Le « Mépris », troisième !

Dans ses Ateliers de Lyon, Gilles Chavassieux
met en scène un texte
de Didier-Georges Gabily. Une comédie sombre et drôle dans la continuité de Moravia et de Godard.

Gilles Costaz  • 10 février 2011 abonné·es

Pour beaucoup d’artistes cherchant un souffle nouveau dans les années 1990, Didier-Georges Gabily fut une grande référence : quelqu’un qui retrouvait la radicalité d’un Artaud et revendiquait une nouvelle forme de subversion dans ses textes et ses mises en scène. Il n’avait pas 41 ans quand son corps lâcha, victime des excès d’une vie peu raisonnable. Aujourd’hui, il reste dans certains cercles une figure mythique, dont on joue peu les pièces. Gilles Chavassieux, qui, dans ses Ateliers de Lyon, ne monte que des modernes, a choisi de revenir à Gabily, en préférant aux longues fresques barbares une assez courte comédie, TDM3, Théâtre du mépris 3 . Ce « mépris » qui figure dans le titre renvoie à celui de Godard, lequel venait de Moravia, lequel faisait allusion à Homère, lequel nous parlait d’Ulysse. Tout cela est dans cette pièce, très référentielle en apparence, mais en fait très libre, l’auteur réinventant la situation plutôt que s’adonnant au collage et à l’allusion masquée.

D’ailleurs, cela ressemble, dans la mise en place, à ces satires déjà vues cent fois du monde du cinéma, avec producteur lubrique et starlette facile. Sauf que là, va sortir du sol – d’une trappe ! –, en même temps que des odeurs nauséabondes, une vérité humaine qui va transformer cette prétendue comédie en un tableau terrible où s’opposent le mensonge social et une infernale solitude. Dans un bureau avec lit (on travaille dans l’un et l’autre), un scénariste est chargé d’écrire un nouveau script sur le thème de l’Odyssée . Mais – élément qui ne figure pas dans le roman de Moravia – l’auteur a décidé de s’inspirer de la vie d’un paumé qui a été ramassé dans la rue et dort au sous-sol : on s’emparera des confidences de cet Ulysse du trottoir. En attendant que l’homme parle, l’auteur pérore et caresse une actrice, l’actrice se prête à tous pour se payer sa drogue, le réalisateur suit l’évolution des événements en fabricant de pornos qui va changer de registre, et le producteur houspille tout le monde en se faisant sans cesse rembarrer.

Quand le misérable Ulysse s’exprimera, ce sera stupéfiant et pas très commercial : un désespoir à base d’auto­cannibalisme. Ah ! Ce film d’après Homère est mal parti. Peut-être iront-ils tourner autre chose… 
La mise en scène de Chavassieux (qui joue lui-même avec drôlerie un amusant rôle secondaire) place ces errances mentales dans une banalité sans chatoiement et une dérision à base de désespérance. Tous ces bouffons sont à leur plus fort point de gravité : Jean-Marc Avocat dans le rôle du producteur, Christian Taponard en scénariste, Gilles Chabrier en réalisateur, Valérie Marinese en actrice. Alain-Serge Porta incarne l’Ulysse moderne en en dégageant subtilement l’étrangeté familière. Dans les phrases de Gabily, il y a de la beauté hantée, mais aussi du vitriol ou de la provocation vite jetés sur le papier. À partir de là, une autre mise en scène pourrait donner un pamphlet rigolard. Ici, au contraire, dans une belle clarté sombre, Chavassieux saisit, derrière un rire à ­l’encre noire, le destin de cinq êtres douloureux, pris dans cinq pièges différents.

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