Tant de préjugés vaincus

Avec sa « Petite Histoire de l’Afrique », Catherine Coquery-Vidrovitch détruit, à force d’érudition, bien des idées reçues.

Denis Sieffert  • 3 février 2011 abonné·es
Tant de préjugés vaincus
© Photo : Gobet / AFP

On pourrait considérer que le livre de Catherine Coquery-Vidrovitch constitue tout entier une réponse implicite au trop fameux discours de Dakar de Nicolas Sarkozy, en juillet 2007. La réplique est même explicite lorsque l’auteur écrit que l’Afrique « contribua autant que les autres continents à l’histoire du monde » . Accessoirement, elle rappelle aussi, dans le sillage du Sénégalais Cheikh Anta Diop, que « l’Égypte est en Afrique » . Et que c’est en Haute-Égypte, proche de la Nubie, peuplée d’Africains noirs, que prit forme « une splendide civilisation, dont les racines plongeaient au sud autant qu’au nord » . Mais ce serait abaisser le travail de Catherine Coquery-Vidrovitch que de lui prêter l’unique dessein de répondre à un discours qui prétendait que l’homme africain « n’est pas assez entré dans l’histoire » . L’éminente spécialiste de l’Afrique a une tout autre ambition.

En un peu plus de deux cents pages, elle retrace l’histoire du continent depuis Toumaï, ce squelette d’hominidé datant de huit millions d’années, découvert en 2001 au Tchad, jusqu’à nos jours. C’est une histoire matérialiste déterminée par le perpétuel combat de ces peuples avec la nature. Une histoire longtemps rurale que la belle érudition de l’auteur rend lumineuse. On y apprend les origines de la division sexuelle du travail, celles de l’idéologie de la domination masculine, le rôle de la polygamie, qui « collectivise » les travaux des champs réservés aux femmes ; on y suit l’évolution des structures sociales, on y découvre que la plupart des langues d’Afrique ont une origine commune. On y apprend l’importance économique et culturelle du chameau (en fait le dromadaire), dont l’importation a recréé du lien entre les contrées séparées par le désert.

On redécouvre aussi l’importance de l’or dans les convoitises coloniales. On resitue les origines de l’esclavage et des traites négrières, d’abord internes à l’Afrique du XVIIIe siècle, puis externes, principalement à destination des Amériques. Et, peu à peu, Catherine Coquery-Vidrovitch nous emmène vers des époques qui nous sont plus familières, comme le XIXe siècle colonial. Contrairement à une idée reçue, la colonisation européenne fut d’abord plus insidieuse que brutale – hormis le contre-exemple de l’Afrique du Sud.

Quelques soldats accompagnaient les marchands pour protéger les marchandises, et peu à peu restaient sur place, rejoints bientôt par le prêtre chargé d’évangéliser les autochtones. Ce renfort sécuritaire, alors que des biens nouveaux aiguisaient les convoitises, allait même jusqu’à séduire une partie de la population. Jusqu’à ce que ces intrus referment le piège sur les habitants. La conjonction de l’industrialisation, de l’extension du commerce et de la formation de nouveaux États nations, comme l’Allemagne et l’Italie, a rapidement exacerbé la concurrence. Il fallut l’organiser. C’est ce que fit en 1885 la fameuse conférence de Berlin autour des trois « c », « commerce, christianisme, civilisation », symboles des « bienfaits de notre civilisation ». « Quinze ans après la conférence , note Catherine Coquery-Vidrovitch, le partage était achevé. » L’Afrique ne s’appartenait plus. Seule l’Éthiopie de l’empereur Ménélik avait résisté ; le pays ne connut le joug étranger que durant six ans, de 1936 à 1941, sous Mussolini.

L’historienne montre ensuite comment la justification morale de la colonisation « civilisatrice » donna assez bonne conscience aux Européens pour les exempter de toute considération sociale. Mais c’est avec la grande dépression des années 1930 que se joue une partie des destins des peuples d’Afrique jusqu’à aujourd’hui. Les grands emprunts qui devaient servir à financer les colonies ont été avalés par la crise. « Remboursables sur cinquante ans, ces emprunts , souligne Catherine Coquery-Vidrovitch, enclenchèrent de bonne heure le cycle de l’aide et de l’endettement. » La suite est connue. Une « exploitation prédatrice brutale » s’est exercée sur les pays riches en minerais, or, cuivre ou diamants…

Mais aussi par une économie de traite des produits agricoles. Dans tous les cas, le commerce d’import-export devait toujours rester aux mains des firmes occidentales. L’histoire n’est plus alors que révoltes et sanglantes répressions. Jusqu’à ce que les révoltes ne deviennent mouvements ou guerres d’indépendance. Au regard des ressources propres du continent, Catherine Coquery-Vidrovitch nous invite à espérer pour l’Afrique un avenir moins tragique. Mais les blessures de l’histoire sont encore vives. Et l’indépendance politique n’est que trop rarement synonyme d’indépendance véritable.

Idées
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