« Pour rassembler, notre gauche doit être exemplaire »

Nous publions ici de larges extraits de l’intervention de Renato Soeiro, le 7 novembre, aux Assises pour le changement organisées par « Politis ». Elle revêt selon nous un intérêt exceptionnel pour tous ceux qui sont impliqués dans la construction d’une autre gauche en France.

Renato Soeiro  • 26 novembre 2009 abonné·es

Pour nous présenter, je rappellerai que nous avons obtenu aux élections européennes de cette année 5 des 22 sièges qui étaient réservés au Portugal. Lors des dernières législatives, nous sommes passés de 8 à 16 sièges. Il est à noter que la coalition PC-Verts a elle-même gagné un siège. Autrement dit, notre progression ne s’est pas faite à ses dépens. Le facteur politique qui est à la base de nos bons résultats, ce sont nos propositions. Tous les jours, nous sommes à l’heure du dîner dans les familles par le truchement de la télévision. Les gens nous connaissent. Chaque jour, il faut que nous ayons quelque chose à dire de crédible. Notre axe, c’est la réponse à la crise. La question de la propriété publique des banques et du secteur de l’énergie… Notre mot d’ordre, c’est « justice dans l’économie ». Il faut que le peuple comprenne ce que nous ferons quand nous serons au gouvernement. Les gens peuvent être avec nous dans les luttes, quand il s’agit de résister, et avec le centre ou la droite le jour du vote. Nous avons donc présenté un véritable programme alternatif. Mais pas un gouvernement alternatif parce qu’il ne faut jamais présenter ce que les gens ne peuvent pas croire.

Or, avec 20 % des voix, on ne peut pas gouverner seuls. Notre idée est de convaincre que nos principes seront réellement mis en œuvre. Pour gouverner, la question centrale est celle du Parti socialiste. Il y a, au Portugal comme ailleurs, une ligne de fracture entre ceux qui défendent le capitalisme et ceux qui le combattent. La question est de savoir si le PS est à la droite de la gauche, ou à la gauche de la droite. Nous connaissons son identité historique et matricielle. Mais il y a eu, à la fin du XXe siècle, en son sein, une vraie adhésion au capitalisme, et son axe s’est déplacé. Les dirigeants socialistes ont réussi à déplacer le parti de l’autre côté de la « frontière » sans perdre pour autant l’essentiel de leur base électorale, qui se considère de gauche. C’est dans cette contradiction que l’on peut forger une vraie gauche gagnante. Nous voulons une « grande gauche » de majorité. C’est une proposition crédible. Aujourd’hui, c’est même une possibilité inscrite dans les résultats de la dernière élection présidentielle. Rappelons qu’en 2006 le PS avait présenté comme candidat son dirigeant historique, Mario Soarès. Mais il n’a obtenu que 14 %, alors que notre candidat, Manuel Alegre, a recueilli 20 % [^2].

Notre offre politique n’est donc pas un rêve déraisonnable. Mais pour rassembler, il faut aussi que la gauche soit un exemple. Un exemple de clarté et de convivialité, d’ouverture et de stabilité, loin des petites guerres de sectes qui en avaient fait un sujet de raillerie sur la scène politique. Enfin, nous évitons d’ajouter des adjectifs au mot « gauche » pour ne pas cristalliser les différences, car la majorité des gens de gauche ne se situent pas dans une classification hermétique. Même la frontière gauche-droite ne doit pas être un mur de Berlin car, si nous sommes assez forts, il y aura beaucoup de gens qui vont traverser cette frontière, et il faut que cela reste possible. Au moment de la création du mouvement [par trois partis de gauche communistes], on a parlé avec des indépendants. Ils avaient une méfiance historique envers la gauche marxiste et communiste. On leur a donné pendant plusieurs années 51 % du pouvoir au sein du parti : les quatre composantes devaient avoir absolument une taille égale. On a aussi décidé de ne pas avoir un mouvement de jeunesse pour ne pas isoler les vieux dans leurs divergences, et pour permettre aux jeunes de participer de plain-pied à la vie du parti. Au final, on a construit un parti politique, et non pas un parti idéologique. Les gens n’ont pas à être d’accord avec une idéologie, mais ils se rassemblent autour de questions politiques pratiques.

[^2]: Le candidat de droite Anibal Cavaco Silva l’a emporté avec 50,5 % des voix. À gauche, le dissident socialiste Manuel Alegre recueille 20,7 %, et Mario Soarès (PS) 14,3 %.

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