Tax-Tax-Taxera

Bernard Langlois  • 10 septembre 2009 abonné·es

Usine à gaz

Mal barrée, la taxe carbone ! Déjà rejetée par une majorité de Français, si l’on en croit les sondages (même chez les Verts !) [^2], et dénoncée par de plus en plus de voix à gauche (après que Ségolène Royal a donné le la à La Rochelle) comme à droite (la grogne à l’université d’été de l’UMP était manifeste, encore que contenue : c’est tout de même un projet du Président !), à croire qu’on a rêvé cet unanimisme des candidats à la présidentielle de 2007 lorsqu’ils ont tous signé la bouche en cœur l’ordonnance de ce bon Docteur Hulot… Eh bien, au risque de fâcher mon camarade Vadrot (voir son blog sur le site de Politis ) et quelques autres écologistes de choc, je comprends tout à fait ces réticences, aigreurs, rejets que provoque la « contribution climat énergie » tant elle paraît mal fichue, inappropriée, inefficace ; et d’abord injuste : puisque par définition elle ne gênera que les pauvres et les populations rurales ou périphériques des centres urbains, privées de transports en commun, contraintes à utiliser une voiture (souvent polluante, parce que bas de gamme et vieille) – car essayez donc de vivre à la campagne sans bagnole quand le moindre commerce est à une quinzaine de kilomètres de chez vous, je sais de quoi je parle [^3] ! Ruraux ou excentrés et pauvres, il s’agit souvent des mêmes catégories sociales, et ne nous étonnons-nous pas que la proportion de rejets monte à 75 % chez les ouvriers, pour 57 chez les cadres (même sondage).
Ah, mais puisqu’on vous dit que ce n’est pas un impôt et qu’on remboursera les foyers les moins favorisés ! Selon quelles procédures, par quel moyen de calcul, combien de temps ? Bonjour l’usine à gaz !

Panoplie

Il faut bien, pourtant, compte tenu de l’urgence climatique qui nous mord la nuque, s’engager enfin dans une politique résolument économe en énergie. La taxation des carburants est sans doute un des moyens nécessaires pour y parvenir. Un des moyens. Dans une panoplie d’autres. Pas comme alibi ou gadget, et ciblé, comme par hasard, sur les ménages, en épargnant les industries et leurs droits à polluer. Exemple : Arcelor-Mittal, qui dispose d’environ 8 millions de quotas par an pour six usines en France, soit un droit à émettre gratuitement 8 millions de tonnes de carbone ; un cadeau de 250 millions d’euros par an, si l’on retient le prix de 32 euros la tonne proposé par la commission Rocard. Il semblerait de surcroît que la firme du milliardaire indien (qui vient, par ailleurs, de s’offrir le yacht le plus cher du monde !) ait obtenu pour 2008 plus de quotas qu’elle n’en avait l’usage, et qu’elle peut donc remettre l’excédent en vente (un million de tonnes) sur le marché au comptant : bénef, 15 millions d’euros [^4]
!
Les Français n’aiment pas trop qu’on les prenne pour des cons.

Mais quels autres moyens ?

Inciter chacun d’entre nous à une moindre consommation en général et d’essence en particulier, y compris par une taxe, est certes légitime. D’autant que les technologies alternatives ne sont pas encore au point, ni disponibles en quantité. Mais pas quand, dans le même temps, par des débauches publicitaires colossales, on ne cesse de vanter la bagnole à longueur d’antenne ou de papier glacé ; pas quand, comme jamais, des théories de poids lourds de plus en plus démesurés, dangereux, défonceurs de bitume, polluants, occupent en maîtres routes et autoroutes, en général en excès de vitesse et en dépassement dangereux, dans l’indifférence totale d’une police qui préfère (encore !) verbaliser le pauvre bougre ; pas quand, encore, on ne fait rigoureusement rien pour développer le ferroutage et que la SNCF préfère saboter son secteur fret (en supprimant des emplois), supprimer ses voies secondaires et remplacer ses michelines par des autocars ; pas quand, de manière constante, les pouvoirs publics s’aplatissent devant les lobbies – celui des routiers, des travaux publics, des agriculteurs, etc. – les plus gaspilleurs et destructeurs de l’environnement qui soient. Et, au bout du bout, il est encore une condition indispensable pour que nous (les citoyens français) acceptions sans réticence une nouvelle baisse de revenus, et c’est (notamment) un confrère peu suspect de laxisme dans l’approche de la question écologique qui le rappelle : « L’impôt envisagé reste injuste dans le contexte d’une répartition des revenus particulièrement inégalitaire. Son acceptation suppose une réforme fiscale corrigeant ce désordre social : abolition du bouclier fiscal, refonte des niches fiscales, revenu maximal admissible  [^5]
). »

Bien vu. Et, parole, si Sarko fait tout ça, je prends ma carte de l’UMP. Pas de gros risque, à mon avis.

Attac, fin de partie

La pénible affaire de la fraude à Attac, qui avait permis la réélection de son président sortant Jacques Nikonoff en 2006 (suivie de sa démission quand fut découvert le pot aux roses), vient de connaître son épilogue judiciaire [^6]. Ci-contre, le communiqué du bureau d’Attac qui met définitivement les choses au point. Sans commentaire.

Qui signe ?

Fortiches, les lecteurs ! L’énigme n’a pas tenu une journée et c’est un certain «Al 1» qui a dégainé le premier : oui, c’était bien Georges Brassens l’auteur de cet article sur la CGT, paru dans Combat syndicaliste, journal de la CNT, en 1947. J’avais trouvé cette perle rare dans l’excellent Georges Brassens, œuvres complètes (Cherche Midi, mars 2007) que je vous recommandais dans le BN de rentrée.

Rectifions

Et toujours grâce aux lecteurs, deux précisions-rectifications : la première sur la citation de Jefferson, qui serait pour le moins douteuse, selon Nadia, qui me renvoie à deux sites qui la mettent en débat [^7]. Et notre lectrice commente : « Essayons d’exercer la même vigilance envers les textes qui nous caressent le poil qu’envers ceux qui nous le hérissent !!! » Merci de vous y être employée. La deuxième sur La Soufrière et la querelle Allègre-Tazieff : oui, Tazieff avait bien eu raison sur ce coup et il n’y avait pas eu de coulée meurtrière ; mais oui aussi, contrairement à ce que je disais, le principe de précaution s’était déjà (1976) appliqué, et une évacuation avait bien eu lieu. Pour rien.
Merci à Alain.

Cerveau

Enfin, réception d’un livre qui me fait bien plaisir, parce que l’auteur en est Denis Robert, et que c’est un roman. Preuve qu’il a su passer à autre chose après son boulot remarquable sur Clearstream et les méandres de la finance pas claire (avec tous les ennuis judiciaires que ça lui a valus, et qui empoisonnent encore sa vie). Dunk (c’est le titre) est un terme de basket dont vous trouverez la définition en exergue. En deux mots, ça raconte l’histoire d’une star du panier qui se fait piquer son cerveau par un vieillard richissime qui aspire à l’immortalité. Roman d’anticipation bien fichu, donc, sur les effets pervers (criminels) de certaines recherches scientifiques, où l’auteur n’oublie pas au passage de régler quelques comptes avec son ancienne profession : « La compromission de la population le déprimait. En premier lieu celle de ses anciens collègues de L’Est et des élus de tous bords qui mangeaient dans la main de Paul Netter. Cette ordure cacochyme. Le vieux journal est encore tiré à quelques milliers d’exemplaires. Il est acheté par une poignée d’irréductibles qui préfèrent lire sur du papier. On n’y apprend pas grand-chose. […] La propagande des dominants, selon Lemeth [^8]
. »

Et tu voudrais que ton livre ait une bonne presse, en plus ?

[^2]: Nous n’avons pas la religion des sondages, mais quand même : deux tiers des Français sont opposés à la taxe carbone, et toutes tendances confondues – 67 % à gauche, 63 % à droite, 69 % au Modem, et 60 %… chez les Verts ! (TNS-Sofres-Logica pour Europe 1).

[^3]: Pas la peine de m’opposer certains arguments que je connais bien : yaka faire les courses à vélo (jusqu’à quel âge ?) ou yaka acheter aux commerçants qui tournent dans les villages (à 10, 15 ou 20 % plus cher, hein ?).

[^4]: Voir l’article d’Aurélien Bernier dans L’Huma-Dimanche du 27 août.

[^5]: Vive l’impôt sur l’énergie !, Hervé Kempf, Le Monde, 6-7 septembre.

[^6]: (Le réquisitoire et l’ordonnance de non-lieu sont sur :

[^7]: []( http://wiki.monticello.org/mediawiki/index.php/PrivateBanks(Quotation) (en anglais) et http://macadam.blog.tdg.ch/archive/2009/02/24/jefferson-gallatin-et-le-secret-bancaire.html (en français)

[^8]: Dunk, Denis Robert, Julliard, 240 p., 20 euros.

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 7 minutes