Allègre attaque Politis

L’ancien ministre a porté plainte contre notre journal. C’est une tribune parue
sous la signature
de huit scientifiques ou universitaires
de renom qui a déplu
à notre scientiste préféré,
peu enclin à regarder
la vérité en face.

Denis Sieffert  • 25 février 2010 abonné·es
Allègre attaque Politis
© Photo : AFP/GERARD CERLES

En qualité de directeur de la publication de Politis, j’ai reçu récemment une convocation de la préfecture de police en exécution d’une commission rogatoire délivrée par un juge du tribunal de grande instance de Paris. Cette convocation est la conséquence d’une plainte déposée, avec constitution de partie civile, par Claude Allègre pour diffamation publique. L’objet du délit allégué est une tribune libre publiée par notre journal dans son numéro du 18 juin dernier. Le texte, titré « Claude Allègre, question d’éthique », portait la signature de huit personnalités du monde scientifique et universitaire : l’économiste Geneviève Azam ; le cofondateur du Cedetim, Jean-Yves Barrère – aujourd’hui décédé ; le fondateur d’Alternatives économiques, Denis Clerc ; Benjamin Dessus, spécialiste du nucléaire et président de Global Chance ; Jean Labrousse, ancien directeur de la météo nationale ; Gus Massiah, ex-président du Crid ; Michel Mousel, ancien délégué aux risques majeurs ; et le biologiste Jacques Testart. Que du beau monde ! Tous scientifiques, économistes, journalistes de renom, connus pour leur rigueur et leur sérieux. Que leur reproche – que nous reproche – Claude Allègre ? On ne sait pas trop encore aujourd’hui. Il appartiendra au juge, dans un deuxième temps, de nous le dire. Il y a fort à parier que l’ancien ministre de l’Éducation nationale de Lionel Jospin n’est pas content du rappel d’un certain nombre de « mésaventures » rencontrées au cours de sa déjà longue carrière politico-scientifique.

Et, en particulier, de l’évocation de zones d’ombre dans l’affaire de la Soufrière, en juillet 1976, en Guadeloupe. À l’époque, le géophysicien Claude Allègre avait eu maille à partir avec le grand volcanologue Haroun Tazieff. À partir d’analyses par la suite vivement contestées, Claude Allègre avait conclu à l’imminence d’une éruption majeure. Point de vue démenti par Tazieff… et par les faits. Dans cette affaire, ce n’est pas tant l’erreur scientifique elle-même que la rétention de certaines données contredisant sa thèse qui a été reprochée à Allègre.

Les auteurs de la tribune parue en juin dernier dans Politis ne manquaient pas de citer sources et témoins à l’appui de leur propos. Mais pourquoi un tel rappel de faits datant de trente-trois ans dans Politis  ? Parce qu’en juin dernier il était fortement question que Claude Allègre entre au gouvernement de François Fillon. Une sorte d’Éric Besson issu du monde scientifique, en quelque sorte. Pour Nicolas Sarkozy, un « bon coup » politique avec cet ex-ministre ex-socialiste. Comme on le sait aujourd’hui, l’affaire ne s’est pas faite. Le rappel des controverses qui ont émaillé la carrière de ce scientiste jouant volontiers de la provocation a-t-il troublé les plans gouvernementaux ? C’est possible, d’autant que nous n’avons pas été les seuls à rappeler les coups d’éclat pas toujours glorieux de Claude Allègre. Au fond, l’attaque d’Allègre contre notre journal est plutôt un nouvel avatar de son éternelle croisade scientiste contre la science. Claude Allègre est surtout l’homme qui conteste les conséquences des émissions de CO2 sur le climat. L’homme qui explique la fonte des neiges du Kilimandjaro par des phénomènes tectoniques. L’homme qui nous dit, en substance, ne faisons rien, on trouvera bien le moment venu un remède miracle au réchauffement climatique. C’est l’homme d’une pensée magique qui croit en la science non comme un scientifique, mais comme un religieux croit au miracle.

Il n’échappera à personne que son attaque survient dans un contexte de contre-offensive de ceux qui, après Copenhague, nient l’influence de l’activité humaine sur le climat. Une pensée régressive que nous sommes toujours prêts à dénoncer.

Idées
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