Un surcroît de souffrance

L’Association Primo-Levi aborde son quatrième colloque sur la torture dans un contexte de suspicion accrue envers les réfugiés politiques.

Erwan Manac'h  • 25 juin 2009 abonné·es

La torture est une arme redoutable qui broie les esprits et marque les corps, que l’on y succombe jusqu’à tout dire, ou que l’on y résiste pour tout taire. Elle brise les repères fondamentaux de l’esprit : les croyances, les certitudes. Et laisse des victimes totalement désorientées. ­Déshumanisées.
Pour répondre à la détresse physique et morale des victimes de torture, l’Association Primo-Levi anime, à Paris, un centre de soins pluridisciplinaire, où 252 patients de 25 nationalités bénéficient d’un suivi médical et des soins d’un kinésithérapeute. Pour apaiser les mémoires tuméfiées, six psychologues cliniciens travaillent à plus ou moins long terme avec certains patients pour délier leur parole et dénouer leurs traumatismes, les accompagner dans leur reconstruction de soi. Les patients sont aussi suivis par une assistante sociale et une juriste, souvent sollicitées pour des recherches d’hébergement ou une aide à la régularisation.

Avec le durcissement actuel des conditions d’accueil des immigrés en Europe, l’Association Primo-Levi déplore la précarisation des exilés politiques. La santé de ses patients s’est aggravée. Ils se perdent davantage dans les méandres juridiques et administratifs de la demande d’asile. Et doivent aujourd’hui se battre pour la reconnaissance de leur souffrance, une étape pourtant essentielle du cheminement vers la reconstruction. Leurs conditions de logement sont également de plus en plus précaires (16 % des patients du centre n’ont pas de domicile fixe). Nécessairement, la durée de suivi des patients au centre de soins s’allonge, ce qui restreint l’accueil de nouveaux bénéficiaires.

Au-delà de l’association parisienne, l’Union européenne a réduit en 2009 ses subventions à 20 centres d’accueil pour demandeurs d’asile en Europe (sur 110 au total) en demandant aux États de ­prendre le relais. Une structure grecque vient de fermer ses portes. À terme, tous les centres devraient voir baisser leurs subsides européens. C’est donc avec gravité que l’Association Primo-Levi aborde son quatrième colloque annuel. Il rassemblera nombre d’acteurs de l’aide aux victimes de la violence politique : chercheurs, médecins, psychanalystes, humanitaires. Il s’agira de dénoncer un pouvoir suspicieux envers l’asile politique. Et de réaffirmer, surtout, la force des réponses aux destructions intimes que la torture inflige.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Romane Bohringer : « Les mères défaillantes ont besoin de soins, pas d’être jugées »
Entretien 3 décembre 2025 abonné·es

Romane Bohringer : « Les mères défaillantes ont besoin de soins, pas d’être jugées »

Dans Dites-lui que je l’aime, adaptation très libre du livre éponyme de Clémentine Autain, aussi présente dans le film, la réalisatrice rend hommage à des femmes, leurs mères, dans l’incapacité d’exprimer leur amour à leur enfant. Elle explique ici comment elle a construit son film à partir du texte de l’autrice, en qui elle a reconnu un lien de gémellité.
Par Christophe Kantcheff
Victor Collet : « À Exarchia, l’absence de police a facilité des formes d’expérimentation sociales »
Entretien 26 novembre 2025 abonné·es

Victor Collet : « À Exarchia, l’absence de police a facilité des formes d’expérimentation sociales »

Le sociologue raconte dans son nouvel essai, Vivre sans police. Du long été au crépuscule d’Exarchia (Agone), la façon dont ce quartier d’Athènes, au cœur de la contestation durant la crise financière grecque, a vécu une décennie sans police à partir de 2008. Il y explore l’évolution du mouvement anti-autoritaire, entre expérimentations politiques et déchirements internes.
Par Pauline Migevant et Olivier Doubre
Narcotrafic : l’impasse de la répression
Narcotrafic 24 novembre 2025 abonné·es

Narcotrafic : l’impasse de la répression

Dans une longue enquête internationale, les documentaristes Christophe Bouquet et Mathieu Verboud retracent l’histoire du trafic international des drogues, qui gangrène aujourd’hui l’économie et la paix civile de nos démocraties.
Par Olivier Doubre
La République des saints
Humour 23 novembre 2025

La République des saints

Sarkozy, Jésus, Le Pen, Icare…Vous voyez le lien ? Nous non plus… Par chance, Améziane, humoriste, nous l’explique.
Par Ameziane