Vroum, vroum !

Bernard Langlois  • 14 mai 2009 abonné·es

Messes

Deux grands-messes successives sont célébrées chaque dimanche matin sur France Culture : celle de l’Église catholique, qui nomadise d’une paroisse à une autre ; celle, laïque et républicaine, que célèbre en son studio-chapitre de Radio France le chanoine Philippe Meyer. On passe de l’une à l’autre en un enchaînement musical harmonieux et comme naturel : un peu comme on passait naguère, dans la vie réelle et dominicale de la bourgeoisie provinciale, de l’église à la pâtisserie.
C’est ici à la seconde que je me réfère [^2].
J’essaye de ne pas la rater trop souvent, tant ses échanges policés entre têtes pensantes du même monde, aux différences inscrites dans ce cercle étroit qu’on dit « de la raison » (l’expression est de Minc, je crois) – c’est-à-dire qu’on y balance harmonieusement du centre droit au centre gauche, en faisant mine parfois de se porter quelque nasarde sans conséquence –, sont représentatifs de cette classe politico-médiatique dont la satisfaction qu’elle a d’elle-même ronronne à mille lieues de la vraie vie : la langue étant plutôt choisie, et fréquent l’emploi du subjonctif, on prend à leur écoute une sorte de plaisir pervers. Le comble de la différence entre ses officiants réguliers (six ou sept, toujours les mêmes, qui se relaient autour du maître de cérémonie) relève de l’opposition entre un ex-bayrouiste désormais sans appartenance revendiquée à un ex-chevènementiste rallié à Sarkozy. Le premier – Jean-Louis Bourlanges – est un européiste de toujours un peu revenu de ses enthousiasmes d’antan (et de Strasbourg, où il siégea un temps) ; le second – on a reconnu Max Gallo –, longtemps pourfendeur de l’Union et pilier du « non » aux différents traités (deux !) qu’on eut la grâce de soumettre au peuple, se déclare aujourd’hui « totalement satisfait » par le récent discours de Nîmes, où le PP (Prince-Président) lançait la campagne de son camp en prétendant réconcilier ceux qui avaient voté « oui » et ceux qui avaient dit « non » [^3], ce qui paraît pour le moins une affirmation hasardeuse.
Dimanche dernier, donc, on parlait de l’Europe, et de cette élection qui vient (à moins que l’insurrection ne la précède !).

Bon mot

Bourlanges a le propos volontiers malicieux ; et même couvert d’assez de fleurs de rhétorique pour en masquer le parfum vénéneux, il laisse deviner l’homme qui tuerait pour un bon mot.
Ainsi juge-t-il le discours de Nîmes (où il décèle, dans le martèlement, un style péguyste modifié Guaino) : « L’impression que c’est un accélérateur sans embrayage. C’est-à-dire, ça fait : vroum, vroum. Et puis rien, ça tourne en boucle » . Voilà qui est bien trouvé, et qui pourrait, ce me semble, s’appliquer à l’ensemble des prestations du PP, pas seulement au discours sur l’Europe de la semaine dernière. Le bling-bling des débuts du règne étant un peu passé de mode (sous l’influence, sans doute de Carlita, une vraie riche « ancienne », elle, qui n’a pas besoin d’étalage), je propose qu’on adopte ce « vroum, vroum » fourni par l’aimable Bourlanges. Il fera la paire avec le nouveau surnom de son compère italien (moins glorieux que le Cavaliere ), consécutif à son goût des « veline » [^4] et autres donzelles « à peine majeures » , comme dit son épouse outrée en exigeant le divorce.
Vroum-Vroum et Papounet sont donc les deux grands dirigeants actuels de deux des six États fondateurs de l’Europe ; Monnet et Benvenuti – deux des pères fondateurs – en mangeraient leur chapeau.

Moulin à café

Heureusement qu’on a l’Allemagne et sa digne chancelière pour redonner un peu de sérieux à cette construction européenne, qui n’a vraiment pas grand-chose pour séduire les foules, ni nous convaincre d’aller voter le 7 juin.
Et pourtant, même dans l’Allemagne de Mme Merkel (où Sarkozy est allé dimanche faire le joli cœur au meeting de la CDU), on ne s’intéresse pas du tout à ces élections au Parlement, peut-être moins encore qu’en France, ce qui n’est pas peu dire. Référence, encore, à Bourlanges (qui fut, je le rappelle, un zélote de la construction européenne) : « Le Parlement européen est un beau moulin à café, mais on ne met pas de café dedans. » Autrement dit, il tourne à vide. Pourquoi diable irait-on voter pour cette machine à mouliner du vide, ce qui est en effet une bonne définition d’une Assemblée dont les pouvoirs s’arrêtent (vite) là où commencent ceux (plantureux) de la Commission ? Car chacun le sait, en dehors des discours convenus et des effets de tribune obligés, la vraie question qui s’est débattue entre notre PP et Mme Merkel, et qui occupe les esprits de tous les dirigeants de moindre envergure (le couple franco-allemand restant le timon incontournable du char européen), est moins : combien de députés pour chaque camp ? (cette question-là compte aussi, mais surtout dans le champ de la politique nationale) que : quelle composition pour la Commission européenne, quel président et quels commissaires aux postes clés
– qui sont la politique étrangère pour la gloire et les portefeuilles économiques pour la matérielle ?
Tant il est vrai que là est le pouvoir, et qu’aucun État membre n’entend laisser à d’autres le bénéfice de s’en approprier une trop grosse part.

We can

La première question qui se pose est celle de la reconduction ou non de ce M. Barroso, seul candidat déclaré à sa succession : c’est lui qui distribue les portefeuilles.
Le Portugais (que Bourlanges, décidément en verve, appelle « le gilet rayé des États » ) a toutes les faveurs de la droite européenne et d’une grande partie de la gauche sociale-démocrate de même métal. D’où le scepticisme que rencontrent tant Bayrou que le PS lorsqu’ils affirment vouloir s’en débarrasser. Pour le reste, les tractations vont bon train, dans un jeu de poker menteur où l’on pousse un pion belge pour en faire avancer un autre italien, ou encore tel Français à tel poste pour empêcher que tel autre échappe à un Allemand ou un Néerlandais, etc. On cite volontiers – pour les gens de chez nous – un Michel Barnier ou même une Christine Lagarde : comme on voit, ça décoiffe assez modérément. Et tout cela n’a qu’un lointain rapport avec des élections parlementaires où les partis politiques en général ne voient qu’un moyen pratique de caser quelques militants méritants éclopés du suffrage ou – c’est selon – d’en écarter d’autres devenus encombrants dans le jeu hexagonal (le seul qui compte à leurs yeux).
On notera aussi que le prestige encore intact de Barack Obama aux yeux de tout ce petit monde (et des électeurs) implique que chacun décline à sa façon le slogan fétiche : « Yes, we can ! » Ce qui donne le « Quand l’Europe veut, elle peut ! » de Sarko à Nice ; ou, plus fort encore, du MoDem : « Jean-François Kahn ! » (Bon, OK, je sors !)

Françafrique

Encore un mois pour parler de l’Europe, il faudra bien y revenir. Intéressons-nous à cet autre sujet d’ébahissement qu’est, pour beaucoup, la découverte de la solide implantation immobilière (et autres biens) de quelques rois nègres en douce France, de préférence dans les beaux quartiers parisiens, la banlieue chic, la Côte d’Azur et autres lieux de villégiature agréables. Ils sont trois dirigeants africains à encourir les foudres de la justice française à la suite d’une plainte jugée recevable par une juge d’instruction qui n’a pas froid aux yeux, Françoise Desset, déposée par l’avocat William Bourdon au nom d’associations [^5] : Bongo, le Gabonais (il y a toujours un Gabonais au compte numéroté que vous demandez…) ; son beau-père, Sassou Nguesso, le Congolais (celui qui a peut-être le plus de sang sur les mains) ; et Nguema, le Guinéen : trois dictateurs, trois pourris, trois corrompus immensément riches ; et aussi trois corrupteurs – et c’est bien le problème : dans le système bien huilé de la Françafrique, le retour d’ascenseur fonctionne à merveille, et les valises de billets circulent dans les deux sens. Ce qui explique qu’après avoir fait traîner la plainte le plus longtemps possible, le parquet de Paris (obéissant) a fait appel de la décision de la juge.

Comment s’appelle ce ministre qui travaille à l’international après avoir œuvré dans l’humanitaire et qui s’est vu récemment accusé d’avoir fait de juteuses affaires avec l’un ou plusieurs des rois nègres sus-cités ? Je ne sache pas qu’il ait déposé une plainte en diffamation contre son accusateur. Et qui est donc ce chef d’État élu depuis deux ans (putain, deux ans !) qui s’était engagé pendant sa campagne à en finir avec ces mœurs d’un autre âge ?
Circulez, rien à voir ! Vroum, vroum !

L’issue lumineuse

Le livre que je recommande à votre attention cette semaine est bien trop riche pour que je tente de vous le résumer. Il est d’actualité, en ces temps de turbulences carcérales, puisqu’il nous vient de l’intérieur d’un de ces lieux clos – Fleury-Mérogis en l’occurrence – où est censée passer la justice des hommes. Des cellules et des bibliothèques, des cercles d’écriture, là où se rencontre la littérature, la poésie ; des lecteurs, affamés de liberté ; et des médiateurs, qui mettent en contact les uns et les autres. Dans ma cellule j’ai fait le tour du soleil est un livre magnifique, sur le fond comme dans la forme [^6]. Il est dédié à Pierre Dumayet (« qui nous a donné le nom Lire c’est vivre, et nous a initiés aux exercices d’admiration ») et à Robert Badinter (« qui le premier instaura le droit à la Culture dans les prisons »). La couverture est la reproduction d’un tableau magnifique de la peintre portugaise Vieira da Silva. Il s’appelle l’Issue lumineuse.
Il n’y a pas que des gens moches dans la vie.

[^2]: L’Esprit public, le dimanche à 11 heures

[^3]: Accessoirement (mais il faudrait avoir mauvais esprit pour y déceler un autre motif de satisfaction pour notre graphomane académicien), Mme Gallo est candidate en position éligible sur la liste UMP en Île-de-France.

[^4]: La velina, en Italie, est la fille décorative, habillée d’un rien, que les chaînes de télé exposent à longueur d’émission. Berlusconi voulait en truffer ses listes pour les européennes – il n’en a finalement retenu que trois (on n’en est pas encore tout à fait là chez nous, mais faut pas désespérer.

[^5]: Transparence International France et Sherpa, ainsi qu’un ressortissant gabonais.

[^6]: Dans ma cellule j’ai fait le tour du soleil, sous la direction de Geneviève Guilhem, La littérature en terre in-humaine, coédition Lire c’est vivre-AAEL (soutien de la fondation La Poste), 240 p., 24 euros.

Edito Bernard Langlois
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