Les primaires avant le projet

Les socialistes votent ce jeudi sur « l’égalité réelle », quatrième texte de l’élaboration de leur projet pour 2012. Mais la désignation du candidat à la présidentielle est déjà dans toutes les têtes.

Michel Soudais  • 2 décembre 2010
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Les primaires avant le projet
© Photo : AFP / Leoty

Les adhérents du Parti socialiste votent ce jeudi sur le projet de leur parti pour « l’égalité réelle » , quatrième et dernière pierre de son futur projet pour 2012. Lundi matin, lors du point de presse hebdomadaire du PS, Benoît Hamon, qui a été le maître d’œuvre de ce texte, faisait part de son impatience de connaître les résultats de ce scrutin après la levée de boucliers de quelques représentants de l’aile droite contre ce document lors de son adoption en conseil national, le 9 novembre. C’était quelques heures avant la déclaration de candidature de Ségolène Royal… En lançant prématurément le processus des primaires, cette annonce, qui a pris de court la rue de Solferino, relègue déjà au second plan le travail programmatique engagé par le PS. Cela ne chagrinera pas outre mesure les strauss-kahniens, les « hollandais » et tous ceux qui jugent irréaliste un texte qui contient près de 200 propositions…

Quatrième des conventions nationales qui devaient permettre au PS de se doter d’un projet pour 2012, la convention sur l’« égalité réelle » vient après celles sur le modèle de développement, la rénovation politique et les relations internationales, qui, toutes, ont accouché de textes adoptés à la quasi-unanimité du parti. Le texte en débat, fruit de six mois de travail piloté par le porte-parole et représentant de l’aile gauche du parti, avec la collaboration de douze secrétaires nationaux issus de tous les courants, veut lister les moyens de lutter contre les inégalités dans un large éventail de domaines : éducation, santé, logement, discriminations…

Alors que la réforme des retraites « renforce les inégalités » , proclame ce texte dans son introduction, les socialistes veulent, en 2012, faire de la lutte contre les inégalités le « fil rouge de [leur] politique de redressement de la France » . Sur l’éducation, ce document propose notamment de tripler en dix ans les places en structure collective d’accueil pour la petite enfance et d’imposer un taux minimum de places en crèche pour communes de plus de 10 000 habitants ; de reconnaître le droit à la scolarité dès 2 ans, d’établir la scolarité obligatoire dès 3 ans (6 aujourd’hui), de raccourcir les vacances d’été, d’instaurer la semaine de cinq jours éducatifs, et de faire une large place à la culture technologique et professionnelle en 6e et 5e. Il veut pondérer le financement des établissements en fonction de critères sociaux et scolaires, et s’assigne pour objectif d’assurer les mêmes conditions d’enseignement dans les universités et les classes préparatoires. Il propose également une « allocation d’autonomie » pour les jeunes en formation, une « aide au départ en vacances de 200 euros minimum pour les mineurs qui ne partent jamais en vacances » .

Afin d’ « agir pour l’égalité des conditions » , le texte préconise « un grand rendez-vous annuel » sur les salaires, présenté comme une négociation obligatoire, nationale et interprofessionnelle, assortie d’un système de bonus/malus accordé aux entreprises en fonction de cet accord salarial et d’une surcote progressive des cotisations employeurs sur les contrats précaires ; et veut lancer un vaste plan de création de pépinières d’entreprises. En matière de fiscalité, il se prononce pour un « grand impôt citoyen fusionnant impôt sur le revenu et CSG » (contribution sociale généralisée), une modulation de l’impôt sur les sociétés en fonction du réinvestissement des bénéfices, le rétablissement des droits de succession à leur niveau antérieur à 2007, l’élargissement de la base d’imposition de la fiscalité du patrimoine. Au chapitre logement, il plaide pour une « baisse raisonnée des prix du logement et des loyers » , la construction de 150 000 logements sociaux par an et un renforcement de la loi SRU, dont le taux serait porté de 20 % à 25 % avec un quintuplement des pénalités.
Afin de donner « les mêmes droits pour tous les citoyens » , le texte se prononce pour le droit de vote et d’éligibilité aux étrangers non communautaires pour les élections locales, un « droit au mariage pour tous les couples » et l’autorisation d’adopter pour les couples homosexuels. Il veut diviser par deux les écarts de salaires entre femmes et hommes en cinq ans, et renforcer l’égale représentation politique des hommes et des femmes en supprimant la dotation publique aux partis qui ne respecteront pas l’objectif paritaire.

Au chapitre des « services publics universels et personnalisés » destinés à « relever les nouveaux défis de l’égalité » , le texte innove en évoquant l’instauration d’un « bouclier rural » (accueil de médecine générale, école élémentaire, poste, etc.). Concrètement, celui-ci passe notamment par l’obligation faite aux jeunes médecins d’exercer dans une zone de santé prioritaire pendant deux ou trois ans. Parmi les autres mesures touchant à la santé, on retiendra l’introduction du paiement au forfait ou l’homogénéisation des multiples systèmes d’indemnisation ou de soutien à la dépendance (invalidité, AAH, PCH, APA).

« Il s’agit de propositions extrêmement importantes, de mesures ambitieuses » , assurait Benoît Hamon, début novembre, lors de la présentation de ce document dont l’objectif est de donner, selon lui, au PS une « feuille de route pour 5, 10, 15 ans » . Si la députée strauss-kahnienne Marisol Touraine s’est réjouie de voir la préoccupation de l’« égalité réelle », expression popularisée par DSK au début de la décennie, inspirer un texte qui « ne pose pas simplement des principes mais s’assure que ces principes se traduisent dans la réalité » , elle a toutefois demandé à « marquer des priorités de façon plus affirmée » .

L’absence de chiffrage des mesures et leur absence de hiérarchisation ont alimenté toutes les critiques des responsables soucieux de la « crédibilité » du PS. Leur refrain : on peut bien peindre la France rêvée, on n’a pas les ressources pour faire tout ça. Au premier rang d’entre eux l’on trouve François Hollande, qui a ironisé sur la « hotte du père Noël », Pierre Moscovici, Manuel Valls, qui a appelé « tous les socialistes » à « peser » pour modifier le document, et leurs amis. Sont ainsi apparus dans les sections et les départements des amendements qui, au nom d’une conception très libérale de l’égalité réelle, réclament la retraite à la carte avec un système par points assez conforme au souhait du Medef, ou la reconnaissance de la primauté du contrat sur la loi…

Si l’offensive n’est pas à proprement parler orchestrée, les courants les plus libéraux du PS sont de nouveau en pointe. Comme si après le puissant mouvement social contre les retraites, qu’ils soutenaient du bout des lèvres, leurs représentants avaient subitement décidé de remonter au créneau. « C’est aussi pour eux la dernière occasion de se différencier avant les primaires » , note un proche de Benoît Hamon, pointant le fait que François Hollande, comme Moscovici ou Valls, ont déjà fait connaître leur intention de candidater. Signe de cette mauvaise humeur, le texte sur « l’égalité réelle » a certes été adopté lors du conseil national du 9 novembre à « l’unanimité moins 12 abstentions » , mais par 59 voix seulement alors que cette instance compte 230 membres.

Que gardera le candidat à l’élection présidentielle du projet sur lequel les militants votent ce jeudi ? Avec sa franchise coutumière, Ségolène Royal a déjà répondu, mardi, sur France Inter : « Les conventions du PS engageront le ou la candidat(e) dans leur état d’esprit, dans les valeurs qu’ils représentent. » Autant dire que ce projet l’engagera peu. Et pas seulement elle, évidemment. On ne serait pas étonné que les militants se désintéressent d’un débat déjà supplanté par la compétition de personnes, qui décidera vraiment du projet que défendra le PS.

Politique
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