Âpre et douce Algérie

Dans deux pièces récentes, Jacques Hadjaje
et Aziz Chouaki
s’emparent de l’histoire de l’Algérie et de ses relations avec la France.

Gilles Costaz  • 27 mai 2010 abonné·es

L’Algérie est une hantise, une honte de l’histoire dans notre conscience française. Ce n’est pas étonnant qu’en même temps, dans le même théâtre, deux pièces nous ­parlent de son passé et de son présent. Dans Dis-leur que la vérité est belle, Jacques Hadjaje évoque un monde circonstancié, celui de la communauté juive qui vivait là-bas avec un certain bonheur en 1955 et vit se produire des événements que beaucoup ne comprenaient pas et qui firent fuir la population française. L’œuvre d’Hadjaje fait des allers et retours dans le temps. Nous sommes tantôt à Alger dans les années 1950, tantôt à Créteil dans les années 1960, quand la famille et les amis d’Alger se sont résignés à partir et à vivre à l’étroit dans la banlieue parisienne.
Ces sauts dans le temps traduisent la pensée d’un homme qui conte à sa fille un passé qu’elle n’a pas ­connu. Mise en scène par l’auteur, la pièce a de la dignité, de la pudeur et une émotion qui est celle de l’enfance préservée. Guillaume Lebon, Anne Didon, Laurent Morteau et Delphine Lequenne sont quelques-uns des justes interprètes de cette chronique sensible, douloureuse et attachante.

Les Oranges a d’autres résonances puisque ce texte de 1998, déjà fort connu, est d’un écrivain algérien, Aziz Chouaki. Il a été écrit pour le théâtre, mais c’est aussi un récit littéraire qu’on peut aborder par la lecture. Sur scène, il frappe fort. Un homme, seul à son balcon à Alger, face à la mer, se met à parler d’oranges : c’est le fruit parfait, l’image du bonheur et de la paix. Tout à fait le contraire de la balle de fusil qu’il porte à son cou et qui rappelle un souvenir tragique. Alors, l’homme voyage dans sa mémoire et sa connaissance du passé, voguant des balles meurtrières aux oranges bienfaisantes. Chemin faisant, c’est toute l’histoire de l’Algérie qu’il parcourt, depuis les cent trente ans ­d’occupation par les Français jusqu’aux décennies de l’indépendance. Pas question pour Chouaki de mettre les erreurs et les échecs de l’indépendance sur le seul dos des colonisateurs. Les maîtres du pays sont, pour lui, responsables d’une nouvelle forme de confiscation du pouvoir et, quand les islamistes ­reviennent et sont privés de leur victoire électorale, les mots de ­l’auteur ne tremblent pas devant la violence à traduire et l’atrocité à décrire, à travers une plume qui voudrait être tendre mais devient aussi violente qu’affolée.

Plus de dix ans après la création (dans une mise en scène de l’auteur), Laurent Hatat s’empare des Oranges avec un grand sens du dénuement. Il n’y a guère que deux coffres en osier sur la scène. Mais il ne laisse pas le personnage unique à sa solitude. Il l’accompagne d’un personnage féminin, joué par Mounya Boudiaf, qui chante et s’empare de quelques fragments du texte. Bonne idée : cette actrice donne une sensualité et une douceur à une œuvre saisie comme malgré elle par l’âpreté. Dans le rôle du ­conteur-récitant qui est aussi l’incarnation de tous les Algériens, Azeddine Benamara fait merveille : il est puissant, narquois, vengeur, blessé. Tout est d’une grande force !

Culture
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