Lulu tourne à vide

Une décevante mise en scène du texte de Wedekind par Stéphane Braunschweig.

Gilles Costaz  • 25 novembre 2010 abonné·es

L’auteur allemand Frank Wedekind n’a jamais écrit de pièce intitulée Lulu , mais on a pris l’habitude de tirer de deux de ses œuvres dramatiques le roman théâtral de Lulu, fille libre courant de l’exubérance à la déchéance. La première version de ces textes fut élaborée à la fin du XIXe siècle et publiée en 1913. Cette chronique d’une jeune femme découvrant toute la puissance de son corps et régnant dans les milieux bourgeois avant de se retrouver prostituée à Londres, où elle tombe sous les coups de couteau d’un impuissant appelé Jack l’éventreur, fit scandale pendant des décennies. Sa démesure de grand tableau du sexe et du XXe siècle commençant, sous sa forme dramatique ou sa forme lyrique (avec l’opéra d’Alban Berg), ne cesse d’attirer les metteurs en scène. Il fallait bien que Stéphane Braunschweig, qui aime les fresques limites, l’affronte un jour. Il vient de le faire dans son théâtre de la Colline, en additionnant lui-même différents morceaux de traductions qui ne sont pas de la même plume (Jean-Louis Besson, Eloi Recoing…)

C’est toujours difficile de toucher à l’érotisme, qui n’a plus guère de tabous mais génère tant de clichés. Le metteur en scène-scénographe est un maître de l’image et de l’espace. Il commence donc superbement son spectacle avec une séance de pose de la sulfureuse Lulu, dont la chair se confronte à la représentation qu’en fait un peintre sur une toile immense : l’effet est saisissant. Puis le plateau se met à tourner grâce à un mécanisme qui va imprimer au spectacle un mouvement de manège long et renouvelé. La vision de l’œuvre n’en tombe pas moins en panne, en grande partie parce que l’action a été transposée de nos jours. Tous ces libidineux en costume-cravate, ces lumières et couleurs de discothèque, ce son électro, ces gestes empruntés à Pigalle s’éloignent du choc de cette œuvre explosant face à une société austro-allemande germaniste dominée par le machisme des nantis et striée par les éclairs noirs de l’expressionnisme.

La dernière scène, quand Lulu reçoit l’étrange client au couteau caché sous son manteau, est très belle. Les deux meilleurs acteurs du spectacle, Chloé Réjon, la fougueuse interprète de Lulu, et Philippe Girard, qui joue Jack l’éventreur après avoir incarné le premier protecteur de la jeune fille, sont magnifiques dans ce flamboiement ambigu. Mais, auparavant, la belle machine théâtrale aura longtemps tourné à vide…

Culture
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