Entretien avec Marie-George Buffet : Des droits nouveaux pour les salariés

Les députés communistes, républicains et du Parti de gauche présenteront le 28 mai une loi visant à interdire les licenciements boursiers et à mieux répartir la richesse produite par le travail.

Michel Soudais  • 16 avril 2009 abonné·es
Entretien avec Marie-George Buffet : Des droits nouveaux pour les salariés

*Écoutez un extrait sonore de l’entretien*

Vous avez déposé une proposition de loi tendant à interdire les licenciements dans les entreprises ayant versé des dividendes à leurs actionnaires. Pourquoi maintenant ?

Marie-George Buffet : J’ai constaté lors de rencontres avec des syndicalistes et des camarades dont les entreprises sont concernées par des plans de licenciement que ceux-ci ne sont pas toujours liés à la crise. C’est le cas de Celanese dans le bassin de Lacq, qui dégage 20 % de marge. Du jour au lendemain, sa direction texane a choisi de concentrer sa production en Chine et justifie ainsi un plan de licenciement. La loi que je propose s’opposerait à ces licenciements comme à ceux de Caterpillar, autre entreprise bénéficiaire.
Certes, il y a la crise, mais à son origine il y a notamment le fait que la richesse produite par le travail va sans retenue aux dividendes et à la spéculation. Légiférer est nécessaire pour interdire des licenciements, mais aussi pour mieux répartir les richesses.

Les licenciements boursiers remontent à la fin des années 1990 (Nestlé, LU…), mais rien n’a été fait jusqu’ici…

Le fait que des entreprises qui dégagent des profits extrêmement importants, comme Total et ses 13,9 milliards de bénéfices, puissent annoncer des licenciements ou des suppressions de postes a fait prendre conscience que beaucoup de licenciements étaient injustifiés. Ces entreprises ne sont pas menacées dans leur existence, elles n’ont pas de problèmes de débouché ou de trésorerie ; mais leurs dirigeants choisissent de ne les gérer qu’en faveur des desiderata des actionnaires.
Tous les objectifs qui font qu’une entreprise est une entreprise citoyenne – répondre aux besoins humains, produire dans le respect du développement durable, rémunérer les qualifications par un salaire conséquent, consacrer des moyens à l’innovation et à la recherche de nouvelles façons de produire pour alléger la pénibilité du travail, faire en sorte que la production soit économe en énergie – sont mis derrière un seul objectif : enrichir les actionnaires. On parle beaucoup des parachutes dorés, des salaires des grands patrons… Bien sûr il faut les­ ­condamner ! Mais il faut aussi s’attaquer à la grande masse d’argent distribuée en dividendes dans les entreprises.

3 000 chômeurs de plus par jour, c’est une mesure d’urgence ?

Oui. Si la loi était votée, on pourrait empêcher des milliers de licenciements ! Autre aspect des lois que les députés communistes, républicains et du Parti de gauche vont proposer le 28 mai : reconnaître des droits nouveaux aux salariés dans les entreprises. Chez Nestlé, les salariés ont dû occuper leur entreprise des mois durant avant que les autorités, les collectivités territoriales et l’État reconnaissent qu’ils avaient un plan alternatif viable. Et Netcacao fonctionne toujours sur le site de Nestlé à côté de Marseille. Nous proposons qu’en cas de licenciements le comité d’entreprise soit saisi, qu’un magistrat puisse ­stopper la procédure le temps d’examiner les plans alternatifs. Cela permettrait aux salariés de faire entendre des choix différents de ceux des actionnaires. Ces mesures simples peuvent être adoptées très rapidement et donneraient des outils formidables aux organisations syndicales pour défendre l’emploi et une meilleure utilisation de la richesse produite par le travail.

Ces propositions seront-elles débattues dans le cadre de votre « niche » parlementaire ?

Depuis la réforme institutionnelle, nous disposons d’une journée d’initiative parlementaire (c’est la nouvelle appellation) pour le groupe. Le 28 mai, nous présenterons donc ces propositions, d’autres visant à mieux répartir les revenus, et enfin une résolution pour empêcher le retour d’une nouvelle directive Bolkestein. Mais ce n’est pas simplement une journée. Dans toutes les entreprises où nous allons, nous présentons et mettons en débat ces propositions de loi et donnons rendez-vous aux salariés et syndicats pour faire de ce 28 mai une journée d’action des parlementaires, mais également des salariés, pour qu’ils exigent de leurs parlementaires et élus qu’ils aillent dans cette voie.
Dans le climat actuel, ce peut être une journée forte pour montrer qu’il y a des solutions alternatives et que l’on ne peut pas se contenter de discours sur la moralisation du capitalisme, qui aurait été réglée en une journée au G20.

Diriez-vous que vos mesures participent de la moralisation du capitalisme ?

Des droits nouveaux dans la gestion des entreprises pour les salariés, cela participe du dépassement du capitalisme. Créer un pôle financier public qui serait une reprise en main par les peuples du système financier, innover dans une politique du crédit en faveur des petites entreprises et la recherche… Toutes ces petites mesures ne règlent pas tout, mais contribuent à inverser les logiques capitalistes et donc au dépassement de ce système.

Sans le soutien du PS et d’une partie de la droite, votre proposition n’a aucune chance d’être approuvée. Pensez-vous pouvoir l’obtenir ?

Sur le fond des propositions, je ne vois pas un député de gauche hésiter à les voter ou je ne comprends plus rien. On ne peut pas, lors des questions d’actualité, attaquer le gouvernement, dire qu’il ne prend aucune mesure contre les licenciements et ne pas voter des lois qui peuvent permettre cela quand elles arrivent dans l’hémicycle. Je lance un appel aux députés de gauche, socialistes, radicaux pour dire : venez débattre et voter ! Notre démarche est de dire aux salariés qui se battent avec beaucoup de courage : « Vous avez raison de vous battre, et vos luttes sont d’autant plus justifiées qu’on peut faire autrement pour que votre travail soit utile à la collectivité et à vous-mêmes. » Défendre cette loi, c’est un soutien et un encouragement aux luttes en cours. Le gouvernement nous ment quand il soutient qu’il n’y a pas de solution face à la crise, si ce n’est de moraliser un peu le capitalisme.
Et aux députés de droite qui parfois, dans leur circonscription, tiennent aux hommes et femmes qui risquent de perdre leur emploi des discours apitoyés, je dis : « Allez mettre votre discours en actes ! »

Vous les mettez au pied du mur…

Tout à fait. Quand la dernière entreprise de réparation navale de Marseille menace de fermer, l’État pourrait agir en créant un groupement d’intérêt économique (GIE) et, avec lui, travailler à chercher des repreneurs. L’État a un rôle à jouer. Si, parce qu’il y a un ralentissement dans l’automobile, on laisse fermer des équipementiers dont PSA ou Renault auront besoin quand il y aura la reprise, ils iront se fournir ailleurs, et nous aurons perdu une industrie. Ces entreprises, on en a besoin, leurs productions sont utiles. Ne faut-il pas que les donneurs d’ordre, PSA et Renault, soient mis à contribution pour que cette entreprise se maintienne jusqu’à la reprise ? On ne peut se contenter de nous faire pleurer sur la gravité de la crise et nous inviter à la subir jusqu’à la reprise. Il faut que l’État intervienne maintenant.

Après, il y a d’autres mesures qui ne peuvent pas être codifiées au niveau de la loi française mais que nous portons au niveau européen. Pour lutter contre le dumping social, nous proposons la création d’un salaire minimum dans chaque pays de l’UE, équivalent à 60 % du salaire moyen de ces pays, ce qui ferait chez nous un Smic à 1 600 euros. Ce serait un début d’harmonisation sociale.
Il y a urgence que les choses bougent aussi en Europe. L’Europe libérale est responsable et coupable de la crise que nous connaissons. L’élection européenne, cette fois-ci, est au cœur des solutions à la crise, solutions que porte le mouvement social.

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