Front de gauche : accords et discordes

Après les régionales, le Front de gauche s’interroge sur la manière d’aborder les échéances sociales et électorales d’ici à 2012. Entre PCF et PG, le débat est parfois vif.

Michel Soudais  • 22 avril 2010 abonné·es
Front de gauche : accords et discordes
© PHOTO : KSIAZEK/AFP

Continuer la stratégie du Front de gauche, mais comment ? Un mois après les régionales, le débat anime les discussions entre les trois formations constitutives de cette alliance née aux européennes et reconduite avec un certain succès dans dix-sept régions. Si la question n’est plus tant de savoir si ce front doit perdurer – hormis les courants identitaires du PCF, nul ne songe à y mettre fin –, la controverse porte sur les modalités et les objectifs de cette pérennisation. Et le ton monte entre les communistes et Jean-Luc Mélenchon dès qu’il est question de l’élection présidentielle.
Au niveau de leurs directions tout du moins, le Parti communiste et le Parti de gauche (PG) sont d’accord pour estimer que le Front de gauche, qui est surtout apparu jusqu’ici comme un cartel d’organisations, doit franchir une nouvelle étape. Place du Colonel-Fabien, l’idée est de construire « un front social et intellectuel d’actions et de projets » , un « Front populaire du XXIe siècle » élargi à de nouveaux acteurs (personnalités du mouvement social, intellectuels, militants des quartiers). Désireux d’organiser « au cœur des luttes sociales et des résistances » l’élargissement du Front de gauche, le conseil national du PG propose de susciter des « fronts thématiques » (type Front de gauche des économistes) et de mettre en place des « comités de base » avec, « là où c’est possible, des mécanismes d’adhésions directes » ; une « adresse » en ce sens a été lancée « à toutes les organisations de l’autre gauche ».

L’expression est toutefois récusée par le PCF, pour qui « un enfermement dans une “autre gauche” ne permettrait pas [aux communistes] de peser sur la recomposition politique de la gauche ». Il s’agirait, explique l’un des textes en discussion à son congrès d’étape des 18,19 et 20 juin, d’un « écueil stratégique » aussi préjudiciable qu’ « une gauche dite “solidaire” où la solidarité se traduirait par l’impossibilité de peser sur les orientations politiques du rassemblement ». Il s’agit là d’une position constante du PCF, qui refuse depuis longtemps toutes les expressions (gauche de la gauche, gauche radicale…) pouvant accréditer qu’il existerait deux gauches et que l’entente pourrait, de ce fait, s’avérer un jour impossible avec le PS.
Cette divergence n’est pas seulement sémantique. Les 17 conseillers régionaux du PG, contrairement à la plupart des 95 élus du PCF, ont refusé de rejoindre les exécutifs régionaux conduits par le PS. En Île-de-France, où les conditions de la participation des élus communistes à l’exécutif ont été critiquées par les 4 élus PG, deux groupes Front de gauche coexistent désormais au conseil régional : l’un constitué de 13 élus PCF, Alternative citoyenne et Gauche unitaire ; l’autre formé de 5 élus PG et Alternatifs.
Si ce divorce local a un peu refroidi les relations entre les deux principales organisations du Front de gauche, la plus grosse pomme de discorde concerne la présidentielle, qui, quoi qu’on en pense, constitue la prochaine échéance électorale nationale, les cantonales et les sénatoriales de 2011 ne concernant au mieux que la moitié du corps électoral.

Quand, en réponse à une question de Libération , Jean-Luc Mélenchon déclare qu’il se sent « capable » d’être le candidat commun du Front de gauche en 2012, Patrice Bessac, porte-parole du PCF, réplique dans le même journal que « le Front de gauche n’est pas une autocratie » ou « l’alignement derrière tel ou tel » . Pierre Laurent, candidat à la succession de Marie-George Buffet à la tête du PCF en juin, dénonce le « lobbying médiatique » du président du PG et évoque le risque d’une « guerre des ego ». Ambiance.

Au-delà du refus de la direction communiste d’accepter cette candidature, l’anecdote est révélatrice des deux options en débat entre le PCF et le PG sur les priorités du Front de gauche dans les mois à venir. Pour les communistes, il faut d’abord débattre d’un « projet partagé » pour 2012, quitte à en passer par l’organisation d’assises du Front de gauche proposées par la Gauche unitaire, la troisième formation de cette alliance ; une fois ce débat mené à bien, des noms pourront se dégager. « Le rassemblement sera fort s’il est construit autour d’un projet partagé, pas s’il est conçu comme un ralliement à tel ou tel candidat » , argumente Pierre Laurent. Le PG propose, comme il l’avait fait à la fin de l’été, que le Front de gauche s’engage dès maintenant à présenter des candidatures communes aux cantonales, présidentielle et législatives, ce qu’il appelle un « paquet » . « Marcher d’une élection à l’autre en faisant semblant de ne pas savoir à quoi on aboutira est une perte de temps » , note Jean-Luc Mélenchon, persuadé en outre que cela n’aide pas à mobiliser les électeurs.

Le projet ou le paquet ? Une réunion au sommet des chefs de parti du Front de gauche tentera de trancher le dilemme, début mai.

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