Angleterre, où le prix des aliments est particulièrement élevé. De même, des grandes villes comme Copenhague et Amsterdam travaillent à de nouveaux systèmes de ravitaillement direct à partir de leurs environs proches.

En octobre 2008, la Commission européenne publiait un Livre vert sur la cohésion territoriale. Toutes les villes et communes rurales de l’Union ainsi que tous les groupes d’intérêt y sont invités à présenter leurs propositions pour améliorer l’intégration de la politique commune de développement structurel, rural et régional. Dans le contexte du changement climatique et de la protection de la biodiversité, de la nécessité de réduire les frais de transport et de réaliser des économies d’énergie drastiques, l’ouverture d’un vaste débat sur l’organisation future des relations entre ville et campagne est l’occasion de réfléchir à une nouvelle initiative communautaire centrée sur une alimentation saine et une culture alimentaire durable.
Il a quelques années, l’Europe a abandonné l’instrument des initiatives communautaires. C’était une erreur : elles lui offraient la possibilité de s’organiser à partir de la base et d’établir des liens directs avec les institutions européennes, perçues comme lointaines. C’est plus que jamais nécessaire.

Publié dans le dossier
Alimentation : Bien manger, manger tous
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